Comme si les journalistes du Progrès avaient besoin de ça… Ce vendredi 24 janvier, ils ont appris que leur patron, Philppe Carli, avait une grosse tendance à aimer (en quantité) les publications de l’extrême droite sur LinkedIn.
Dans un article consacré au PDG du groupe Ebra, plus gros groupe de presse régionale de France, notre partenaire Médiapart révèle qu’il partage régulièrement son admiration pour l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo, dont il « aime » de très nombreuses publications. Mais pas que. Il « like » également des publications de responsables politiques du Rassemblement national (RN), des micro-partis d’extrême-droite ou encore des éditorialistes de la chaîne CNews.
Ebra, un mastodonte de l’information
Rue89Lyon a par ailleurs déniché un autre « like » pro Trump, fustigeant les médias « bien-pensants », qui a fait jaser en interne. Si ces publications ont autant suscité l’émoi, c’est que Philippe Carli est à la tête de l’un des plus gros groupe de médias en France.
Ebra, propriété du Crédit mutuel, possède la majorité des journaux de presse régionale de l’est et du nord-est de la France. Le groupe revendique 800 000 journaux vendus chaque jour, plus de trois millions de lecteurs quotidiens et plus de 16 millions de visites par jour sur internet. Bref, un mastodonte de l’information.
Ces révélations sur son PDG sont donc un sacré impair, pour un groupe devant justifier de sa neutralité. « Sa notoriété et ses responsabilités engagent indéniablement les rédactions, dont les lignes éditoriales sont réputées être indépendantes et apolitiques », s’est ému le SNJ, syndicat national des journalistes, dans un communiqué, réclamant à Philippe Carli de s’expliquer « en toute transparence ».
C’est ce syndicat qui a en premier tiré la sonnette d’alarme, avant même l’article de Mediapart. La Filpac-CGT est aussi montée au créneau, en faisant part de sa « surprise » puis de sa « colère » en découvrant les « penchants » du directeur d’Ebra.
Likes du patron d’Ebra : en interne, l’exaspération des journalistes
En interne, ces révélations ont rajouté un peu d’huile sur un feu social, déjà attisé par des annonces de plans d’austérité et de changement de priorités éditoriales. De quoi provoquer l’ire de nombreux journalistes.
« Un tel positionnement sème le trouble dans la relation de confiance entre les lecteurs et nos rédactions. Ça a fait bondir tout le monde. D’autant que ces « likes » ne vont pas à n’importe quels partis », s’est émue une journaliste du Progrès, en mettant en avant la charte éditoriale du journal, où figure « la lutte contre les discriminations, le racisme, la xénophobie… et la désinformation ».
Même son de cloche dans un autre titre du groupe, l’Est Républicain, où les journalistes s’étaient levés contre l’expérimentation de l’intelligence artificielle Chat GPT à l’automne 2023.
« C’est inadmissible qu’un patron d’un groupe de presse aussi important que le nôtre affiche ouvertement son soutien à un parti/des idées d’extrême droite. C’est affligeant, effrayant et révoltant. Il entache la réputation du journal et alimente la défiance du lectorat envers les médias », se désole une salariée, sous couvert d’anonymat. Elle ajoute que les positions de Philippe Carli « ne sont pas du tout représentatives des valeurs du journal ».
Communiqué des rédacteurs en chef d’Ebra : une défense « à côté de la plaque »
À nos confrères de Médiapart, le service de communication du groupe Ebra a assuré que « retweeter ou liker ne vaut pas approbation ». « Ces interactions n’ont aucune vocation à indiquer une quelconque préférence de M. Carli ou du Groupe Ebra, ajoute le service communication. Quant aux rédactions, elles sont évidemment indépendantes. »
Une défense qualifiée de « légère » par la CGT… Mais sur laquelle se sont calqués six rédacteurs en chefs des différents titres du groupe. Dans une communication interne adressée aux rédactions vendredi 24 janvier en fin d’après-midi, consultée par Rue89Lyon, ils ne s’expriment pas sur les prises de position de Philippe Carli. Ils réaffirment l’indépendance de leurs rédactions vis-à-vis de leur patron, tout en assurant que celui-ci « a toujours défendu et valorisé cette indépendance. »
« Depuis son arrivée à la tête du groupe, Philippe Carli est dans son rôle de dirigeant avec pour objectif de défendre les intérêts d’Ebra et d’en garantir la pérennité. Il s’est personnellement impliqué en tant que président de l’Alliance pour protéger l’indépendance de toutes les familles de presse, notamment vis-à-vis des plateformes. Ce que les rédacteurs en chef et les rédactions attendent de lui. »
Communiqué des rédacteurs en chef des journaux du groupe Ebra, 24 janvier 2025
Une réaction « complètement à côté de la plaque » pour un salarié du Progrès. « Ils ne répondent pas au problème avec cette communication », se désole une autre employée du groupe contactée par Rue89Lyon.
À l’heure où de grands patrons français comme Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin rachètent à tour de bras des médias pour porter leurs idées conservatrices, cette nouvelle est un nouveau coup dur pour les défenseurs d’une presse libre.
Elle rappelle la nécessité, toujours plus présente, pour les citoyens de se réapproprier les médias. Pour cela, nous vous le disons, encore et toujours, un seul salut : abonnez-vous ! Pour que vive, face aux grands groupes, une presse libre et indépendante, vous êtes essentiel !
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