Farid (le prénom a été modifié), 27 ans, travaille comme livreur dans l’agglomération lyonnaise. Ce vendredi 16 décembre, vers 3 heures du matin, il se préparait comme d’habitude à aller travailler. Distraitement, il jette un coup d’œil sur son téléphone et voit des images d’incendie sur le Snap d’un jeune de Vaulx-en-Velin. Lui-même Vaudais d’origine, Farid ne s’inquiète pas trop :
« Là-bas, le feu on en a l’habitude, il y a presque tous les jours quelque chose qui brûle. Je me suis dit que les pompiers allaient éteindre ça rapidement. »
Quelques instants plus tard, Farid reçoit une notification de Lyon Mag et lit, éberlué : « incendie à Vaulx-en-Velin », « dix morts ».
« Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai appelé tous ceux que je connaissais là-bas. »
Car Farid connaît bien l’immeuble de Vaulx-en-Velin qui a pris feu dans la nuit du 15 au 16 décembre, faisant dix morts dont cinq enfants. Il y habitait encore il y a quelques mois avec sa femme Mélissa et leurs trois enfants, dans l’allée mitoyenne de celle où l’incendie mortel s’est déclaré. Ce drame n’a pas surpris le couple, qui raconte cinq années passées dans un immeuble insalubre et dangereux, à craindre pour leur sécurité et celle de leurs enfants.
Il y a cinq ans, Farid et Mélissa, âgés respectivement de 22 et 24 ans, décident de s’installer ensemble dans la région lyonnaise. Lui a grandi à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne, elle est originaire de l’Isère. Le couple étant au RSA, leur recherche de logement s’embourbe rapidement. Jusqu’à ce qu’ils tombent sur cet appartement du 13, chemin des barques, à Vaulx-en-Velin. Un T3 miteux de 69 m², loué à 780 euros par mois. Malgré l’exiguïté du logement, et son loyer conséquent, le couple signe le bail.
« C’est la seule propriétaire qui a bien voulu de nous », explique simplement Farid.
« Nos prises électriques prenaient feu toutes seules »
La petite famille emménage, à l’étroit mais soulagée d’avoir un toit sur la tête. Rapidement, Mélissa et Farid découvrent que l’appartement est insalubre. Des taches de moisissure s’étalent sur les murs, et le logement est rongé de cafards et d’asticots. En 2020, le couple affirme avoir contacté les services d’hygiène de la ville, sans réponse.
Mélissa et Farid commencent à redouter un drame étant donné l’état du réseau électrique.
« Nos prises prenaient feu toutes seules, parfois on prenait même le jus, se souvient Farid. On est restés un an et demi sans aucune lumière au plafond, on n’a jamais compris pourquoi. »
« Le compteur électrique n’était pas aux normes. A l’intérieur, les fusibles étaient enveloppés dans du papier d’aluminium pour qu’ils aient la bonne taille », complète Mélissa.
Or, l’appartement ne dispose d’aucun détecteur de fumée. Pourtant, en 2016, la copropriété avait déjà été touchée par un incendie. Dans la nuit du 22 au 23 août, l’allée 13 avait pris feu, à cause d’un feu de poubelle qui s’était propagé à une bouche de gaz. Une soixantaine de personnes avaient dû être évacuées mais les flammes n’avaient fait aucune victime.
Inquiet pour la sécurité de la petite famille, Farid décide d’installer lui-même un système d’alarme.
« J’en ai choisi un qui soit un peu perfectionné, pour être prévenu en cas d’incendie même sur mon téléphone », précise-t-il.
« Je me souviens d’un appartement dont les toilettes ne fonctionnaient pas, loué 1000 euros par mois à des sans-papiers »
Il y a un peu plus d’un an, la propriétaire de l’appartement annonce son intention d’augmenter le loyer, indépendamment de son état dégradé. C’est la goutte d’eau pour Farid.
« J’ai immédiatement refusé. Je lui ai dit que je ne paierai rien tant qu’elle ne fera pas de travaux dans l’appartement. Pendant un an, on n’a pas payé le loyer. »
Ce qui ne semble faire ni chaud ni froid à la propriétaire. Le couple commence à se poser des questions sur l’honnêteté de cette dernière. Si Farid et Mélissa ont bien signé un bail, déclaré à la CAF, ils n’ont jamais reçu aucune quittance de loyer et doivent impérativement payer le loyer en espèces. D’après le couple, leur appartement de 69 m² insalubre, qu’ils louent à 780 euros par mois, fait partie des moins chers de la copropriété.
« Il y a des logements minables qui sont loués bien plus chers, affirme Farid. Au premier étage, je me souviens d’un appartement pourri, loué pour 1000 euros par mois à des sans-papiers. Les toilettes ne fonctionnaient même pas, ils devaient faire leurs besoins dans un seau. »
« C’est un point de deal »
Dans l’immeuble en lui-même, les conditions de vie se dégradent. Farid et Mélissa décrivent des parties communes vétustes, lambrissées de bois et un défaut d’entretien général. Le père de famille raconte ainsi être intervenu de nombreuses fois pour décoincer des voisins, bloqués dans l’ascenseur. Dans le hall, des groupes de jeunes suscitent l’irritation des habitants.
« C’est un point de deal, et c’est de la drogue dure, affirme Farid. La police intervient régulièrement mais les jeunes prenaient la fuite par la seconde porte d’entrée du hall. Alors elle a été condamnée. Ils squattent quand même dans le hall, il y en a qui ont même été surpris en train de faire cramer des cartons de pizza ! »
Entre l’insalubrité de l’appartement, le réseau électrique défaillant et les expériences inquiétantes des jeunes dans le hall, la petite famille décide de déménager. En juin, Mélissa, Farid et leurs enfants se sont installés à Vénissieux, dans le quartier Moulin-à-vent. C’est le soulagement. Cet appartement-là est correct, et a même son détecteur de fumée. Les images de l’incendie de Vaulx-en-Velin resteront malgré tout longtemps gravées dans l’esprit de Mélissa et Farid. Mais aussi de leurs enfants, dont certains copains sont décédés dans le drame.
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