« C’est de l’islamophobie d’État. » Dans le groupe scolaire Al-Kindi, la tristesse se mêle à l’écœurement et à la colère. Ce vendredi soir, certains enseignants peinent à retenir leurs larmes. À partir du 1ᵉʳ septembre, l’établissement privé musulman de Décines, qui accueille 621 élèves du CP à la Terminale, ne sera plus agréé par l’État. La préfète du Rhône et de la région, Fabienne Buccio, a annoncé ce vendredi 10 janvier la résiliation des trois contrats signés en 2012 (un pour l’école, un pour le collège et un pour le lycée).
« Une islamophobie d’État »
Interprétant largement le rapport d’une inspection réalisée le 4 avril dernier, que Rue89Lyon avait décortiqué, elle a estimé que « le positionnement pédagogique » de l’établissement était « problématique » et révélateur d’une « proximité avec la pensée des frères musulmans dont le projet est contraire aux valeurs de la République ».
En cause, pour rappel, des livres du CDI de l’établissement « connus pour leur radicalité » voire carrément « intégristes », un règlement « discriminant envers les filles » et des cours « qui peuvent poser la question d’un enseignement contraire aux valeurs de la République ».
Depuis la résiliation du contrat de l’établissement d’Averroès (Lille), en décembre 2023, Al-Kindi était le seul lycée musulman sous contrat de France métropolitaine. Malgré les conclusions préfectorales au vitriol, l’établissement gardait un mince espoir.
« On a tout fait pour que ça fonctionne, souffle son service communication. On a répondu à tous les griefs, même ceux qui n’étaient pas fondés. On a changé le règlement intérieur, on s’est séparé de l’enseignant jugé problématique, on a rajouté des symboles de la République… »
Dans un baroud d’honneur, la communauté enseignante d’Al-Kindi a tenté, à travers une tribune envoyée à plusieurs médias jeudi 9 janvier, dont Rue89Lyon, de rappeler son attachement aux valeurs de la République ainsi que les excellents résultats scolaires de l’établissement. En vain.
À la prochaine rentrée scolaire, les quelque sept millions de musulmans que compte la France devront désormais se tourner vers le hors contrat, sans la garantie d’un enseignement conforme aux programmes de l’Éducation nationale.
Dans un communiqué de presse, l’établissement fustige « une islamophobie d’État qui ne prend désormais plus la peine de se masquer ». Al-Kindi ne mâche pas ses mots. « En rompant les contrats d’association, l’État envoie un signal très clair à la composante musulmane de notre pays : elle ne fait pas partie de la nation. »
Vers la fin des bourses à Al-Kindi
L’établissement a appris la nouvelle par voie de presse et sur les réseaux sociaux où Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur, s’est empressé de remercier la préfète. Sur Instagram, Laurent Wauquiez a aussitôt annoncé que « pas un euro de la Région Auvergne-Rhône-Alpes n’ira à cet établissement ». Et ce, avant même que la collectivité communique sur le sujet, oubliant un peu vite qu’il n’en est plus le président.
Concrètement, la résiliation de ce contrat entraîne la suppression des deux millions d’euros versés chaque année par l’État – dont 500 000 de la Région. Un manque à gagner de taille, qu’Al-Kindi espère compenser en augmentant les frais de scolarité de 20% et en faisant appel aux dons. La fin du partenariat avec l’État marque aussi la fin des boursiers, qui représentaient 53% des lycéens et 38% des collégiens. Dans ce contexte, l’établissement craint le départ des familles les moins aisées : « Ils veulent casser l’ascenseur social. »
L’établissement a d’ores et déjà annoncé son intention de saisir le tribunal administratif. En juillet dernier, le collège musulman Avicenne de Nice, sous le coup d’un arrêté préfectoral de fermeture pour des « financements opaques », avait obtenu gain de cause.
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