Jean-François Feunteun est cadre de la fonction publique. Pourtant, samedi 19 août à Lyon, il n’était pas vêtu de son col blanc. C’est dénudé qu’il a pédalé avec d’autres cyclistes nudistes à Lyon pour la deuxième édition française du World Naked Bike Ride (WNBR) ou Manifestation cyclo-nudiste mondiale.
Cet évènement international rassemble des cyclistes dans leur plus simple appareil pour pédaler sur plusieurs kilomètres, en passant par des grandes villes, pour porter diverses revendications allant de la sécurité routière pour les vélos, à la lutte contre le changement climatique, en passant par la demande de paix dans le monde.
Une manifestation de naturistes au cœur de la polémique à Lyon
Une trentaine de cyclistes – que vous avez peut-être croisé·es – ont donc été autorisé·es par la préfecture à circuler du parc de Miribel-Jonage à Villeurbanne, nu·es, sous l’encadrement de policiers. Le point de départ initial avait d’abord été fixé au Port Rambaud (Lyon 2e) dans le quartier de Confluence, avant que le parcours ne soit refusé par la préfecture, au profit du parcours entre Miribel-Jonage et Villeurbanne.
Quelques jours auparavant, cette manifestation a créé la polémique. La conseillère municipale, Béatrice de Montille, notamment, avant demandé son interdiction. Auprès du Figaro, elle a même qualifié l’évènement de « militantisme anti-voiture et pro-vélo », ainsi que de « nouveau signal faible d’une forme de décadence ». L’élue s’est ensuite félicitée du changement de parcours acté par la préfecture. En 2022 déjà, l’opposition de droite à Lyon s’était émue du passage de cette manifestation dénudée dans les rues de la ville.
Face à ces accusations, Jean-François Feunteun défend avec ferveur cette pratique souvent cible de préjugés, tout en revendiquant un rapport plus sensible à la nature. À 59 ans, il est aussi président de la confédération Le Mouvement Naturiste qui organise le WNBR en France. Il était présent à Lyon pour la huitième étape du WNBR 2023 et témoigne pour Rue89Lyon.
« Pour être vu, il faut être nu »
« La nudité est un vecteur qui permet d’attirer l’attention, tant elle est taboue dans la société. Pour être vu, il faut être nu. Et donc aussi pour être entendu. Regardez les Femen par exemple, elles se servent de la nudité pour porter leurs revendications. Parfois, la nudité est nécessaire. Elle relève de la liberté d’expression. Dans le cadre de la WNBR, elle permet de sensibiliser en symbolisant la fragilité du corps.
Pour autant, cette manifestation cyclo-nudiste est ouverte, il ne s’agit pas d’une manifestation naturiste pour les naturistes. C’est une action éco-citoyenne qui a pour objectif de défendre la sécurité routière des cyclistes en premier lieu, et de défendre le climat et la biodiversité en second lieu.
Quelques jours avant que l’on arrive à Lyon pour la huitième étape du WNBR, l’élue Béatrice de Montille [conseillère municipale à Lyon du groupe Droite, centre et indépendants, ndlr] avait demandé l’interdiction de l’évènement à la préfecture à cause du nudisme. Cela a suscité de nombreuses polémiques sur les réseaux sociaux. Personnellement, j’estime que c’est le jeu démocratique, les gens ont le droit de s’exprimer, même à notre encontre. Puis, il faut le dire, le but de cette manifestation est de faire réagir.
Mais selon moi, un arrêté préfectoral interdisant la WNBR à cause de la nudité des participant·es est un acte nudophobe. Pourtant, la simple nudité n’est pas illégale en France, comme en Espagne ou en Angleterre (voir encadré). Ce qui est illégal c’est l’exhibitionnisme lié à la sexualité et à l’obscénité.
8ème étape de la manifestation cyclo-nudiste à Lyon
« Samedi, le rendez-vous était à neuf heures à la plage de la Mama [Espace nudiste du Parc Miribel Jonage, ndlr], pour une séance de bodypainting. Le départ en vélo, lui, était à 10h. Nous nous sommes dirigés vers l’INSA à La Doua où il y a eu une petite surprise artistique avec l’ensemble des participant·es. Puis nous sommes repartis en direction de la plage pour un pique-nique et une baignade en ce jour caniculaire. En tout, le parcours faisait une dizaine de kilomètres à parcourir dans Lyon et Villeurbanne. L’an dernier, pour la première édition du WNBR, nous avons réalisé le même parcours à Lyon.
Lyon a un patrimoine culturel lié à la nudité, il suffit d’écouter quelques paroles du Chant des Canuts pour s’en rendre compte : « C’est nous les canuts, nous sommes tout nus. » Nous l’avons mis à fond sur nos guidons hier !
Lyon est aussi une ville ouverte, avec des pistes cyclables aménagées. C’est honorable car c’est bien moins souvent le cas en milieu rural. Ce choix du WNBR de traverser les grandes villes vient à la fois du fait qu’elles concentrent la majorité de la population, et du fait que c’est en milieu urbain que la plupart des accidents de cyclistes se produisent. Par rapport à 2019, en 2022 on constate une augmentation de 30% des accidents mortels de cyclistes sur les routes en France.
« Les naturistes sont plus à même de comprendre le changement climatique »
On veut également faire ressortir le lien entre le naturisme et le vélo. Le vélo est un mode de déplacement doux, qui ne pollue pas. On utilise notre propre force motrice pour circuler et c’est qui permet une forme d’harmonie avec la nature en ayant quasiment zéro impact sur elle.
Il devient vital aujourd’hui de modifier nos comportements et de prendre réellement conscience du changement climatique. L’urgence, l’enjeu du XXIème siècle, c’est le climat. De nombreuses solutions ou actions sont proposées par les ONG qui sont prêtes à collaborer avec les pouvoirs publics. Mais pour les mettre en œuvre et faire changer les choses, il faut du courage politique.
Ce cancer qu’est l’humanité va à sa propre perte. La menace d’extinction touche aussi les humains. Darwin l’a démontré, on ne peut plus se croire externe à la nature. Pourtant, les milieux anthropiques et donc les villes sont une catastrophe pour la biodiversité, pour les insectes et les oiseaux particulièrement.
Les naturistes sont peut-être plus à même de comprendre l’urgence climatique et la sixième extinction car on a un rapport différent à la nature, plus sensible. Moi j’ai fait le choix de vivre dans un environnement naturel et isolé. Je peux être nu chez moi autant que je le souhaite et être en harmonie avec la nature et le vivant. Je ne pourrais plus habiter en milieu urbain aujourd’hui, ce serait une souffrance pour moi.
De même notre rapport à notre corps, en cherchant à le garder sain, nous amène à faire attention à notre façon de le traiter. On évite les excès, on mange des produits les plus naturels possibles, on a plutôt tendance à consommer du bio. D’ailleurs, de manière plus contraignante, les pionniers du naturisme voyaient même le végétarisme comme inhérent à ce mode de vie.
« J’ai toujours été naturiste »
Au fond de moi, j’ai toujours été naturiste. Néanmoins, j’en ai réellement pris conscience à l’adolescence. Je me baignais déjà nu. J’ai grandi en Bretagne dans les années 1980, et comme beaucoup j’ai été choqué par la marée noire, les oiseaux mazoutés.
Cette catastrophe à fait naître mon militantisme naturiste et écologiste. Mes revendications se résument d’ailleurs tout à fait au slogan du Mouvement Naturiste : « Pour que vivent la nature et notre HumaNUté (sic) ».
C’est d’ailleurs dans ces mêmes années 1980 qu’on a vu la victoire de la gauche aux présidentielles et aux législatives., et avec cette élection, le mouvement de libération des mœurs. Cela a notamment permis le développement des centres naturistes et des plages dites « libres ».
J’ai vite commencé à y aller. D’abord seul, puis avec avec ma famille. Cela s’est fait naturellement, même si ma mère n’est jamais totalement entrée dans le naturisme. En revanche, j’ai réussi à convertir mon conjoint. Maintenant, il ne supporterait plus de se rendre sur une plage textile. Quand on a goûté à la nudité, il est difficile de s’en passer.
« On doit à nouveau mener la bataille du corps libre »
L’après mai 68 marque l’aboutissement d’une période d’émancipation, de libération des tabous. Par rapport à aujourd’hui, je considère que les générations ont reculé. Sur les plages les maillots de bains pour hommes se sont rallongés et pour les femmes le topless n’est plus une pratique aussi courante qu’avant. On doit à nouveau mener la bataille culturelle du corps libre.
Au sein de la confédération Le Mouvement Naturiste, nous avons mis en place une antenne d’écoute. En effet, la nudophobie est bien réelle. Rien que le fait de se faire voler ses vêtements ou se faire insulter lorsque l’on se baigne nu c’est de la nudophobie. Et il existe des actes graves de nudophobie qui peuvent être traumatisants. Il y a peu, un jeune homme nous a appelé car il s’était fait agressé en raison de sa nudité. Un groupe de personnes lui a jeté des pierres, puis l’a frappé.
De même, on voit apparaître des agressions dans les salles de sport. Ce qui paraissait normal il y a plusieurs dizaines d’années, c’est-à-dire se doucher nu dans les vestiaires, est maintenant considéré comme une atteinte punie de violences.
Pour moi, il y a un corsetage des corps qui implique une absence totale d’acceptation de la nudité. On revient à un ordre morale hérité de l’Église et de Saint-Augustin notamment qui considérait que le corps était sale, détestable.
« Dès lors que la société sera protégée et sereine pour les femmes, elles pourront être naturistes »
La nudophobie est également vécue par les femmes. Lorsque l’on dit à une femme que ses vêtements sont trop courts, c’est de la nudophobie.
Ce qui explique aussi la relative absence de femme dans le naturisme, que ce soit pour les WNBR ou bien dans les lieux naturistes. S’il y a une majorité d’hommes naturistes c’est parce qu’il est plus facile pour un homme de se montrer nu. La nudité féminine constitue une menace.
Il ne faut pas détourner le sens de la nudité pour en faire un symbole de la sexualité ou une source de tentation. Une femme, qu’elle soit habillée ou nue, n’est pas un objet de désir. Dans le naturisme, la nudité c’est le respect des corps.
Il faut éduquer vos fils et non pas vos filles. Dès lors que la société sera protégée et sereine pour les femmes, elles pourront oser être naturistes. Pour le moment ce n’est pas vraiment le cas.
« Le naturisme, l’école de la tolérance »
Le naturisme est une sagesse, une philosophie, un mode de vie dont le nudisme fait partie intégrante. Il y a à la fois un aspect hygiéniste lié à la santé et au bien être, et un aspect symbolique qui représente les valeurs républicaines : la liberté, l’égalité et la fraternité. Ce rapport à la nature et au corps entre harmonie et dignité humaine accepte toutes les différences, octroyant ainsi une ouverture d’esprit particulière. D’ailleurs, c’est ce que constate les enseignant·es chez nos enfants.
Le nudisme, seul, n’est que l’acte de se dénuder, il est une pratique. Le naturisme est un art de vivre, une philosophie du corps et de la nature, un cheminement qui associe plusieurs pratiques. C’est une école de tolérance, de respect d’autrui et de soi même. »
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