Comme souvent dans l’histoire moderne de l’agglomération de Lyon, la naissance du club de basket de l’Asvel débute par un pacte entre catholiques et laïcs. Auréolé d’un titre de champion de France excellence en 1946, Pierre Barbier, président de l’Éveil Lyonnais-Sainte Marie de la Guillotière, cherche à constituer un grand club de basket pour la région lyonnaise. Il a réussi à attirer de grands joueurs mais il lui manque des infrastructures sportives.
Il se tourne vers l’Association sportive Villeurbannaise, club omnisport et laïc qui occupe un nouveau stade municipal (le futur stade Georges Lyvet), et les deux structures fusionnent. Le président de ce nouveau club, nommé « Association Sportive Villeurbanne Eveil Lyonnais » ou « Asvel » est l’ancien président de l’AS Villeurbanne et patron d’un bar-tabac. Il s’agit de Pierre Millet, décrit comme une forte personnalité locale « proche de la mairie communiste de l’époque ».
Le premier logo est imaginé par le premier entraîneur de l’équipe de basket, Georges Darcy : le vert et le noir sont les couleurs de l’AS Villeurbanne et de l’Amicale des Charpennes, avec le lion lyonnais et le dauphin qui rappelle que Villeurbanne appartenait autrefois à la province du Dauphiné. En 1960, le blanc remplacera le noir.
Le journaliste de l’Équipe, Claude Chavally, raconte dans son « ABCdaire de l’Asvel » paru en 2010 que l’Asvel est considéré dans ces années d’après-guerre comme une « équipe de vagabonds » car elle s’est entraîné sur différents terrains de jeu, jusqu’à la construction de la Maison des sports, cours Émile Zola.
C’est le maire de l’époque, le socialiste (SFIO) Étienne Gagnaire (maire de 1954 à 1977) qui contribue grandement à la sédentarisation de l’Asvel à Villeurbanne en bâtissant cette salle municipale. Entrée en service le 5 novembre 1957, elle peut accueillir 2018 places. Une grande capacité pour une salle de basket de l’époque. La Maison des Sports est rebaptisée le 1er avril 1995 du nom du président qui a marqué l’historie du club, Raphaël de Barros, décédé le 7 août 1993, au moment où l’Asvel intègre sa nouvelle salle l’Astroballe.
Ainsi, alors que le projet originel est d’en faire un club lyonno-villeurbannaise, la structure penche vite du côté villeurbannais. Les titres de champions rapidement glanés finissent d’asseoir le basket lyonnais à Villeurbanne.
Le club de basket le plus titré de France
À peine créé, le nouveau club de l’Asvel obtient un premier titre de champion de France élite (dont le nom a changé pour se nommer aujourd’hui Betclic Élite). S’en suivent cinq autres titres jusqu’en 1957, soit six sacres en huit ans.
Après une petite traversée du désert entre 1957 et 1964, l’Asvel redevient hégémonique jusqu’au début des années 80, avec notamment son meneur Alain Gilles, considéré comme le « meilleur basketteur français du XXe siècle » par la Fédération française. Le club perd ensuite de sa superbe jusqu’au début des années 2000.
Au total, l’Asvel dispose du palmarès le plus fourni du championnat de France de basket, avec 21 titres de première division. Surtout, c’est le seul club de l’élite des sports collectifs à ne jamais avoir été rétrogradé en division inférieure. Record en cours en 2023. Seule ombre sportive au tableau, l’Asvel n’a pas remporté une coupe d’Europe, contrairement au CSP Limoges, son grand rival des années 80-90.
Une faible concurrence lyonnaise pour l’Asvel
« Locomotive du basket » dans la région, l’Asvel n’a pourtant pas été le seul club de l’agglomération lyonnaise à évoluer au plus niveau. Mais les Villeurbannais ont écrasé la concurrence venue de la ville voisine pour demeurer l’unique club d’élite de basket de la métropole de Lyon.
Dans les années 60, le Stade Auto Lyonnais ou « SA Lyonnais », héritier du club omnisport l’Union Sportive Berliet, créé pour les ouvriers des usines automobiles, a tenté de contester l’hégémonie des Verts. Les basketteurs lyonnais ont terminé vice-champions de France en 1960 derrière l’Asvel. André Buffière, une autre gloire villeurbannaise, a même entraîné cette équipe après avoir été l’entraîneur-joueur de l’Asvel du début des années 50.
Les derbies se jouaient alors au Palais des sports de Gerland inauguré en 1962. Ce club de basket a aujourd’hui disparu. C’est dans ce même Palais des sports que l’Asvel a organisé ses matchs de coupe d’Europe et ses grands matchs nationaux avant la construction de l’Astroballe. Les records d’affluence de l’Asvel se trouvaient donc à Gerland, avec des rencontres réunissant de 8 000 à 10 000 spectateurs.
Le journaliste du Progrès Serge Galichet, préposé au suivi du basket, se souvient particulièrement d’un 26 février 1986 et d’un Palais des sports « bourré jusqu’aux cintres », lors d’un article sur la défaite du club contre les Soviétiques de Kaunas (Lituanie), en demi-finale de la coupe des coupes.
Au début des années 90, l’Asvel a dû affronter une nouvelle équipe lyonnaise, le Jet Lyon. On doit au PDG de Jet Service (un service de livraison), Roger Caille, le premier « naming » (accoler le nom du principal sponsor ou actionnaire au nom du club ou du stade) de l’histoire du basket français, bien avant Adecco et LDLC pour l’Asvel. Celui-ci a fait de la CRO (Croix-Rousse Olympique) Lyon un club professionnel en attirant quelques grands noms du basket français dont de vieilles gloires villeurbannaises.
Après son accession au championnat d’élite, le Jet Lyon a stagné en milieu et fin de classements. Et n’est pas parvenu à décrocher des titres comme son voisin villeurbannais. Symboliquement, l’Asvel a battu le Jet Lyon pour son premier match dans « sa » nouvelle salle de l’Astroballe, le 15 mars 1995. De défaites en déconvenues financières, l’homme d’affaires Roger Caille a renoncé à Lyon en 1996. Le Jet est redevenu la CRO Lyon et est reparti des tréfonds des divisions régionales pour évoluer aujourd’hui en Nationale 3.
En matière de basket, Lyon c’est Villeurbanne
L’année 1996 constitue un tournant dans la manière dont les élus de la Ville de Lyon ont envisagé le basket pro dans l’agglomération. Cette année-là, le maire de Lyon Raymond Barre a signé un accord de partenariat avec l’Asvel, qui joue pourtant depuis 1995 tous ses matchs à Villeurbanne. À la clé, une subvention d’1 million de francs de l’époque. Une seule exigence de la part de l’ancien Premier ministre : le changement de nom, transformé en « Asvel Lyon-Villeurbanne ».
Faute de club d’élite dans leur ville, les politiques lyonnais ont prolongé cette politique de soutien au basket professionnel.
- Sous Gérard Collomb, qui a continué à la Métropole comme à la Ville malgré une forte diminution.
- Sous les écologistes depuis 2020, qui soutiennent particulièrement l’ASVEL féminin, né du rachat en 2017 par Tony Parker du FC Lyon Basket féminin. Grégory Doucet s’est même affiché, célébrant le titre de l’Asvel féminin de 2023.
Parallèlement, depuis la fin des années 90, les actionnaires successifs de l’Asvel devenu Société Anonyme à Objet Sportif en 1998 puis SASP (Société Anonyme sportive professionnelle) se projettent à l’échelle de l’agglomération lyonnaise notamment dans la recherche d’un site d’implantation d’une grande salle.
Villeurbanne, c’est l’Asvel (et inversement)
Si la tendance actuelle est à la métropolisation de l’Asvel, elle s’est accompagnée depuis la fin des années 80 et la professionnalisation du basket en France, d’un soutien financier massif de la part de la Ville de Villeurbanne.
Un lien fort existait déjà jusqu’en 1988 mais cette année-là, un fait rare s’est produit. Le député-maire socialiste Charles Hernu est devenu président de l’association à la suite de la démission du « paternaliste et gaulliste » (selon l’expression du journaliste Claude Chevally) Raphaël de Barros après 25 ans de mandat.
Tout d’abord réticent, « estimant que l’argent des contribuables ne devait pas servir à créer de séparation entre le sport de masse et l’élite », Charles Hernu apporta un appui financier « sans précédent ». Le journaliste de l’Équipe Claude Chevally raconte l’anecdote qui aurait contribué à cette bascule :
« Alors qu’il était ministre de la Défense de François Mitterrand et à l’occasion d’un voyage au Liban, un homme politique crut bon de lui demander de quelle ville il était maire. Quand Charles Hernu eut dit Villeurbanne, la réponse fusa : « Ah ! La ville d’Alain Gilles et de l’Asvel », sous prétexte que l’équipe de France militaire avait un jour joué à Beyrouth, avec Gilles dans ses rangs. Déduction de Charles Hernu : « en voyant qu’Alain Gilles était plus connu là-bas que le ministre de la Défense, j’ai compris la place que tenait le basket dans notre ville ». Il dit avoir pris ce jour-là une bonne leçon d’humilité.
Avec Charles Hernu, l’Asvel est devenu un sujet politique, principalement autour de la question de la construction d’une nouvelle salle pour remplacer la Maison des sports, considéré comme trop petite et inadaptée au sport professionnel. Un projet existait depuis 1978 mais n’avait pas pu être réalisé faute de financement suffisant de la municipalité.
Maître d’œuvre, la municipalité est parvenue à ses fins grâce à l’appui du Conseil général, de la Communauté urbaine et de la Région. D’une capacité de 4851 places (portée à 5278 sièges par la suite), l’Astroballe a été inaugurée en février 1995 par un match gagné contre le Jet Lyon.
À Villeurbanne, la mairie bichonne l’Asvel tant qu’elle reste à la maison
Cet important soutien financier est prolongé par Jean-Paul Bret (maire PS de Villeurbanne de 2001 à 2020), le poussant jusqu’à 1 million d’euros de subventions et diverses aides de la Ville. Face aux différentes critiques portant sur cette aide financière hors du commun pour le basket professionnel, c’est l’histoire du club et de Villeurbanne qui est mise en avant.
Mais cette relation fusionnelle a été malmenée par le projet de nouvelle salle voulu par le club. Ce dernier espère accueillir les matchs d’Euroleague, avec une capacité de 12 000 places. Pour maintenir le lien avec la commune, la Ville de Villeurbanne avait manié la carotte et le bâton, en proposant un terrain à une encablure de l’Astroballe et en menaçant l’Asvel de revoir son partenariat si le club allait voir ailleurs dans la métropole.
Actionnaire majoritaire en 2014, Tony Parker, après avoir déclaré sa flamme à Villeurbanne, choisit l’OL Land de Jean-Michel Aulas à Décines. Jean-Paul Bret a mis alors sa menace à exécution en baissant d’un tiers la subvention pour le budget de 2020.
Depuis l’arrivée de Cédric Van Styvendael, les relations se sont apaisées. Si les différentes aides n’ont pas retrouvé leur niveau d’antan, la Ville a signé une nouvelle convention avec LDLC Asvel (comme il faut appeler le club depuis 2018). Cette convention a fait tousser dans la majorité municipale, particulièrement chez les écologistes qui se sont historiquement positionnés contre ces aides massives au sport business.
Parallèlement, comme l’expliquent nos confrères de Mediacités, l’arrivée de John Textor à la tête de l’OL fragilise la position de Tony Parker qui a besoin de la Ville de Villeurbanne particulièrement pour rénover l’Astroballe, où le club va jouer la plupart de ses matchs français. En février dernier, les déclarations d’amour ont alors refleuri à l’occasion de la signature de cette nouvelle convention entre le club et sa « ville de cœur ». Un idylle – pour l’instant – sauvée.
Chargement des commentaires…