Ce 20 mars 2023, le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) a publié son 6e rapport. Sans surprise, il réaffirme le consensus scientifique international sur les dérèglements à l’œuvre à l’échelle planétaire. Réchauffement climatique, intensification des variations météorologiques brutales, fonte des glaciers, modification des courants marins et de l’acidité des océans, généralisation des pollutions chimiques des eaux et de l’air, extinction massive des espèces, épuisement des ressources, déforestation, multiplication des mégafeux, etc. Et ce dérèglement global renforce toutes les formes d’inégalités.
Face aux crises, on dit la science inaudible, la fiction l’est-elle plus ou mieux ?
Et pourtant, les décisions qui s’imposent peinent à être prises, pire encore, elles font monter les tensions et les conflits. Sur l’eau, par exemple, alors que l’on pensait ce sujet réservé aux Suds, il est maintenant bien présent dans les Nords. Nous sommes nourris de cultures irriguées, or le stock disponible ne grossit pas : 3 % d’eau douce contre 97 % d’eau salée. Et le changement climatique, l’élévation des températures et les canicules de plus en plus intenses menacent les nappes phréatiques.
En janvier 2023, Greta Thunberg a eu vingt ans. Stockholm, été 2018, nous la voyons avec son petit panneau devant le parlement suédois, seule, elle proteste contre l’inaction climatique. Elle est debout, tout entière engagée. Très vite, partout d’autres se lèveront, beaucoup de femmes ; d’autres crieront au loup, grand bien leur fasse, elle nous a remis debout. Cette puissance de celle ou celui qui dit non, là où il se trouve, seul ou collectivement, me sidère et m’emporte.
La science documente et alerte, les citoyens luttent
Rien n’est jamais donné. Les mobilisations pacifiques cheminent aux côtés d’épisodes de violence pour avancer vers un monde plus juste : mouvement des droits civiques aux États-Unis, mouvement indépendantiste en Inde, mouvement pour le droit de vote avec les Suffragettes, mouvements actuels en faveur du climat. C’est ce que nous donnent à lire les ouvrages de Maryline Desbiolles et de Sylvain Pattieu (que Valérie Disdier recevra à 13h).
Charbons ardents (Seuil, 2021) : 1983, de Marseille à Paris, des jeunes inspirés par Christian Delorme, curé engagé de la banlieue lyonnaise, “marchent pour l’égalité et contre le racisme ». Ils luttent pour leurs droits dans une France qui n’a pas digéré la décolonisation. Ils font le choix de la non-violence. Panthères et Pirates (La découverte, 2022) : deux étudiants afro-américains des années soixante sont emportés par l’élan révolutionnaire des Black Panthers, ils détourneront un avion. Plus tard, en France, ils comprendront que leur lutte est celle d’une convergence qui entremêle des questions de race et de classe.
Que peut la littérature dans la lutte ?
Le 9 décembre 1964, à l’invitation de Clarté, le journal de l’Union des étudiants communistes français, un débat à la Mutualité attira une foule nombreuse, défraya la chronique et devint très vite légendaire au point de passer pour emblématique de son époque. Ce débat réunissait Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Yves Berger, Jean-Pierre Faye, Jean Ricardou et Jorge Semprun, autour d’une même question : « Que peut la littérature ? ».
Le débat s’est reposé ensuite très régulièrement sans qu’il ne soit tranché. Jean-Paul Sartre dira qu’aucun roman ne tient devant la mort d’un enfant ou quelque drame semblable. Que la littérature ne peut rien. Si peu, ou alors seulement ceci : « Il s’agit, pour chacun d’arracher, de son vivant, sa propre vie à toutes les formes de la Nuit. » Plus proche de nous, Édouard Louis dit : « ce qui est écrit a été vécu, ce que vous allez lire est vécu, donc sujet à l’action concrète. »
Je pencherai vers l’idée qu’écrire vous oblige. Vous oblige à aller chercher profond en vous, à remuer tant de choses pour faire vivre une histoire, des personnages, des intrigues et des récits, qu’elle fabrique un pan d’histoire, une vérité. Et sa réception n’est-elle pas fondamentale ? Ce qu’elle provoque chez la lectrice et le lecteur n’est-elle pas parfois décisive, source de bifurcation ? Tant de livres m’ont ouvert au monde, m’ont rendu « plus vaste », dira Antoine Compagnon, professeur au Collège de France. Christian Delorme, le curé des Minguettes, le pressentait lorsqu’il ne cessera de donner des livres aux jeunes afin de diriger leurs colères sourdes et leurs indignations vers une action collective de protestation pacifique.
Vous l’aurez compris, nous parlerons de luttes et de littérature, mais aussi…
Florian Fomperie, François De Gasperi, Damien Rondepierre et Emma Novel seront aux manettes de leur journal haut en couleurs. Bérénice Gagne ne manquera pas de faire une revue de presse réjouissante et lira Banquises de Valentine Goby, (Albin Michel, 2011) puis Capitaine Vertu de Lucie Taïeb (Editions de l’Ogre, 2022). Jindra Kratochvil et Valérie Disdier, avec leurs billets décalés, apporteront un peu de légèreté. Juliette Michel recevra Jan Carson autour de son écriture ancrée dans un territoire, et la manière dont notre époque nourrit ses thèmes.
François De Gasperi recevra Jakuta Alikavazovic pour échanger sur la nécessité d’opérer des ponts entre les langues et les cultures, afin de chercher des chemins de traverse et composer de nouveaux récits plus compatibles avec des enjeux toujours plus pressants. Anne Guinot lira Quand tu écouteras cette chanson (Stock, 2022) de Lola Lafon, livre magnifique où l’autrice narre sa nuit passée au cœur de l’annexe d’Anne Frank, où elle vécut cachée deux années avant d’être assassinée. Depuis sa cage, Anne Frank, encore une jeune fille en lutte contre les fureurs du monde.
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