« Je pense c’est bien de marquer en gros ‘Coupe de la corruption’ », s’exclame une footballeuse des Débuteuses, tandis qu’une Lyonnasse s’applique à dessiner des gouttes de sang dégoulinant d’une autre pancarte, sur laquelle on peut lire « Fifa tue ».
Dans les caves de l’Alternatibar (Lyon 1er), les footballeuses sont pour la plupart déjà en tenue. Elles ne prêtent pas attention aux vapeurs de peinture, saturant l’atmosphère, penchées sur leurs pancartes. Sonia, présidente des Lyonnasses, commente :
« Nous souhaitons marquer notre désaccord profond avec cette vision du football. »
Anissa, présidente côté Débuteuses, renchérit :
« On essaye de nous dire que le football n’est pas un objet politique, on est là pour rappeler que si. »
Contre la coupe du monde au Qatar : le football militant s’organise à Lyon
Les deux associations souhaitent apostropher les Lyonnais en montrant qu’il existe un autre football que celui de cette coupe du monde. « On porte des valeurs de sororité, de partage, de justice sociale », énumère une joueuse entre deux pancartes. Une autre de poursuivre :
« Le football ça peut être autre chose que du sang sur les mains et du fric dans les poches. »
Homophobie, sexisme, travail forcé entraînant la mort, désastre environnemental… Les accusations contre cette coupe du monde sont nombreuses. C’est pour ces raisons qu’elles s’y opposent.
Créées presque simultanément en 2018, les Débuteuses et les Lyonnasses ont pourtant vu le jour sans se concerter. Chaque association est partie du constat qu’il manque d’espaces « safe » pour jouer au foot. Par cela, elles entendent des lieux où les joueuses femmes ne sont pas considérées comme des footballeuses de seconde zone, et où la lesbophobie et la transphobie n’ont pas leur place.
« On est ouvertes à tous et toutes, sauf les hommes cisgenres [en opposition à transgenres]. Quelque soit ton niveau », précise Anissa.
« On remet aussi en question la culture des clubs de football »
Aujourd’hui, chaque association de football loisir compte une cinquantaine de joueuses régulières. Les Débuteuses s’entraînent au stade de Gerland (Lyon 7e) tandis que les Lyonnasses se retrouvent au stade Marc-Vivien Foé (Lyon 3e), ainsi qu’au stade René-Baillieu (Lyon 4e). Des créneaux acquis parfois difficilement auprès des mairies d’arrondissement, qui auraient préféré qu’elles s’intègrent dans un club déjà existant :
« Le problème c’est qu’on remet aussi en question la culture des clubs de football ; où les équipes féminines ne sont jamais prioritaires et où le coaching est parfois misogyne et autoritaire », précise Sonia.
Aux Débuteuses et aux Lyonnasses, la tâche de coacher incombe souvent à une personne, cependant il n’existe pas de hiérarchie entre les joueuses. Autre différence majeure avec les clubs : pas de groupes de niveau ou de sélection en début d’année.
« Beaucoup de nos joueuses débutantes n’osaient pas s’essayer au football parce qu’elles se pensaient trop nulles, ou qu’il était trop tard pour apprendre », ajoute Sonia.
« On doit gueuler pour se faire respecter »
Des écarts de niveau qui ne posent aucun problème aux joueuses plus expérimentées, comme Sarah, 26 ans, qui a joué en semi professionnel. « Aux Débuteuses, j’ai créé des liens très fort, alors qu’avant c’était vraiment la compèt’ », indique-t-elle.
Pour d’autres, c’est aussi l’occasion de prendre une revanche sur leurs jeunes années dans le foot, émaillées de comportements sexistes. Elles sont nombreuses à avoir passé la majeure partie de leurs « années club » en mixte, à l’image d’Eva. Elle raconte :
« J’étais du côté de Grenoble, on était seulement deux filles dans l’équipe. Les premières années ça allait, mais à partir de l’adolescence les mecs sont devenus insupportables. Ils ne me passaient plus la balle, ne supportaient pas que je marque. »
Un mépris auquel les footballeuses ne coupent toujours pas, malgré leurs efforts pour se distancier des joueurs masculins :
« Aux Débuteuses, notre créneau est le mardi de 17h45 à 19h45. Les mecs d’avant ont du mal à nous laisser la place, et ceux d’après commencent souvent à s’entraîner alors que nous n’avons pas fini. On doit gueuler pour se faire respecter. »
À Lyon : « Le football participe à bafouer tous les droits humains au Qatar »
« Gueuler pour se faire respecter », des habitudes prises par les militantes féministes qui se sont approprié la place des Terreaux sans difficulté après la séance de création de pancartes. À 20 heures tapantes, elles étaient une quarantaine devant la fontaine Bartholdi, et une petite quinzaine d’entre elles ont enfilé leurs chasubles. Leur grand adversaire de la soirée aura finalement été l’obscurité, les empêchant de jouer tout à fait sereinement.
« J’étais démarquée ! », rouspète l’une. « Mais je ne te vois pas bien », rétorque l’incriminée. « Moi c’est la balle que je ne vois pas trop », lâche une autre, provoquant l’hilarité générale.
Sur la touche, des joueuses « flemmardes » comme s’en revendique gaiement Eva, mais aussi des footballeuses blessées. Mathilde a 26 ans, elle s’est « fait les ligaments croisés » il y a quelques mois. Le choc a eu lieu à Paris lors d’un match contre les Dégommeuses, l’équipe qui a inspiré les deux associations lyonnaises.
« J’ai un test de force demain. J’espère que ça va aller », commente-t-elle.
En dépit de sa blessure, il aurait été impensable pour la joueuse de Lyon de ne pas venir protester contre la coupe du monde au Qatar tant l’hypocrisie de l’événement la hérisse :
« J’aime profondément le football, et je ne suis pas d’accord pour qu’il participe à bafouer tous les droits humains. »
Des vécus de discrimination dans les clubs de football classiques
Les yeux rivés sur le match, elle déclare que la compétition en haut niveau lui manque. Elle compte rester aux Débuteuses mais songe aussi à se réinscrire dans un club de la Fédération française de football (FFF) après sa guérison :
« C’est pourtant là que j’ai subi le plus de lesbophobie, dès mes douze ans. »
Elle soupire avant de conclure :
« Ce serait bien si nos actions pouvaient avoir un petit impact sur les hauts niveaux de compétition. Qu’on éduque à la lutte contre les discriminations par exemple. Après tout, c’est le foot militant qui m’a rendue féministe. »
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