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L’appel avait été lancé dès le 1er Mai. Il avait notamment été relayé sur Instagram : “Manif régionale contre la réforme des retraites, l’inflation et les violences policières”. Un post publié par le « Comité de Lutte Lyon » mercredi 3 mai. Le rendez-vous, inscrit en gros et gras était fixé au samedi 6 mai à 14 heures, place Jean-Macé, dans le 7e arrondissement de Lyon.
En ligne de mire principale, la réforme des retraites :
“Nous voulons obtenir le retrait total de cette réforme des retraites et souhaitons que cette victoire en appelle d’autres”, est-il énoncé en présentation du comité.
Cette manifestation s’inscrivait également dans la semaine d’actions initiée par les Camarades du S, rassemblés en soutien à Serge, gravement blessé lors à Sainte-Soline, le 25 mars dernier. “Et à tous·tes les blessé·es des violences policières”, complète le comité lyonnais.
Une manifestation à Lyon en complément de l’agenda intersyndical
Si le mouvement précisait vouloir réunir un maximum de monde – dont une base solide de syndicats, la manifestation étant pensée en complément de l’agenda intersyndical – dans une ambiance “festive, déterminée mais familiale, traditionnelle”, le communiqué annonçait une absence d’opposition « à celles et ceux qui souhaiteraient s’exprimer de manière différente” :
“Dans notre respect de l’application de la diversité des tactiques pour arriver à la victoire, nous permettrons à tous et à toutes d’exprimer leur juste sentiment de révolte comme ils et elles l’entendent”.
La manifestation de ce samedi était regardée avec la plus grande attention par la préfecture du Rhône, qui avait décidé de l’interdire vendredi matin, soit la veille du rendez-vous.
« Les dégradations importantes aux abords et à l’intérieur des manifestations à Lyon ont dépassé le cadre normal de la revendication »
La manifestation aurait pu passer par l’avenue Jean-Jaurès, dont les stigmates du début de semaine sont encore bien visibles.
Si Lyon a enregistré une mobilisation record pour ce 1er Mai 2023, le parcours laborieux a été jalonné de commerces vandalisés, de feux et de nuages de lacrymogène.
Dans son arrêté publié vendredi en fin de matinée sur son site, la préfecture insistait naturellement sur de « nombreux incidents » passés pour justifier son interdiction :
« Le lundi 1er mai 2023 17 000 personnes dont 2000 individus à risque ont défilé dans les rues
de Lyon occasionnant de nombreux incidents ; que des appels avaient été lancés sur les réseaux sociaux pour venir à cette manifestation « masqué, muni d’un parapluie » « pour déjouer les plans de la Préfecture » ; qu’à cette occasion, des commerces de tout type (banques, agences intérim, magasins d’alimentation, magasins de cycle) ont été vandalisées par un groupe de 1000 black bloc ; que du mobilier de présentation en bois dans ces commerces, situé le long du parcours, a été sorti sur la voie publique pour y être incendié ; que le groupe d’ultragauche identifié a jeté des bouteilles remplies d’essence et de peinture enflammées sur les forces de police ; que les nombreuses agences bancaires et agences immobilières qui ont subi des bris de vitrines depuis 2 mois s’étaient barricadées avec des planches en bois, destinées à éviter des nouvelles dégradations, ont vu leurs protections arrachées par des individus qui ont enflammé ces plaques ; que des commerces alimentaires ont été saccagés et de la marchandise a été pillée pour être jetée sur la rue au motif de « créer des paniers antiinflation » ; que 66 individus ayant commis des dégradations et jeté des projectiles ont été interpellés »
La préfecture évoquait également les « 15 doléances de commerçants » du 7ème arrondissement qu’elle a reçues pour conclure que « les dégradations importantes et les troubles à l’ordre public caractérisés en marge, aux abords et à l’intérieur des manifestations à Lyon ont dépassé le cadre normal de la revendication pour se muer en violences aggravées contre les personnes et les biens, les forces de l’ordre, les bâtiments publics et les commerces. »
La solution pour la préfecture : interdire la manifestation. Au vu de cet argumentaire, les mêmes potentielles interdictions pèsent sur les prochaines manifestations, dont la manif intersyndicale le 6 juin prochain pour laquelle on ne connaît pas encore le parcours.
Recours victorieux contre l’interdiction
Vendredi après-midi, représenté par les avocat Olivier Forray et Agnès Bouquin, le « Comité de Lutte Lyon » a déposé un recours en référé-liberté contre cette mesure liberticide devant le tribunal administratif de Lyon :
« C’est anticonstitutionnel. On a tout fait dans les règles. Le mail de déclaration a été envoyé le week-end dernier, donc largement avant les 3 jours requis. Il faut qu’on prenne tous position massivement pour nos droits fondamentaux ».
Vendredi midi, le Comité de Lutte attendait toujours la notification de cette interdiction. Sur la forme et le fond, les organisateurs de la manifestation contestaient cette interdiction :
« L’argument est illogique : la préfecture se base sur une “potentielle violence” en référence au 1er Mai. Ce n’est pas juste de statuer sur du potentiel. C’est même encore plus grave : à partir du moment où il y a une contestation massive et populaire, nous perdons le droit de manifester ».
Le Comité de Lutte a le sentiment de s’être fait balader par la préfecture :
« Au départ, nous voulions partir de la place Jean-Macé en direction du parc de la Tête d’or. La préfecture nous a proposé un tracé alternatif, partir de Jean-Macé et aller jusqu’à la Manufacture de tabac ».
Le référé-liberté a été audiencé ce samedi à 10h au tribunal administratif de Lyon. Le juge des référés a suspendu l’arrêté préfectoral qui interdisait « la manifestation intitulée « Manifestation régionale contre la réforme des retraites et l’inflation » déclarée le 6 mai à 14h à Lyon ».
Les manifestants défileront entre la place Jean-Macé et la Manufacture des tabacs.
« Une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester »
Dans son ordonnance de ce samedi matin que nous avons pu consulter, le juge des référés a estimé que la préfète du Rhône ne devait pas prendre une « interdiction totale de manifester ». Ce faisant, elle a porté « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester ».
Dans sa décision, le juge des référés fait d’abord un pas en direction de la préfecture du Rhône en reconnaissant d’une part que « les derniers rassemblements organisés contre la réforme des retraites à Lyon se sont tous traduits par d’importantes dégradations de locaux commerciaux, de matériels publics, et ont occasionné de nombreuses blessures parmi les forces de l’ordre » et que, d’autre part, « la manifestation projetée apparaît (…) de nature à entraîner des risques avérés de troubles à l’ordre
public ».
Puis le juge estime que la « préfète pouvait pour ce motif prendre des mesures tendant à limiter strictement dans le temps et dans l’espace la manifestation projetée » et non pas décréter une interdiction totale de manifester. Le juge note que les organisateurs « avaient accepté [le parcours] initialement proposé par la préfecture ». Et par ailleurs, les « contraintes particulières pour les forces de l’ordre » liées à la venue d’Emmanuel Macron lundi mis en avant lors de l’audience par la préfecture n’ont pas été « suffisamment précisées ».
À Lyon, la manifestation du 1er Mai vu comme un « spectacle de désolation »
Cette interdiction n’était pas une surprise, vu les déclarations de ces derniers jours, notamment celles des autorités. Interrogée mardi 2 mai à l’Assemblée nationale, la Première ministre Elisabeth Borne regrettait “un nouveau palier” de violence franchi, rapporte Le Parisien. Le gouvernement mentionne trois villes en particulier : Paris, Nantes et Lyon, où « des groupes violents se sont mêlés à des cortèges pacifiques ».
Le lendemain, à l’occasion de l’audience des comparutions immédiates de huit prévenus déférés, le substitut du procureur de la République de Lyon détaillait :
“Jamais, depuis le 17 mars, nous n’avions constaté un tel spectacle de désolation à Lyon avec plusieurs commerces dévastés, des institutions menacées, 74 fonctionnaires blessés”, a-t-il énuméré selon Le Progrès.
Six personnes ont été condamnées à des peines de 3 à 10 mois de prison avec sursis.
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