Un bruit d’imprimante saccadé, le clac d’une trappe en plastique, me voilà en possession d’un carnet de dix tickets TCL. Il y a encore pas si longtemps, il ne coûtait qu’à peine plus de 14 euros, pour les moins de 26 ans. Adolescente dans la région lyonnaise, il était le symbole pour moi du passage à la « grande ville ». Lors de mes études, les tickets rouges, presque vif, étaient devenus familier. Ils traînaient par dizaines dans mes poches de pantalons et de vestes.
Mais ils n’étaient pas si nombreux à finir écornés au fond d’une poche. Vite acculturée à la vie lyonnaise, j’adoptais la pratique du « ticket suspendu ». Déposé sur les portiques à la sortie du métro, il servait à d’autres. Parfois, cet autre, c’était moi. Je fouillais parmi les petits bouts de cartons en pagaille, pour en trouver un valable encore 10, 15, 20, 30 minutes, jusqu’à l’heure fatidique de validité. Une pratique solidaire, mais illégale, comme le rappelait régulièrement les TCL, quelque peu agacés par cette coutume. Ce qui n’empêchait pas nombre d’habitants de s’y prêter.
Depuis, une carte en plastique et un abonnement TCL ont remplacé les tickets rouges dans mon portefeuille. Ces derniers devraient bientôt devenir des vestiges d’un autre temps. Début 2024, les TCL ont annoncé la fin du petit ticket en carton jetable. À partir du 15 février, un billet « sans contact », semi-rigide et vert va le remplacer. Réutilisable, les usagers pourront le charger jusqu’à dix fois, plutôt que le jeter ou le donner après un voyage.
« Pour certaines personnes, ce ticket suspendu, ça devait être une nécessité »
Le Sytral, autorité lyonnaise organisatrice des transports, défend un support « plus écoresponsable », plus « moderne », face au système de validation actuel « obsolète ». Mais avec la disparition du ticket rouge, c’est aussi la fin d’une pratique solidaire typiquement lyonnaise, adoptée par de nombreux usagers.
Jusqu’à développer des stratégies. « Dans plusieurs stations de métro que j’emprunte régulièrement, j’ai identifié les entrées où il y a le plus de tickets laissés sur les portiques, et je rentre par là », détaille Louis, ingénieur du son de 27 ans, à Lyon depuis 2019. Amené à travailler fréquemment dans d’autres villes, et utilisant plus volontiers le Vélo’v, il n’a pas opté pour un abonnement TCL, trop cher selon lui.
L’ingénieur du son utilise souvent les tickets laissés par d’autres usagers. « Parce que c’est gratuit et qu’ils vont être perdus si on ne les utilise pas, résume-t-il. Je trouve que les tickets sont trop cher pour la qualité de service des transports en commun. Mais je ne suis pas précaire, pour certaines personnes ces tickets suspendus, ça devait être une nécessité ».
Sur ce point, le Sytral renvoie à sa politique tarifaire menée depuis 2020. « Les personnes à faibles ressources bénéficient désormais d’abonnements solidaires gratuits ou à 10,50€ par mois. Des baisses significatives des tarifs ont également été accordées aux jeunes de 18 à 25 ans, aux étudiants de moins de 28 ans », rappelle l’autorité organisatrice.
Louis se montre aussi dubitatif au sujet du nouveau billet mis en place. « Si c’est un ticket en carton qui finit au fond d’une poche, on va juste les perdre et ne pas les recharger, ou alors ils ne seront plus utilisables », critique-t-il, expliquant qu’il utilisera sûrement exclusivement sa carte bancaire pour valider son trajet dorénavant.
Un ticket TCL rouge toujours utilisable… mais plus pour longtemps
Pour d’autre, le ticket rouge deviendra sûrement support de nostalgie. « Je vais devoir m’asseoir sur ceux qui restent dans mon portefeuille », s’aperçoit Antoine, 31 ans, quand on lui annonce qu’il ne sera bientôt plus utilisable. En reprise d’étude en Suisse, il a un rapport particulier au petit ticket rouge. Originaire de Lentilly, il symbolise pour lui la sortie entre amis à Lyon, à l’adolescence.
« Quand on habite en campagne, aller à Lyon, c’est un peu LA sortie. Je prenais la ligne de train qui allait jusqu’à la gare Saint-Paul et de là, Lyon s’offrait à nous. J’utilisais souvent les tickets laissés sur les portiques, quand il y en avait », se souvient-il. Le trentenaire rendait la pareille et même plus. « Quand on achetait des tickets, j’incitais aussi mes amis à laisser à la sortie », explique-t-il.
Surtout il soulève une pratique qui n’existera dorénavant plus : les personnes précaires qui récupéraient les tickets pour les revendre à moitié prix à l’entrée du métro. La fin aussi d’une petite économie parallèle lyonnaise.
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