Pas une journée ne passe sans qu’une nouvelle alarmiste n’apparaisse sur l’écran de nos téléphones, dans les colonnes de nos journaux, sur les plateaux de nos télévisions. Le changement global est en cours : le climat se dérègle, la biodiversité s’érode, les évènements climatiques extrêmes se multiplient. La responsabilité humaine est désormais un fait scientifique avéré, documenté par des chercheurs réunis au sein du GIEC, de l’IPBES et d’autres instances internationales. Pourtant la science est aujourd’hui remise en question, le doute se généralise et la défiance s’accélère. Comment expliquer ce décalage ?
Le doute en sciences
Le doute est un enjeu central de la philosophie et un outil indispensable qui participe de la démarche scientifique. Dès l’Antiquité, Platon, faisant parler Socrate face aux sophistes qui assènent des vérités et entretiennent la doxa, fait le choix de la complexité…. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », rappelle la formule célèbre. Avec Descartes, le doute devient méthodique, un moyen de construire la scientificité d’une démarche. Avec Karl Popper et l’idée de réfutabilité, c’est la capacité même à remettre en cause la véracité d’un énoncé qui fonde son caractère scientifique.
Car la science consiste à formuler une question, et avec elle une méthode, qui produit une découverte. Souvent on réalise que la question n’était peut être pas la bonne, et on se rend compte que la recherche mène à d’autres questions. La méthode scientifique part de l’ignorance pour paradoxalement… y aboutir de nouveau.
Douter de la science
Si le doute est un fondement scientifique, c’est aujourd’hui la science qui est mise en accusation. En dépit d’un constat scientifique de plus en plus avéré, le déni et le doute tendent à devenir une réalité croissante. Vaccins, réchauffement climatique, platisme, créationnisme, fake news, discours relativistes et parascientifiques pullulent et font toujours plus d’adeptes.
Aujourd’hui encore, 37% des Français se considèrent climato-sceptiques : ils doutent de la responsabilité humaine du phénomène, soit une augmentation de 8 points par rapport à 2022.. Les jeunes générations sont particulièrement exposées comme le révélait une enquête de la Fondation Jean Jaurès de janvier dernier.
Pas de doute, la défiance se généralise et la science est remise en question. Pire encore, et il suffit de voir les réactions toujours plus virulentes sur les réseaux sociaux qui s’en prennent maintenant aux scientifiques eux-mêmes. Ce n’est plus seulement le message qui est attaqué mais directement ses messagers : la science est remise en question et ses porte-parole avec.
La science du doute
Le doute se construit, il est un fait social et politique que la science elle-même tente aujourd’hui d’analyser. Un champ disciplinaire s’est d’ailleurs ouvert, au nom ronflant : l’agnotologie, sous la plume de l’auteur américain Robert Proctor. Une science qui étudie l’ignorance et plus précisément la production culturelle de l’ignorance. Si l’ignorance peut être produite de manière involontaire, elle se fabrique aussi dans le cadre d’une stratégie délibérée.
Les exemples ne manquent pas : le cas célèbre de l’industrie du tabac qui a recouru à des études scientifiques biaisées, destinées à jeter le doute sur les découvertes démontrant la nocivité du tabac. Et les faiseurs de doute essaiment aujourd’hui encore. Comme le rappelle Mickaël Correia dans un article de Mediapart, la major pétrolière Total savait dès les années 1970 les conséquences dramatiques de son activité sur le réchauffement climatique.
Science sans conscience…
La science, instrumentalisée à des fins financières, falsifie le réel. En jetant le doute sur les méfaits de tel ou tel produit, elle dilue la responsabilité de ses fabricants. À ce titre, la récente extension de l’autorisation du glyphosate pour une dizaine d’années supplémentaires est un cas emblématique. Car pour évaluer les effets sur la santé de ces produits, les autorités sanitaires se basent sur des études fournies par les mêmes industriels… Ici, la science produit de l’ignorance, et pire encore !
Comment expliquer la généralisation du doute ?
À quels enjeux existentiels et philosophiques le doute renvoie-t-il ? Pourquoi est-il plus confortable de douter de la science, pour camper sur des positions qui elles ne laissent pas place au doute scientifique ? Pourquoi préférer la croyance à la science ?
D’abord parce que notre attention est une denrée rare, et que notre temps de cerveau disponible se monnaye à prix d’or. Et il n’y a pas l’ombre d’un doute : les discours scientifiques qui interrogent nos modes de vie appellent au ralentissement et à la sobriété ne rapportent guère ! Deuxièmement, et comme le rappelle Yves Citton, dans cette économie attentionnelle et face à l’abondance d’informations que nous recevons, il devient de plus en plus complexe de hiérarchiser les informations, de distinguer l’important du banal.
Troisièmement, à l’heure de la désinformation généralisée, des réseaux sociaux et des intelligences artificielles, la distinction entre le vrai et le faux devient toujours plus complexe. Enfin, et à en croire l’apport des neurosciences, face à un état de sidération produite par l’abondance de nouvelles toujours plus anxieuses, la croyance devient un remède, un tranquillisant.
Contre la défiance et les fake-news, l’exigence de la science
La science s’intéresse aussi aux mécanismes et biais cognitifs qui motivent notre adhésion à tel ou tel discours. Étudier les ressorts individuels et collectifs pour induire des changements de comportement, c’est à tous ces sujets que les invités de ce nouveau Mercredi de l’Anthropocène tenteront de répondre. Une émission pour clôturer une journée riche en débats, interviews et chroniques pour continuer d’apprendre et d’échanger sur notre antenne, à l’écoute du changement global.
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