C’est sans doute l’évènement lyonnais le plus connu dans le monde entier. La Fête des Lumières réunit chaque année plusieurs millions de personnes, dont de nombreux touristes étrangers, dans les rues de Lyon. Si la date officielle est le 8 décembre, les festivités s’étalent depuis plusieurs décennies sur trois à quatre jours. La « Fête » est devenue un véritable festival.
Touristique, artistique, et, il faut l’avouer, mercantile, cette célébration trouve ses racines dans une cérémonie catholique en l’honneur de la vierge Marie. Pour nombre de Lyonnais, l’histoire de l’évènement est un peu floue : la légende raconte que la Sainte aurait protégé la ville de la peste au XVIe siècle, ce qui aurait mené à la tenue de cette fête annuelle.
En remerciement, les habitants de la ville allument des petits lumignons qu’ils disposent à leurs fenêtres. Une tradition qui s’est étendue aussi dans la région lyonnaise. Mais en réalité, la véritable origine du 8 décembre n’est pas si vieille.
En 1852, un premier 8 décembre contre vents et marées
La toute première célébration de la « Fête des Lumières » – qui n’était pas nommée ainsi à l’époque – remonte à 1852. Alors que le culte de la vierge Marie est particulièrement prégnant à Lyon, le diocèse prévoit d’inaugurer une gigantesque statue dorée de la sainte sur le clocher d’une chapelle à Fourvière. La cérémonie est initialement prévue le 8 septembre, date important du calendrier catholique, correspondant à la célébration de la nativité de la vierge Marie.
Les éléments en décident autrement. La Saône entre en crue et les ateliers du fondeur, en charge de la conception de la statue, sont sous les eaux. L’artisan ne peut achever son travail qu’au mois de novembre. Une nouvelle date est choisie : le 8 décembre, autre date du culte marial, la fête de l’Immaculée conception.
Un programme chargé est prévu pour cette journée : processions, messes, bénédiction de la statue avant le clou du spectacle le soir. Les autorités religieuses prévoient des feux de Bengale à Fourvière pour illuminer la statue, d’allumer des lampions et de tirer des artifices depuis la colline. Les habitants de Lyon sont prévenus par des messages diffusés dans toute la ville et beaucoup se munissent de lumignons qu’ils disposeront à leur fenêtre.
Sauf que les éléments viennent à nouveau perturber le programme. Des orages éclatent dans l’après-midi et le diocèse décide de reporter les illuminations au 12 décembre. La population lyonnaise allume tout de même ses lumignons et les autorités religieuses finissent par suivre le mouvement.
« L’indocilité » d’une partie des fidèles lyonnais servira ensuite à alimenter la légende du 8 décembre et faire perdurer cette célébration dans le temps, selon le politologue Philippe Dujardin, auteur de l’article Lyon l’allumée. De l’illumination du 8 décembre à la Fête des Lumières, avatars d’un rituel urbain.
« Sans le culte marial fixé à Fourvière depuis le XIIe-XIIIe siècle, le 8 décembre de 1852 n’aurait pas produit cet effet et n’aurait pas eu cette longévité », assure-t-il.
Derrière la Fête des Lumières, une confusion entre la peste et le choléra
L’origine réelle retrouvée, reste à éclaircir cette histoire de peste. « Le socle de la statue atteste de la protection de la Vierge lors de différentes épidémies : non pas celles de la peste, comme le voudrait l’insistant « on-dit » lyonnais, mais celles du choléra qui menacent encore le nord et le sud de l’Europe dans les années 1830-1850 », explique Philippe Dujardin.
Il faut remonter à 1643 pour comprendre. Cette année-là, les échevins formulent un vœu et demandent à Marie de protéger la ville de la peste. C’est le premier « vœu des échevins », autre tradition religieuse lyonnaise qui a lieu tous les 8 septembre. Les dignitaires s’engagent auprès de la sainte à monter à Fourvière chaque année pour lui offrir un cierge de sept livres et un écu d’or contre sa protection. C’est donc la confusion entre deux traditions, celle du vœu des échevins et des illuminations, qui a laissé des traces dans l’imaginaire commun lyonnais.
Un 8 décembre très politique
Mais si le vœu des échevins avait dès le départ vocation à être annuel, ce n’était le cas de l’inauguration et des illuminations de 1852. La tradition a perduré de manière étonnante les années suivantes. « De cette entrée en tradition, on peut soutenir le paradoxe qu’elle fut quasi immédiate », écrit Philippe Dujardin. Il aurait fallu seulement trois éditions pour pérenniser le 8 décembre, selon les sources journalistiques de l’époque.
Très vite, l’évènement est investi par le champ politique de tous bords, alors que la France est dans une période d’intense instabilité politique, entre la fin de la Deuxième République et l’émergence du Second Empire, entre lesquelles subsistent les velléités monarchiques. Anti-cléricaux et catholiques s’opposent dans des manifestations chaque année à Lyon.
Avec un point culminant en 1903 : un catholique, Étienne Boisson, décède dans des affrontements. Il faut attendre 1905, et la loi de séparation entre l’Église et l’État pour que les tensions s’apaisent. « Cette conflictualité disparaît dans l’entre deux-guerres », résume Philippe Dujardin.
La période du 8 décembre devient alors une opportunité pour les commerçants du centre-ville, qui illuminent leurs vitrines et commencent à rendre l’évènement mercantile.
Du 8 décembre à la Fête des Lumières
Cérémonie religieuse, le 8 décembre est investi par la municipalité lyonnaise à la fin du XXe siècle. Des années 70 à 90, l’évènement sert d’appui aux politiques pour mettre aussi en scène leurs réalisations dans la ville. « Se sont ainsi succédé les inaugurations du tunnel de Fourvière (1971), de l’éclairage du dôme de l’Hôtel de ville (1972), de la rue Saint Jean piétonnisée (1978), de la place Louis
Pradel (1982), (…) de la place des Terreaux rénovée (1994) », donne pour exemples Philippe Dujardin.
Un moment fondateur est sans doute l’année 1989. Le maire de Lyon Michel Noir décide d’illuminer plusieurs ponts et lieux de Lyon à l’occasion du 8 décembre pour présenter son « plan lumière ». Ce plan a pour vocation de mettre en valeur le patrimoine du centre-ville, par l’éclairage, pas seulement le 8 décembre. Cette politique donne un nouveau rayonnement à la ville, qui devient connue au-delà de ses frontières pour ses illuminations.
Surtout concentrée sur la colline de Fourvière et de la Presqu’île, le 8 décembre commence à changer de forme. Au début des années 1990, la municipalité tente de faire sortir la fête du centre-ville et propose que chaque arrondissement l’organise à tour de rôle. Une expérimentation assez vite abandonnée.
L’idée a cependant perduré : la municipalité écologiste à la tête de la ville depuis 2020 tente de nouveau de faire sortir la Fête du centre-ville en proposant des illuminations dans tous les arrondissements. Un moyen de rendre le festival plus populaire, mais pas seulement.
« La Fête des Lumières a vocation à attirer des touristes et l’espace de ce festival doit répondre aux exigences de déambulation et de circulation de ces touristes, analyse Philippe Dujardin. Ils ne peuvent se satisfaire de la montée à Fourvière c’est pour cela qu’on en arrive jusqu’au parc Blandan ou au parc de la Tête d’Or. »
Pour atteindre le succès touristique actuel, il a fallu attendre 1999. Le maire Raymond Barre acte un changement significatif : de fête, le 8 décembre devient festival, en s’étalant sur 4 jours. Il faut attendre ensuite l’élection de Gérard Collomb en 2001 pour que le nom de « Fête des Lumières » apparaisse.
De l’esprit du 8 décembre initial, il ne reste que la montée aux flambeaux organisé par le Diocèse de Lyon chaque année, que l’extrême droite identitaire tente de s’approprier. « Par définition, une grande manifestation publique se prête à l’appropriation par différents types d’acteurs », explique Philippe Dujardin. L’histoire du 8 décembre n’a pas fini de s’écrire.
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