« Je ne pensais pas qu’une simple banderole puisse me valoir 48 heures de garde-à-vue et un procès. » Lisa (les prénoms ont été modifiés) fait partie des huit militant·es d’Extinction Rebellion poursuivi·es par la société Arkema France pour s’être introduit·es dans l’enceinte de son usine chimique de Pierre-Bénite, le 2 mars dernier, pour dénoncer la pollution du site. Ils sont accusés d’y avoir commis des dégradations et des détériorations, ainsi que de violences à l’égard d’un fonctionnaire de police, pour l’un d’entre eux.
Ce mardi 18 juin, les huit militant·es sont aligné·es en rang d’oignons dans la troisième salle du tribunal judiciaire de Lyon. Tous et toutes arborent un tee-shirt blanc floqué « Stop aux polluants éternels ». « Pour être discrets… », commente la présidente du tribunal, Brigitte Vernay.
C’est en voulant dénoncer la pollution aux perfluorés (aussi appelés polluants éternels) engendrée par l’usine Arkema qu’ils et elles ont fini sur le banc des accusé·es. Le 2 mars 2024, 200 à 300 silhouettes blanches munies de tenailles, de parpaings et de bombes aérosol pénètrent à l’intérieur de l’usine chimique. Quelques instants plus tard, deux banderoles flottent au sommet des bâtiments, dont l’une explicite « habitants intoxiqués, Arkema doit payer ». Cinq d’entre eux se font cueillir par la police à la descente, rejoignant trois camarades interpellés avant l’action, sur un parking.
Une « action commando extrêmement violente » contre Arkema à Lyon
Le profil des prévenu·es colle mal avec les faits qui leur sont reprochés. La trentaine, ingénieur·es ou doctorant·es, certain·es reconverti·es en maraîchage, des casiers vierges ou presque, ils et elles assument tranquillement leur action illégale du 2 mars. C’est Clément qui ouvre le bal, accusé d’avoir exercé des violences sur un policier en plus des dégradations.
Doctorant en biologie marine à Nice, il explique s’être directement senti concerné par la pollution engendrée par Arkema. « On parle des effets sur les humains, mais on ne parle pas assez des effets sur le reste du vivant, notamment celui que j’étudie. » Il s’est fait interpeller sur le parking, avant même d’avoir mis un orteil à l’intérieur de l’usine.
La police a été alertée d’une « action commando extrêmement violente ». La suite est floue. Un agent accuse Clément de l’avoir étranglé alors qu’il tentait d’intercepter une silhouette blanche sur le parking. Julie, qui vient d’enfiler sa combinaison blanche, filme la scène. « Un homme m’a pris mon téléphone de force et m’a dit qu’il était cassé, raconte-t-elle. C’est après que j’ai su que cette personne était un policier. »
Pendant ce temps, plusieurs dizaines de militant·es ont pu pénétrer dans l’usine, après en avoir découpé les grilles à la tenaille. Les cinq grimpeurs interpellés assurent être « juste venus accrocher une banderole ». Ce qui turlupine le procureur adjoint, Éric Jallet, c’est de savoir comment ils ont pu accéder au toit du silo.
« On a pris les escaliers, c’était ouvert », explique simplement Marie. La présidente du tribunal interpelle chaque accusé·e sur le caractère dangereux du site Arkema, classé Seveso seuil haut. « Ce n’est pas la première manifestation qui vise Arkema, lui répond Manon, qui faisait partie des grimpeurs. Aujourd’hui, Arkema a toujours le droit de rejeter ces PFAS. Aller plus loin était une nécessité. »
Pollution d’Arkema à Lyon : « Vous avez sûrement des PFAS dans le sang »
Dans la salle d’audience, l’ambiance est étouffante. Pauline Servant, pharmacienne et toxicologue pour l’association Générations futures, dépeint un tableau alarmant. « La principale source d’émission des perfluorés est les industriels qui en produisent, dont Arkema et Daikin à Pierre-Bénite. On en retrouve partout dans l’environnement et dans les êtres vivants. » L’experte improvise un cours accéléré de chimie à destination d’un parquet qui fronce les sourcils.
« Je suis désolée de vous le dire, mais vous avez sûrement des PFAS dans le sang, annonce-t-elle en jetant un coup d’œil désolé à la présidente. Les plus contaminés sont les salariés de ces usines et les riverains, en particulier les enfants. C’est très dangereux à des doses très faibles, on le sait depuis des années, mais la surveillance des PFAS est quasiment inexistante en France. »
Pauline Servant, pharmacienne et toxicologue
Dans cette affaire de pollution, que font les pouvoirs publics ? La vice-présidente de la Métropole de Lyon chargée du cycle de l’eau, Anne Grosperrin, affirme que la collectivité a eu connaissance de cette pollution par voie de presse. « Nous sommes face à un scandale sanitaire majeur, et je pèse mes mots. La pollution pèse sur les collectivités aujourd’hui sans que le principe de précaution et le principe de pollueur-payeur ne soient appliqués. » Elle estime que les robinets d’au moins 120 000 personnes sont alimentés par une eau contaminée.
Le 19 mars, la Métropole de Lyon a assigné en justice Arkema et sa voisine Daikin, qui rejette aussi des perfluorés. La collectivité demande une expertise accélérée pour définir les responsabilités des deux entreprises dans cette pollution. « Les industriels utilisent ces molécules en connaissance de leur toxicité depuis des décennies, dénonce Anne Grosperrin. Je vous demande où se trouve l’intérêt général et où se trouve la violence dans cette affaire ? »
« Un dossier éminemment politique »
« Aujourd’hui, ce n’est pas le procès d’Arkema », prévient l’avocate de l’usine, Me Bénédicte Graulle, dès le début de sa plaidoirie. Sur un ton dramatique, elle liste l’équipement des militant·es écologistes pour mener à bien ce qu’ils avaient nommé « opération Frelon » : des casques d’alpinisme, des cordes, des coupe-boulons et des gants en latex, entre autres.
« Le danger n’est pas que la pollution », renchérit le procureur adjoint, Éric Jallet. L’action aurait pu se solder par une « explosion » de l’usine Arkema, classée Seveso seuil haut, rappelle-t-il. Il requiert à l’encontre des militant·es entre trois et six mois de prison avec sursis.
« Moi aussi, j’ai envie d’aller péter deux ou trois vitres d’Arkema ! » tonne Me Olivier Forray, l’un des avocats des prévenu·es, avant de lire l’historique des accidents industriels dans la région lyonnaise. « On attend quoi pour dire à Arkema de se barrer ? Il y a une loi sur les PFAS en discussion à l’Assemblée nationale ! Ça attendra, on est plus à ça près. »
Le 4 mars 2024, jour du déferrement des prévenus, un nouvel arrêté préfectoral recommandait aux habitant·es de ne pas consommer les fruits, les légumes et les œufs dans un périmètre de 500 mètres autour de l’usine. « À ce jour, Arkema continue à produire des PFAS, elle ne dépollue pas et n’a pas proposé d’indemniser les riverains, rappelle son confrère Me Amid Khallouf. Pourtant, en 2022, elle a fait un chiffre d’affaires de 11,5 milliards d’euros et un bénéfice net de 965 millions d’euros. »
La défense questionne aussi la surveillance poussée dont ont fait l’objet les militant·es écologistes dans cette affaire, mobilisant jusqu’au chef du service interdépartemental de la PJ, Franck Douchy. Paradoxalement, le dossier manque de preuves de dégradations. « Cette enquête est une honte », juge Me Olivier Forray. « C’est un dossier éminemment politique, son objectif c’est la répression et la dissuasion, affirme Me Agnès Bouquin. Est-ce que la désobéissance civile est un délit ? »
Pollution d’Arkema à Lyon : « Mettre en danger ses voisins par cupidité, c’est criminel! »
Derrière les grilles cassées et les murs salis le 2 mars, Arkema, c’est aussi des milliers de personnes contaminées, comme le rappellent les riverains de l’usine. Stéphanie, chimiste, habite à Oullins-Pierre-Bénite depuis 20 ans. Son lait s’est révélé fortement contaminé aux perfluorés.
Le sang de Jean-Paul, qui vit à 700 mètres de l’usine, est lui aussi plein de PFAS. « L’un d’entre eux a 114 fois la dose autorisée », précise-t-il, consterné. « Face aux « réponses évasives » de l’ARS et de la Dreal, et alors que les usines comptent s’agrandir, cette action du 2 mars a été la bienvenue », tempête le riverain.
« Mettre en danger ses voisins par cupidité, c’est criminel. Comment Arkema peut-elle devenir la victime ?! » lance-t-il encore avec colère à l’avocate de l’usine. Face à une pollution massive et dangereuse, qui semble inarrêtable, la désobéissance civile est-elle un délit ? Réponse le 5 juillet.
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