Vendredi 11 octobre à 9h30, Mamadou se serre contre sa compagne, Mariame. Assis sur un banc de la salle d’audience du tribunal administratif de Lyon, le jeune couple attend l’ouverture de séance. Leur fille, âgée d’à peine deux mois, est toute calme dans sa poussette rose. Derrière eux, six bénévoles du Réseau Education Sans Frontières (RESF) sont venues en soutien.
L’enjeu est immense : son avocat, Jean-Philippe Petit, va plaider pour l’annulation de l’obligation de quitter le territoire (OQTF) qui vise Mamadou depuis le 11 avril 2024. Une mesure prise par la préfecture de Lyon malgré tous les arguments fournis par le jeune homme de 24 ans pour prouver ses efforts d’intégration depuis son arrivée en France en décembre 2016.
Un périple d’un an à travers le Sahara et la Méditerranée avant d’arriver à Lyon
Mamadou naît le 31 décembre 1999 dans un petit village reculé au nord de la Guinée, Pilimini. En novembre 2015, un peu avant de fêter ses 16 ans, il quitte seul sa famille et son pays pour rejoindre la France. Il veut se procurer des médicaments qui permettront de soigner son père, rongé par un cancer.
Mamadou entame un périple de plusieurs mois à travers le Sahara. C’est dans des coffres de voitures qu’il parcourt le Mali puis l’Algérie, avant d’atteindre la Libye.
Là, il survit dans un foyer de migrants tandis qu’il tente d’amasser suffisamment d’argent pour payer la traversée de la Méditerranée. « Des enfants armés, âgés de 7 à 10 ans, venaient nous racketter dans les foyers », se souvient-il lorsque nous le rencontrons chez lui.
En juin 2016, il prend la mer à bord d’un canot pneumatique. « Il était prévu pour une vingtaine de personnes, on devait être 120 », souffle-t-il.
Mais Mamadou survit. Il arrive en Italie, puis traverse la frontière française en se cachant dans les toilettes d’un train. Le 28 décembre 2016, il atteint Toulon. Là, le jeune garçon est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). « J’ai conscience d’être un survivant, d’avoir eu la chance de toujours rencontrer les bonnes personnes », convient-il dans un faible sourire.
Un matin de mars 2017, son assistante sociale le convoque dans son bureau et lui tend son téléphone, sans rien dire. Au bout du fil, un voisin de sa famille, en Guinée, lui apprend la mort brutale de son père. Mamadou ne comprend pas tout de suite. « Je suis resté trois jours dans ma chambre, sans manger. Je ne faisais que pleurer. »
À sa majorité, Mamadou fait une demande de titre de séjour auprès de la préfecture du Var. Mais les autorités remettent en question la validité de son acte de naissance. En mai 2018, on lui délivre une première OQTF. Mamadou quitte alors Toulon pour Lyon.
À Lyon, une lueur d’espoir…
Dans la capitale des Gaules, le jeune homme est pris en charge par RESF, qui l’aide à s’inscrire au lycée professionnel François Cévert, à Ecully, où il effectue un CAP logistique de 2019 à 2021.
Une rencontre va alors changer sa vie. Azouz Begag, ancien ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, anime un atelier d’écriture dans son lycée. Un lien tout particulier se crée rapidement entre eux. « Il m’a dit qu’il voulait faire un livre de mon histoire », raconte Mamadou.
Alors les deux hommes commencent à écrire. « Né pour partir » sortira en septembre 2023. Le livre va rencontrer un certain succès : Mamadou remporte un prix et se met à intervenir devant des classes en collège et lycée.
En parallèle, le jeune homme poursuit ses études et obtient un bac professionnel en logistique en 2023. « Je veux avoir toutes les compétences pour créer ma propre boîte en France », affirme-t-il.
…ternie par une nouvelle OQTF
Mais sa situation administrative n’est toujours pas régularisée. Sa première OQTF étant arrivée à expiration (elle n’était valable qu’un an, selon la loi en vigueur à l’époque, contre trois ans aujourd’hui), il renouvelle sa demande de titre de séjour en février 2021. À force de multiples relances et avec le soutien de RESF, Mamadou obtient une audience en juillet 2023 et dépose un dossier à la préfecture de Lyon. Celle-ci lui délivre une attestation provisoire de quatre mois, le temps d’étudier sa demande.
Malgré les efforts de son avocat, sa demande finit par expirer sans que rien ne se passe. Il décide alors d’attaquer la préfecture pour non-respect des délais. Pour seule réponse, on lui délivre une nouvelle OQTF le 11 avril 2024. « Le document dit que je ne suis pas intégré, que je n’ai aucune attache en France », ricane-t-il, amer. Contactée, la préfecture de Lyon n’a à ce jour pas donné suite à nos sollicitations.
Mamadou plaide donc son recours devant le tribunal administratif, ce vendredi d’octobre. « Je suis parti pour mon père et je n’ai pas pu le sauver, regrette-t-il. Aujourd’hui, je ne peux que prier pour lui et accomplir son rêve d’éduquer ses fils et de subvenir aux besoins de ma famille. »
Le jeune père refuse d’envisager l’expulsion, qui signifierait abandonner sa fille et sa compagne, réfugiée politique guinéenne. « La justice doit faire son travail, estime-t-il. On juge les jeunes sous OQTF sans nous connaître, on est pris pour des criminels. »
Il est 10 heures, l’audience se termine et l’affaire est mise en délibéré. Mamadou connaîtra le jugement d’ici deux à trois semaines. En attendant, il vient de signer un nouveau contrat d’alternance dans une entreprise de logistique. Car le jeune homme en est persuadé : sa situation va finir par changer.
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