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Mais pourquoi joue-t-on à la boule lyonnaise, à Lyon ?

Depuis sa naissance il y a cent ans à Lyon, la boule lyonnaise est devenue une véritable institution culturelle et sportive. Bien ancrée dans le Rhône et la capitale des Gaules, le sport-boules perd cependant du terrain et des licenciés. Mais d’où vient cette boule et vers quel avenir roule-t-elle ?

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Le sport-boules est le pendant sportif de la boule lyonnaise. Ici, une joueuse de l'équipe féminine de l'ALBEU, club de Lyon 9e, s'entraine pour le 96e championnat de France sport-boules.
Le sport-boules est le pendant sportif de la boule lyonnaise. Ici, une joueuse de l’équipe féminine de l’ALBEU, club de Lyon 8e, s’entraine pour le 96e championnat de France sport-boules.

Boule en main, le dos légèrement courbé, la joueuse Laury Villeneuve prend de l’élan. Une fois lancée, l’objet sphérique s’élève dans les airs avant de retomber lourdement sur le terrain en terre battue une vingtaine de mètres plus loin, vers d’autres boules en métal. Les Lyonnais reconnaitront ici la description de la Lyonnaise.

La boule lyonnaise n’a pas de secret pour Laury Villeneuve, membre de l’équipe féminine du club bouliste de l’ALBEU (Lyon 8e). « J’ai commencé à jouer à huit ans à l’école de boules de Roanne, retrace-t-elle. J’ai été vice-championne de France à Thonon-les-Bains en 2013 et classée en deuxième division [c’est-à-dire en national ndlr] de 2014 à 2020. »

Ce jour-là, elle s’entraîne avec ses coéquipières Isabelle, Audrey (dit Popeye) et Karine pour leur participation en triplette au 96e championnat de France sport-boules qui s’est déroulé du 19 au 21 juillet à Saint-Martin-en-Haut (69). Bien que familière des grands rendez-vous de la discipline, la joueuse Laury Villeneuve se sent « peu stressée » à J-3 de la compétition.

Pour continuer à se faire la main, ses coéquipières et elle s’élancent, tirent et commentent leurs multiples passages. Ceux du championnat de France n’auront pas égalé les jolis coups de l’entraînement : l’équipe féminine a arrêté sa course en seizième de finale.

La Lyonnaise n’a rien à envier à la pétanque

Boule lyonnaise, sport-boules ou Lyonnaise : les expressions utilisées pour qualifier ce jeu 100 % local ne manquent pas. Pour les amateurs et les professionnels, comme Laury Villeneuve, impossible (et interdiction !) de la confondre avec la pétanque.

« Pour jouer au jeu provençal, il suffit de s’arrêter sur un chemin de terre en pleine campagne, de sortir les triplettes de la voiture, et éventuellement le Ricard, lance Emmanuel Moulin. Nous on ne peut pas faire une Lyonnaise n’importe où. » En bon Lyonnais fier de représenter ce jeu, le président de l’ALBEU la défend haut et fort.

Le terrain sur lequel il s’exprime n’est pas glissant. La boule lyonnaise est d’abord une question de territoire, au sens propre du terme. Si le jeu provençal se pratique sur n’importe quel type de surface, cette perspective est tout simplement inenvisageable pour la Lyonnaise. Des délimitations bien précises encadrent le terrain. On parle d’ailleurs d’un cadre de forme rectangulaire, plat et horizontal, de 27 mètres de long par 3 mètres de large.

L’équipe féminine du club bouliste de l’ALBEU (Lyon 9e) cherche la précision durant son entrainement du 17 juillet avant de participer en triplette au 96e championnat de France sport-boules.
L’équipe féminine du club bouliste de l’ALBEU (Lyon 8e) cherche la précision durant son entrainement du 17 juillet avant de participer, en triplette, au 96e championnat de France sport-boules.Photo : Justine Machado

La Lyonnaise s’apprécie et se savoure comme un bouchon lyonnais. Pas question d’y jouer à la va-vite. Précision, réflexion, technicité… Tels sont les maitres mots qui rythment des jeux pour lesquels une partie peut durer entre 1 h 30 et 2 h 30.

Un œil non-Lyonnais dirait que le jeu est (a priori) simple. Que nenni ! Il existe pas moins de neuf jeux et quatre types de formation. Pour ne pas perdre la boule avec toutes les options possibles, ce sont plus de 140 règles qui encadrent la pratique. Sur le terrain, le niveau de connaissance des joueurs varie selon que l’on joue au traditionnel ou au sport-boules, que l’on retrouve en compétition ou non.

La boule lyonnaise comme ADN de la ville de Lyon

La Fédération française du sport-boules (FFSB) – dont le siège est (évidemment) dans la région lyonnaise, à Villeurbanne – revient sur la vieille et mystérieuse histoire de cette pratique, sans qui elle n’existerait pas aujourd’hui. La boule lyonnaise descend directement des jeux de boules antiques, en pierre puis en bois. Des marins phéniciens ont introduit cet objet en France par la côte méditerranéenne avant qu’elle ne gagne la vallée du Rhône. Et, au Moyen Âge, la boule, séduit.. À tel point que la royauté interdit sa pratique au profit de sports plus guerriers, comme l’arbalète.

Au XIXe siècle, une fois sortie de son trou, la Lyonnaise attire. À ses débuts à Lyon, elle relève du simple loisir. Les Lyonnais se saisissent des espaces suffisamment grands pour installer leurs jeux, en intérieur comme en extérieur. Le boulodrome de la rue Robert (Lyon 6e) devient une place forte tout comme les quinze jeux de la Boule centrale, aux Brotteaux (Lyon 6e), de même que ceux rue Hénon et clos Jouve, à la Croix-Rousse (Lyon 4e).

Outre le développement des boulodromes, l’importance donnée à la Lyonnaise se note par la création des sociétés de boules. « Il en existe autant qu’il y a de quartiers dans Lyon et sa banlieue, et pratiquement autant qu’il y a de villes et de villages dans le département », raconte Jean-François Rattonnat dans La vie d’autrefois à Lyon et dans le Rhône. Les plus actives d’entre elles se trouvent à la Croix-Rousse et aux Brotteaux (Lyon 6e).

Mais, il faut attendre le début du XXe siècle pour que ce simple loisir s’élève au rang de sport(-boules) avec la création de la Fédération lyonnaise et régionale des sociétés de boules, en 1906.

Quelques stars de la discipline ont d’ailleurs fait la renommée internationale de la Lyonnaise. Parmi elles, le « Maestro« , Bernard Cheviet, qui a fait ses premières armes place Bellecour avant de jouer en équipe de France pendant plusieurs années. Son apparition en 1976 dans le jeu télé La Tête et les Jambes, animé un temps par Pierre Bellemare, et diffusée sur l’ORTF, a servi de vitrine pour exporter la Lyonnaise outre-capitale des Gaules.

« Un sport de famille »

La concentration dont font preuve les joueuses de l’ALBEU lors de leur entraînement dénote avec la posture de leurs semblables masculins. À Lyon 8e, en cette chaude fin d’après-midi de juillet, l’ambiance est à la détente.

Yeux pliés, dos courbé, pieds bien accrochés sur le sol, Lorys, 14 ans, profite d’avoir de l’espace sur le boulodrome extérieur pour enchaîner les lancers. Il est venu jouer avec Govan, son cousin du même âge. « C’est un sport de famille », assure-t-il tout en s’élançant, boule à la main, sur le terrain ombragé, dans les pas de son père, son oncle et son grand-père.

De quarante-deux ans son aîné, Patrick s’entraîne à quelques mètres de lui. Pour lui, la boule lyonnaise est « la passion d’une vie ». Il est le troisième de sa génération à porter fièrement cette tradition. Et certainement le dernier. À son grand regret, la pratique « n’est pas la tasse de thé de ma fille », confie-t-il. Mais de nature optimiste, le joueur est plutôt rassuré de voir les jeunes fouler la terre battue : « L’avenir est là. C’est super ! ».

Un jeu de boules en perte de vitesse

En France, 1 042 jeunes représentent cette postérité. Dans le Rhône, ils sont 116, comme les cousins Lorys et Govan. Et il y en a besoin. Depuis 2005, date des premières archives de la FFFSB, le nombre de licenciés français est en chute libre. Ils étaient 78 080 en 2005 quand la Fédération enregistre 39 784 boulistes licenciés pour la saison 2023-2024.

« En 1982, il y avait 1 700 licenciés dans le secteur bouliste Caladois Pierres Dorée. On est plus que 350 », déplore le septuagénaire Gérard Barnau, ancien président du club. Sur les terrains rhodaniens, avec sa casquette actuelle de président délégué du Comité bouliste départemental du Rhône et de la métropole de Lyon, il trouve souvent porte close. « C’est bien simple, les sociétés boulistes d’Anse, des Chères, de Morancé, Chazey [dans l’Ain, ndlr] et Lozanne, pour donner quelques exemples, n’existent plus », illustre-t-il.

Les cousins Govan et Lorys, 14 ans, sont des habitués de la Lyonnaise. Ils ne ratent jamais une occasion de tester les variations de lancers comme ici au club bouliste de l’ALBEU (Lyon 8e), le 17 juillet.
Les cousins Govan et Lorys, 14 ans, sont des habitués de la Lyonnaise. Ils ne ratent jamais une occasion de tester les variations de lancers comme ici au club bouliste de l’ALBEU (Lyon 8e), le 17 juillet. Photo : Justine Machado

En quarante-deux ans, le département du Rhône a perdu 10 000 licenciés, passant de 16 000 en 1982 à 6 346 aujourd’hui. Le vieillissement de la population est un facteur qui explique ce déclin, tout comme la fermeture des bars populaires près desquels se trouvaient les clos. Ici et là, les boulodromes, dont l’entretien est onéreux, disparaissent au profit d’autres structures sportives.

La fin des tournois de Pentecôte sur la place Bellecour représente à elle seule l’étiolement de la boule lyonnaise. Initié en 1901 par le quotidien local Le Progrès, le concours était le tout premier de son genre.

À cause du Covid, de manque d’inscriptions et de subventions, les concours n’ont pas eu lieu en 2020 et sont délocalisés à Dardilly depuis 2021. L’édition 2024 a même été purement et simplement annulée. Le projet porté par la Ville de Lyon de végétaliser la place Bellecour, dont les travaux devraient débuter cet été, porte un dernier coup au rendez-vous des boulistes. Ces derniers, et dernières – le comité bouliste du Rhône compte 777 joueuses -, peuvent néanmoins se rabattre sur les terrains des clubs qui tiennent encore debout, comme celui de l’ALBEU.


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