« L’après-midi, c’est plus lourd que le matin : on préfère descendre les escaliers que les monter », admet Alex, maçon coffreur de 33 ans, sur un chantier de construction de 177 logements à Vénissieux. En période de canicule, le travail physique en extérieur est particulièrement harassant pour les salariés du bâtiment et travaux publics (BTP).
Alors que le Rhône et Lyon sont placés en vigilance orange canicule du 10 août jusqu’au mercredi 13 août, au moins, la ville a déjà connu un épisode caniculaire. La première vague de chaleur de l’été 2024 a eu lieu du 29 juillet au 2 août, selon Météo-France. À Lyon, le mercure est monté jusqu’à 38,1°C le 30 juillet.
Bien que les périodes caniculaires soient de plus en plus récurrentes, les employés du BTP, comme Alex, n’avaient jusqu’alors pas la possibilité de se mettre en chômage intempéries. Cette éventualité est maintenant envisageable puisqu’un décret gouvernemental du 28 juin reconnaît la canicule comme motif du régime de chômage intempéries dans le secteur du BTP.
Concrètement, le régime de chômage intempéries canicule peut-être activé par l’employeur quand Météo-France émet une alerte de vigilance canicule orange ou rouge d’au moins trois jours et trois nuits. Une fois l’arrêt de chantier déclaré, les salariés sont indemnisés à partir du deuxième jour, à hauteur de 75 % de leur salaire brut.
Le financement de la mesure est assuré par les cotisations intempéries versées par les entreprises du BTP à une caisse nationale de surcompensation, comme c’est déjà le cas des indemnités liées aux autres intempéries. La neige, le gel, le verglas, la pluie et le vent fort valent déjà comme motifs depuis les années 1950.
Chômage canicule à Lyon : une première pierre à l’édifice pour le BTP
L’une des forces bâtisseuses de ce décret est la CGT. La prise en compte de la canicule est, depuis 2018, un des chevaux de bataille du syndicat qui a interpellé plusieurs fois la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). « C’est déjà ça, mais ça ne demande qu’à être amélioré », réagit Jacky Abada, électricien de métier sous sa casquette d’administrateur de l’UD CGT69.
Les pics de chaleur ponctuels, équivalents à une vigilance canicule jaune de Météo-France, ne sont pas pris en compte par la mesure. Pour lui, « c’est la température mesurée sur le chantier qui devrait être prise en compte pour en définir l’arrêt ».
À Vénissieux, Alex et ses collègues du groupe Mazaud ont continué à poser des poutres et porter des panneaux en plein soleil malgré un mercure qui a avoisiné les 37-38°C. Des chiffres qui vont bien au-delà de la mise en garde de certains organismes de la santé au travail. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) alerte qu’au-dessus de 28°C, pour un travail physique, la chaleur peut représenter un risque pour la santé des travailleurs.
« On n’a pas renvoyé les gars chez eux parce qu’on ne maîtrise pas encore bien le mécanisme de justification avec les bulletins de Météo-France de vigilance canicule », justifie Lucas Sellier, conducteur de travaux pour le groupe Mazaud.
Mais l’absence de notice pour la partie administrative ne l’a pas empêché de recourir au régime de chômage intempéries canicule pour justifier une perte de production auprès de son client Quartus, le promoteur immobilier du projet L’Archipel. « Là, c’était trois jours de canicule déclarables et je les ai déclarés les trois du mardi 30 juillet au jeudi 1er août », précise-t-il.
À défaut d’être à l’arrêt, la production a tourné « autour de 60 % », estime après-coup Lucas Sellier. Outre la question du rendement, le décret est, selon lui, un outil pour faire changer les mentalités : « Ça permet de faire comprendre au client que les gars ne sont pas que des machines et qu’il faut qu’on puisse travailler dans de bonnes conditions. »
Dans le BTP, adapter les mentalités face à la canicule
Barbara Knoell, coordinatrice sécurité protection de la santé pour l’entreprise Socotec, a commencé à évoquer en juillet le sujet de la canicule en réunions de chantier. Lors de ses échanges avec les équipes, elle a constaté des avancées sur la prise en compte des températures extrêmes par les employeurs. « Avant, le phénomène de chaleur n’était pas forcément considéré comme une vraie contrainte sur un chantier. Maintenant on n’a pas besoin de le rappeler aux entreprises, observe-t-elle. Elles le prennent elles-mêmes en compte et adaptent les travaux et les journées en fonction. »
Et le panel de solutions proposées est large. « L’aménagement des horaires, l’installation de tonnelles et parasols sur des points fixes, le renouvellement des gourdes d’eau et la mise en place de points d’eau à proximité sont les plus pratiquées », fait remonter Barbara Knoell.
Sur le site de L’Archipel, à Vénissieux, les journées ont commencé plus tôt que d’habitude pour certaines équipes. Walid et Opeyemi, tous deux électriciens du sous-traitant CNE pour le lot électricité, ont pris leur poste à 6 h 30, au lieu de 7 h, avec une pause déjeuner d’une demi-heure plutôt qu’une heure pour partir vers 15 h. Walid s’est plié à la décision de la journée continue, même s’il a ses réserves : « Quand on commence à 6 h 30 ça coupe le sommeil mais comme on prend la décision en équipe, il n’y a pas trop le choix. »
La bonne relation entre le chef de chantier et ses équipes est essentielle pour que chacun vive au mieux la vague de chaleur. Alex peut compter sur la compréhension de Jean-Hervé : « Si on ne se sent pas bien, il va nous dire d’aller boire cinq minutes. Il n’y a pas de soucis là-dessus. »
Dans le BTP, 32 857 arrêts intempéries en Auvergne-Rhône-Alpes
Les entreprises s’adaptent et trouvent des solutions pour assurer la sécurité et le bien-être de leurs employés. Mais dans le Rhône combien de salariés ont décidé de recourir au régime de chômage intempéries canicule ? La question reste en suspens. Interrogée par Rue89Lyon, l’Inspection du travail n’a pas fourni d’éléments de réponse.
« Quand il y a des intempéries, on constate que les entreprises utilisent le dispositif. Il n’y a pas de raison qu’ils ne l’utilisent pas pour la canicule », projette Magalie Sanchez, sous-directrice tarification et pilotage des risques professionnels de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Rhône-Alpes. En Auvergne-Rhône-Alpes, la caisse de congés intempéries BTP (CIBTP) a comptabilisé 32 857 arrêts intempéries pour la période 2021-2022.
Sans pouvoir nommer l’entreprise concernée, Barbara Knoell rapporte un cas dont elle a eu récemment connaissance : « Le motif canicule a été pris en compte pendant une journée sur un chantier de réhabilitation de toiture d’un entrepôt. Il faisait vraiment trop chaud donc les gars sont descendus de la toiture. »
Mais avec un salaire moyen net inférieur à 2 000 euros pour les ouvriers, le milieu du BTP reste rude. Perdre 25 % de salaire est impensable pour certains. « Je préfère travailler au soleil que ne pas avoir un salaire entier », affirme Mounir, 40 ans, sur le chantier de L’Archipel. Même si l’électricien a trouvé que « ce n’était pas plus dur physiquement que d’habitude », il a apprécié le rythme des journées continues lors de la canicule.
Canicule à Lyon : le chômage intempéries ne profite pas à tous dans le BTP
Tous les métiers du secteur du bâtiment ne sont pas concernés par la mesure. Parmi eux, les plombiers chauffagistes qui travaillent en intérieur à la pose de ventilation, de chauffage central, de climatisation ou d’isolation. Eddy, 43 ans, est l’un d’eux. Il fait partie des employés de l’entreprise Clévia Centre-Est, une filiale du mastodonte Eiffage, mobilisés sur le chantier de la bibliothèque métropolitaine de Clermont-Ferrand.
« On a continué à travailler pendant la canicule. Quand il y a des travaux de force, on essaie de les faire au maximum le matin. On a un chef de chantier qui est attentif à la santé et la sécurité des collègues, ce qui n’est pas le cas de tous », fait-il savoir en tant que délégué syndical CGT Clévia Centre-Est.
Lorsqu’ils le jugent nécessaire, ses collègues du secteur du BTP et lui peuvent néanmoins s’en remettre au droit de retrait pour danger grave et imminent, conformément aux dispositions du Code du travail.
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