Pour beaucoup d’artistes drag, participer à Drag race France est une consécration. Et ce n’est pas Edeha Noire et Afrodite Amour, bien connues de la scène de Lyon, qui diront le contraire. Les deux drag queen, qui mettent en scène une expression artistique exagérée ou excentrique de la féminité, ont été sélectionnées pour participer à la troisième saison de l’émission qui doit débuter le 31 mai.
Deux artistes aussi différentes que complémentaires. Pour Rue89Lyon, elles ont accepté de nous partager leurs débuts, leurs parcours et leurs univers.
L’art du drag comme exutoire pour Edeha Noire
« J’ai trouvé ma voie le jour où j’ai mis talons et faux cils. J’étais la personne la plus heureuse au monde ! », s’exclame Edeha Noire. À 35 ans, elle a su construire, depuis qu’elle a commencé le drag il y a sept ans, une drag queen comme « miroir de son âme » : multiple, complexe et « folle », selon ses mots.
En témoigne la multiplicité des sens derrière ce nom de scène. Edeha est une référence à Élia le prénom de l’enfant qu’elle élève en co-parentalité avec deux autres mères, mais aussi à un personnage « méchant » de jeu vidéo dont elle apprécie l’esthétique. « Et puis, quand tu prononces Edeha à l’anglaise ça fait idea (idées) noires, pour le côté tragique et dramatique », ajoute-t-elle.
Pour Edeha (prénom qu’elle utilise aussi en « civil »), le drag est un exutoire. « Edeha Noire c’est la femme que je rêve d’être au fond de moi », expose-t-elle.
Son drag est intense, passe par toutes les émotions. Le plus important reste de monter à son public qu’en tant que « personne transgenre et non-binaire (qui ne se reconnaît pas dans la binarité de genre homme/femme, ndlr), je suis comme vous, je sais jouer la comédie en public. Mon personnage est là pour piquer le cœurs des gens, rappeler qu’au fond on reste humain. » Elle ajoute, avec toute la théâtralité, qui la caractérise : « Je veux rendre les gens heureux. Je ferais couler mon sang pour tous les aider ! »
Afrodite Amour, le drag « diva des années 1980 »
Pour Clyde (prénom civil d’Afrodite Amour), le drag a commencé dans sa chambre, jusqu’au jour où il rencontre « par hasard à Paris » une de ses idoles, Jaida Essence Hall, gagnante de la saison 12 de Ru Paul’s Drag Race. Clyde se souvient de leur échange : « Elle m’a regardé et m’a dit ‘pourquoi tu fais ça dans ta chambre ? Les gens ont envie de te voir, sors !’ ».
Depuis un an et demi, Afrodite Amour est née. Un jeu de mot avec ses origines guadeloupéennes (« afro ») et sa passion pour la mythologie grecque (Aphrodite, déesse grecque de l’amour). Son personnage « est une gentille caricature de ma mère et mes tantes. Cette femme d’église un peu too much, au chapeau tellement grand que les trois rangées derrières ne voient pas ce qui se passe », explique en riant Afrodite Amour. Elle s’inspire aussi beaucoup des « divas des années 1980 » telle que Whitney Houston, Gloria Gaynor ou encore Diana Ross.
« Avec Afrodite Amour, je veux diffuser l’idée qu’on va s’éclater, passer un bon moment. Je voulais aussi créer une forme de proximité, pouvoir rencontrer du monde parce qu’avant le drag , je sortais très peu de chez moi », confie la drag queen.
Avant Drag Race, se faire une place sur la scène à Lyon
Toutes deux ont réussi à se faire un nom à Lyon. Originaire de la ville, mais ayant passé une partie de sa vie à Bruxelles et Paris, Edeha Noire dit être « revenue vers [ses] premiers amours », à Lyon, où il y a « tellement de chose à faire et à construire », explique-elle. Edeha est la « mère » d’un collectif lyonnais, « les Pleureuses », composé de cinq artistes drag aussi dramatiques qu’elle. Le groupe donne aussi des cours d’initiation au drag.
Edeha Noire et Afrodite Amour décrivent la scène drag lyonnaise comme très diverse et émergente. « Beaucoup de nouvelles générations se lancent dans le drag ici », décrit Edeha. « Je pensais que j’étais une des nouvelles têtes à Lyon, mais je fais quasiment partie des anciennes », renchérit Afrodite Amour.
Selon elles, on retrouve à Lyon davantage de formes de drag plus « alternatives » que celles habituellement connues du public : drag King, drag Queer, créatures…
Avec son personnage « classique », de drag queen féminine, Afrodite Amour affirme être paradoxalement plus singulière sur la scène lyonnaise. Une différenciation qui lui aurait également permis de « percer ».
« Je pense sincèrement que je ne serais pas allée aussi loin dans le drag si je n’étais pas à Lyon. Si j’avais commencé à Paris, je me serais noyée sous la masse », assure Afrodite Amour.
Malgré tout, les deux drag queen reconnaissent qu’il est parfois un peu difficile de se faire connaître et « booker » par des salles et dans des évènements. Ce qui pourrait changer avec leur exposition prochaine à Drag Race France.
À Lyon, une scène drag plus politisée
Une autre particularité lyonnaise selon elles : la politisation plus affirmée de la scène drag. « On aime bien ne pas garder notre langue dans notre poche à Lyon », s’amuse Edeha. Elle mentionne un sujet parmi les enjeux qui lui tiennent à cœur : les questions de précarité qui touchent la communauté drag.
Faire du drag son métier est très difficile. Edeha n’arrive que « depuis récemment » et « doucement » à en vivre. Avant le drag, elle faisait déjà des performances de « gogo dancer » à Paris. « J’ai toujours vécu dans une forme de précarité. 10 ans que je performe, 10 ans de précarité ». Elle a énormément travaillé de manière dissimulée, et touche aujourd’hui le RSA. « Il n’y a pas de miracles quand on évolue dans un milieu comme ça. On travaille aussi avec des gens précaires donc qui n’ont pas nécessairement les moyens de nous payer en cachet », détaille-t-elle.
Ce qui n’empêche pas Edeha d’insister. Elle impose d’être payée en cachet d’intermittent du spectacle. « C’est bien de gagner un billet de 300 euros sous le manteau mais un cachet de 86 euros net qui te donne une sécurité sur le long terme derrière c’est mieux », appuie la drag queen. Aujourd’hui elle souhaite donner l’exemple à celles et ceux qui débutent et aussi faire de la pédagogie, pour montrer qu’on peut faire du drag son métier tout en ayant une sécurité financière et sociale. « J’aurais aimé qu’on m’explique tout ça quand j’étais plus jeune », lâche-t-elle.
Mais s’il y a bien une chose propre au drag, c’est que toutes les expériences et les parcours ne se ressemblent pas. Pour Afrodite Amour, les débuts ont été plus simples. Clyde alternait entre son métier de conseiller de banque la journée, et les performances en soirées. Ce n’est que 10 jours avant le début du tournage de Drag race France qu’il a quitté son emploi pour se consacrer pleinement à son art.
« Je me contentais d’avoir des personnes dont c’était le métier qui m’aidaient [pour ses costumes notamment, ndlr] car avec mon emploi à plein temps je n’avais pas forcément le temps. J’avais aussi les moyens financier pour le faire », admet la queen. « Edeha était plus dans la débrouillardise que moi », ajoute-elle.
« J’ai toujours tout géré. J’ai été ma propre productrice, ma propre programmatrice, je fabrique mes costumes. J’en suis arrivée là aujourd’hui parce que je me suis dit : ‘je n’attends personne, je vais être résiliente, je vais me battre et y arriver », énonce Edeha Noire.
« Drag Race c’est le haut de l’iceberg »
Aujourd’hui, participer à la compétition Drag Race leur donne une notoriété plus grande, dont les deux drag queen comptent jouer. « Après Drag Race c’est super important de conserver la lumière qu’on obtient et de l’utiliser pour faire briller les autres et faire vivre nos communautés », promet Edeha Noire. Car, elles l’affirment : Drag Race « c’est le haut de l’iceberg ». La partie émergée d’une grande, diverse et complexe communauté drag et queer.
Reste à savoir de quelle lumière seront auréolées les deux drag queen lyonnaises. L’une d’entre elles sera-t-elle couronnée « reine de France », pour succéder à Keiona, la gagnante de la saison précédente ? Afrodite Amour et Edeha Noire maintiennent le suspens. D’un regard malicieux, elles invitent à regarder les épisodes, diffusés à partir du 31 mai sur France Télévisions, pour le découvrir.
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