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« La Poste, c’est devenu l’usine » : un ex-facteur raconte sa démission

[Série] À travers différents témoignages, Rue89Lyon vous propose d’aborder les difficultés connues dans les services publics. Dans cet épisode, Florent (prénom modifié), facteur durant près de 20 ans dans le sud de la métropole de Lyon, a choisi de quitter La Poste en 2022. La faute à l’augmentation des cadences et la déshumanisation progressive du métier.

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Florent (prénom modifié), entré tout jeune adulte à La Poste, a décidé de quitter le métier de facteur à l'aube de la quarantaine. ©MA/Rue89Lyon
Florent (prénom modifié), entré tout jeune adulte à La Poste, a décidé de quitter le métier de facteur à l’aube de la quarantaine.

Florent (prénom modifié) avait 19 ans lorsqu’il a distribué son premier courrier à La Poste, dans le sud-ouest de Lyon. En 2003, la profession n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue aujourd’hui. L’entreprise au logo bleu et jaune était encore dans le giron de l’État, quelques années avant sa transformation en entreprise en 2010.

« J’y suis entré un peu par hasard. C’était un bon métier. Les postiers étaient en auto-gestion : on avait un directeur qui connaissait bien les tournées, le travail était fait et on gérait notre temps au fini-parti », se souvient-il.

Les premières années, Florent officie en tant que « rouleur ». Il remplace, là où il y a besoin, des collègues en congés ou en maladie. Au bout de trois ans, le jeune postier est titularisé. Mais il ne devient pas fonctionnaire, un statut auquel les postiers n’accèdent plus depuis quelques années.

Un ancien facteur qui a vécu le tournant de la privatisation de La Poste

« À ce moment-là, on avait peu de pression au niveau des volumes de courriers. Il y avait des jours exceptionnels, comme lors des impôts, mais on pouvait décaler d’autres plis comme la pub », détaille-t-il. Le postier aime la relation avec les particuliers, « attachants », le café qu’il boit chez certains d’entre eux. Comme nombre de ses collègues, il ne rechigne pas à rallonger sa tournée pour distribuer du courrier attendu.

Progressivement, avec le développement d’internet, le nombre de plis diminue. La Poste se réorganise et l’impact se fait directement sentir pour les postiers sur le terrain. « Le tournant c’est 2007, se rappelle Florent. Les petits bureaux de postes ont été recentrés sur de grosses plateformes, avec plusieurs codes postaux. On est passé d’une quinzaine de facteurs par bureaux à 40 ou 50. C’est devenu l’usine. »

Les tournées sont redécoupées, rallongées. Les directeurs ne s’occupent plus d’un seul centre mais de 5 à 10. Plus de fini-parti, les facteurs doivent désormais respecter un temps de travail. La privatisation de 2010 accélère le processus. « Ils se basent sur un algorithme pour déterminer les tournées, qui ne prend pas en compte le côté humain. Il y a des gens plus rapides, d’autres plus lents, de toutes les morphologies… », déplore Florent.

Sans compter les erreurs de calcul. L’ex-postier décrit des tournées qui auraient théoriquement dû être remplies en six heures trente, mais qui prenaient plus de huit heures. Conséquences : des « milliers de plis s’entassent », la distribution du courrier prend du retard et suscite « l’agacement » des usagers.

« Tous les deux ans, La Poste change notre tournée. Les facteurs s’en rendent malades »

« Dans n’importe quel service public, le premier signal sur le mal-être, c’est quand les gens se syndiquent », analyse l’ex-facteur. C’est ce qu’il fait, après des énièmes heures supplémentaires non-payées. « Tous les deux ans, on change notre tournée, dénonce Florent. On se demande si elle va augmenter, à quel point on va se faire dézinguer. Les facteurs s’en rendent malades ».

En 2013, Florent participe à une grève d’ampleur des postiers à Lyon, plus particulièrement dans le 8e arrondissement, pour soutenir des collègues mobilisés contre la réorganisation de leurs tournées. Il explique que les grèves ne dépassaient que rarement le niveau ultra-local, car « les réorganisations se font bureau par bureau », ce qui empêche un mouvement social généralisé.

C’est finalement des conflits avec sa hiérarchie, mais aussi l’usure, qui le poussent à quitter La Poste en 2022. Le corps du presque quarantenaire, pourtant costaud, commence à lâcher après 20 ans de métier. « Les derniers temps j’en ai chié, souffle-t-il. J’ai pris des douleurs à en pleurer dans les mains, les bras, les épaules… Et puis un jour je me suis réveillé et je me suis rendu compte que je faisais aussi une dépression. Je ne suis jamais revenu. »

Toujours en lien avec ses anciens collègues, il n’y en a plus qu’une poignée qui sont restés travailler dans son bureau du sud-ouest lyonnais. « C’était une famille, sourit-il. On passait plus de temps avec nos collègues qu’à la maison parce qu’on restait discuter ou prendre un café après la tournée. Maintenant, les gens sont tellement fatigués qu’ils ne veulent plus rester ». Aujourd’hui à son compte, il a perdu cette camaraderie mais a retrouvé une certaine tranquillité d’esprit.


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