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Démission du médecin du centre de rétention de Lyon : « le CRA est une fabrique de violence particulièrement efficace et inhumaine »

Après plusieurs années d’exercice en temps que médecin au centre de rétention administrative de Lyon, Thomas Millot a choisi de démissionner. Il dénonce, dans une lettre ouverte, un système de rétention qui génère de la violence pour les détenus comme pour ceux qui y travaillent.

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La sénatrice EELV Raymonde Poncet devant l’entrée de l'ancien centre de rétention administrative CRA de Lyon le 14 décembre 2020. ©AD/Rue89Lyon

Le Dr Thomas Millot officiait depuis octobre 2017 au Centre de rétention administrative de Lyon Saint-Éxupéry. Ce 15 décembre 2022, il a démissionné, après avoir cherché durant plusieurs mois à quitter ce poste. Il assurait un suivi médical des personnes retenues pendant quatre demi-journées par semaine, dans une équipe des Hospices civils de Lyon (HCL) dédiée à divers établissements carcéraux.

Dans une lettre ouverte publiée en lien avec l’association La Cimade, il dénonce « une fabrique de violence particulièrement efficace et inhumaine. Et ceux qui y travaillent, policiers et partenaires, comme ceux qui y sont enfermés, subissent de jour comme de nuit cette violence institutionnelle. »

Nous reproduisons ci-dessous ce texte.

« Les unités médicales du centre de rétention échappe à tout contrôle des agences régionales de santé »

« Ce jour, après 5 années d’exercice de la médecine en centre de rétention administrative, je quitte mon poste en raison de l’impossibilité d’y exercer mon métier.

En arrivant en octobre 2017 au CRA 1, je n’ignorais pas que cet exercice ne prend que le sens que nous soignants souhaitons lui donner, les législateurs, qui écrivent patiemment à intervalle très régulier des lois migratoires, n’y incluant jamais de volet sanitaire.

Dans le même esprit, les unités médicales des centres de rétention échappent à tout contrôle des agences régionales de santé ainsi que du ministère de la santé, comme il en est de la gestion des titres de séjour pour raisons médicales dont la responsabilité a été confiée à l’Ofii, organisme public placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Ainsi, l’interlocuteur privilégié de toute question médicale se trouve être la préfecture : c’est auprès de la préfecture que l’on plaide pour l’amélioration de la qualité ou de l’offre de soins.

Cette situation volontairement ubuesque qui consiste à confier la gestion de l’offre de soins à des policiers rend bien évidemment compte de l’absence de volonté des gouvernements successifs de s’intéresser aux questions sanitaires des étrangers en cours d’expulsion. Aussi dénuée de toute humanité qu’elle soit, cette stratégie reste parfaitement cohérente au regard du traitement fait aux réfugiés arrivant en Europe depuis plusieurs années.

C’est donc en étant parfaitement conscient de l’hypocrisie qui consiste à mettre au milieu des centres de rétention des services médicaux sans moyens que je suis venu y travailler. Après tout, ce n’est ni plus ni moins dégradé que de la médecine humanitaire…

Dans le centre de rétention de Lyon, « la seule loi qui prévaut est celle de la violence »

En janvier 2022, après plus de quatre années de pratique de cette médecine de précarité, un tout nouveau centre de rétention a ouvert à Lyon, l’unité médicale y a donc emménagé : bâtiments neufs, accès ultra sécurisés, des caméras partout, des filets, des barbelés, etc… un véritable centre de détention.

La préfecture y enferme des sortants de prison ou des sans-papiers arrêtés dans la rue pour trouble à l’ordre public, une population de retenus ultra précarisée, souvent d’anciens mineurs non accompagnés qui ont perdu toute attache familiale à la pré-adolescence, ont débuté la toxicomanie à peu près au même âge et ne connaissent des rapports humains que ceux que la rue génère.

Dans cet environnement, les zones d’hébergement sont régies par le principe de la libre circulation par obligation légale et il n’y a aucun surveillant, car la police aux frontières n’a pas vocation à surveiller, elle a vocation à éloigner les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. C’est ainsi que pour survivre dans les zones d’hébergement, pour conserver ses affaires ou son intégrité physique, pour ne pas se faire racketter ou tout simplement pour essayer d’attendre sereinement son expulsion du territoire, la seule loi qui prévaut est celle de la violence.

« La violence institutionnelle, (…) très loin des réalités des centres de rétention, ruisselle sur tous les travailleurs de terrain »

Violence qui s’exerce de jour comme de nuit puisque les portes des chambres sont toujours ouvertes. Aucun membre de l’institution, aucun fonctionnaire n’est affecté à la mise en œuvre de relations normalisées, personne n’aplanit les tensions, personne ne se soucie… pas forcément de manière consciente d’ailleurs, les bonnes volontés existant aussi largement dans la police, tout comme le sous-effectif criant qui oblige à travailler en permanence de manière dégradée.

Dans les prisons, établissements dans lesquels je pratique également mon métier depuis 10 ans, chaque étage de détention a son surveillant. Celui-ci connait les détenus de son étage, ouvre les portes, règle les conflits, répond aux demandes, ou discute tout simplement… avec plus ou moins de réussite évidemment, rien n’est parfait nulle part. Mais l’administration pénitentiaire a compris depuis longtemps que pour avoir une détention pacifiée, la matraque et la caméra ne suffisent pas.

En l’absence de volonté politique de pacification dans les centres de rétention, la violence est partout et s’exerce sur tous : violences entre retenus, à l’égard des fonctionnaires de police, à l’égard des juristes de Forum réfugiés, à l’égard des médiateurs de l’Ofii, à l’égard du personnel soignant. C’est une grande vague d’agressivité qui s’installe et qui s’immisce dans tous les recoins du centre : la violence institutionnelle générée dans des bureaux, loin, très loin des réalités rétentionnaires, ruisselle proprement et méthodiquement sur tous les travailleurs de terrain que nous sommes.

« Je pars du centre de rétention administrative de Lyon par dépit »

Ainsi, moi qui suis médecin de l’hôpital public, travaillant dans des missions d’intérêt général depuis presque toujours, aux urgences, en prison, en rétention, moi qui suis venu en conscience travailler dans un milieu difficile avec la ferme intention de participer à une mission de service public, je me vois depuis plusieurs mois être parasité, infesté par cette agressivité. Je deviens agressif avec mes propres patients, je ne parviens plus à prendre le recul nécessaire à ma pratique professionnelle.

J’ai le sentiment d’avoir été moi-même broyé par la politique rétentionnaire déshumanisée de mon propre pays, une sorte de dommage collatéral en quelque sorte.

Je pars donc du centre de rétention administrative de Lyon ce jour, par dépit, car les conditions de base qui pourraient me permettre d’y faire du soin n’existent pas.

Le CRA de Lyon est une fabrique de violence particulièrement efficace et inhumaine. Et ceux qui y travaillent, policiers et partenaires, comme ceux qui y sont enfermés, subissent de jour comme de nuit cette violence institutionnelle.


#Aéroport Lyon Saint-Exupéry

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Photo : PL/Rue89Lyon.

À l'intérieur de l'ancien centre de rétention administrative CRA de Lyon, en décembre 2020.

Photo : AD/Rue89Lyon

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