« On n’aurait pas dû sortir d’ici, on est des lâches. On aurait dû rester. Qu’ils nous tuent à l’intérieur ! »
L’émotion est saisissante, ce vendredi 3 mai, à la sortie du gymnase Dargent (Lyon 8e). À peine sortie de son abri, une mère éclate en sanglot. Depuis quelques minutes, plusieurs d’entre elles défilent avec leurs poussettes devant des policiers nationaux et municipaux, stoïques, droits comme des i. « Moi, j’ai l’habitude de dormir sous les ponts. Mais il y a des bébés ici ! », hurle l’une des mères, laissant éclater sa colère face aux forces de l’ordre. Sa déclaration est suivie d’un long silence, assourdissant.
Peu avant minuit, près de 170 personnes ont été expulsées du gymnase par les forces de l’ordre. Elle dormiront dans la rue cette nuit. Parmi elles, majoritairement des femmes. Selon les collectifs, on compte 70 enfants, dont 7 bébés.
À côté, les militant·es accusent le coup. « [Gérard] Collomb ne l’avait jamais fait », lâche Juliette Murtin du Collectif solidarité entre femmes à la rue, également membre de Jamais sans toit. Ses yeux sont hagards, perdus, comme ceux de la plupart des soutiens.
Jusqu’alors, les actions de ce type ont toujours fonctionné. Cet été, le gymnase Bellecombe avait été occupé. À l’automne, le CCVA de Villeurbanne avait aussi été un lieu refuge. Dernière action en date : l’occupation de l’école (devenue Hôtel) Montel, à Vaise (Lyon 9e). Mais, cette fois-ci, les choses se sont gâtées assez vite.

Un premier gymnase expulsé à Lyon
L’action avait pourtant commencé (presque) normalement. Vers 19 h, plusieurs collectifs ont pris possession des lieux pour mettre à l’abri des familles vivant notamment sous le pont de Jean-Macé, mais aussi dans des écoles.
Rapidement, les femmes se retrouvent à l’abri, mais enfermées. Dépêchée rapidement sur place, la police municipale empêche toutes les personnes d’accéder au bâtiment, même les journalistes. « Nous avons l’ordre de ne pas vous laisser entrer », nous dit un agent devant la grille, vers 21h. Quand on lui fait remarquer qu’il est peu commun de fermer la porte à la presse, il nous dit de voir directement avec la mairie. La situation stagne.
À l’intérieur, les négociations débutent avec la Ville. Si l’hébergement d’urgence est une compétence étatique, les échanges ont eu lieu toute la soirée avec la mairie de Lyon. Consultés après coup par Rue89Lyon, les échanges entre les soutiens des sans-abri et Sandrine Runel (PS), adjointe au maire de Lyon en charge des Solidarité et de l’inclusion sociale, sont secs. « Vos méthodes ne sont pas acceptables alors que nous partageons le fond du problème », lâche l’élue à une représentante du collectif. « On préférerait faire autrement nous aussi. Est-ce que nous pouvons en discuter avec vous ? », lui répond-on.
Vers 22 h, l’élue indique qu’elle est prête à prendre un temps pour en parler « demain matin ». Les collectifs croient alors la partie gagnée pour la nuit. Il n’en est rien.

Une soixantaine de policiers pour expulser des femmes et enfants
Dehors, la police municipale a été rejointe par des fourgons de la nationale. Le nombre d’agents gonfle. D’une quinzaine, ils passent à une soixantaine en quelques minutes. La rue du professeur Paul-Sisley est noire de voitures bleues. La vingtaine de soutiens réunis devant les barrières n’en revient pas. « Ils vont vraiment le faire ? [expulser, ndlr] », s’étonne l’un.
« C’est vraiment une sale journée », lâche une autre militante. Quelques heures plus tôt, en milieu d’après-midi, le squat de la rue du Docteur-Bonhomme a également été vidé par la police, à la surprise générale. Cela fera deux dans la même journée.
L’opération se passe sans heurts. La décontraction semble même de mise chez des forces de l’ordre, plutôt souriant, voire rigolards. Le sérieux revient au moment de la sortie des femmes et enfants, sous le regard des municipaux et des nationaux.

« Vous vous rendez compte que vous allez créer un précédent ? »
Se sentant trahis, les collectifs visent un responsable : la Ville. Peu avant la sortie, les échanges se sont (encore plus) tendus avec Sandrine Runel. La socialiste avait déjà mal digéré l’occupation de l’ancienne école Montel. Visiblement, cette action est le coup de trop. « Vous n’aviez pas l’autorisation de rentrer », rappelle-t-elle aux militants.
Dans les échanges, on semble comprendre que la mairie a donné son aval pour l’intervention. De quoi rendre fou les défenseurs du logement pour tous. « Vous vous rendez compte que vous allez créer un précédent ? », lui demande l’une. « Et bien créons un précédent, lâche l’élue. Je pensais que nous avions de meilleures relations que cela. »
« Nous aussi » semblent lui répondre les collectifs. Ce samedi minuit, ils appellent à un rassemblement devant l’hôtel de ville pour manifester contre l’expulsion du gymnase. En attendant, ils espèrent trouver refuge pour quelques habitants au squat le Casse-Dalle, lui aussi menacé d’expulsion. Un refuge temporaire donc, dans un lieu déjà presque saturé.



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