Pour capter Alice, il faut avoir un peu de patience. Toujours en vadrouille, entre trek, sorties à vélo, engagement associatif et chantiers participatifs, la jeune femme de 25 ans profite de sa nouvelle liberté et laisse de côté son téléphone. En avril 2022, l’ingénieure a posé un congé sans solde d’un an, poussée par l’envie de s’engager dans la lutte contre le changement climatique.
Malgré son emploi du temps chargé, on finit par s’y faire une place et fixer un rendez-vous. Affublée de son vélo, ses cheveux blonds attachés et son sac à dos sur les épaules, Alice nous raconte son parcours atypique, d’ingénieure investie devenue baroudeuse en quête d’écologie.
Une ingénieure passionnée que rien ne destinait à bifurquer vers l’écologie
Fille d’une secrétaire comptable et d’un directeur de production, Alice a grandi près de Chambéry et a « toujours été une élève modèle », intéressée par tout et soucieuse de « s’ouvrir le plus de portes possibles ».
Après son lycée, elle se dirige vers une grande école d’ingénieur lyonnaise, qui comble ses attentes, malgré des débuts un peu difficiles.
« Je suis allée en génie civil et franchement j’adorais ce que j’apprenais. On avait beaucoup de cours variés et derrière chaque matière, je comprenais son utilité, ce n’était pas bête et méchant. Ce qu’on faisait était toujours assez concret : on avait des cours d’usinage, des cours sur des machines, des cours de robotique, des cours plus manuels, des travaux de groupe, et ça me plaisait bien. »
À l’issue de l’école, elle réalise un stage dans un bureau d’études qui construit et répare des ponts. Un domaine qu’elle convoitait. Elle finit par y être embauchée au début de la crise du covid en 2020.
« Les ponts, j’ai toujours trouvé ça impressionnant : ça relie, c’est esthétique, utile et ça dure dans le temps. Dans les villes, il y a souvent un pont qui est emblématique. J’y voyais aussi le côté technique et le challenge. »
Avec enthousiasme et presque un fond de nostalgie, Alice parle de ses débuts dans le métier, « agréables » et « stimulants ». Elle apprend au contact de ses collègues et est séduite par la diversité des projets qui lui sont proposés. Jusqu’ici, l’ingénieure n’a rien du profil traditionnel de la « bifurcatrice » : celle qui plaque tout, minée par un travail usant ou peu intéressant, dans lequel elle ne trouve plus de sens. Bien dans son travail, rien ne laissait présager qu’Alice voudrait changer de vie.
Le télétravail en confinement : un déclic vers l’écologie pour cette ingénieure à Lyon
Ses premières interrogations arrivent lors du troisième confinement, en avril 2021. Pour la première fois, elle se retrouve en télétravail continu. La randonneuse, éprise de grands espaces et de contact social, se retrouve enfermée dans son appartement.
« Pendant deux mois je suis restée toute seule dans mon salon, sur mon ordi toute la journée, et là j’ai commencé à avoir un déclic. J’avais beaucoup de temps pour penser et réfléchir. Je me sentais très très concernée par l’urgence écologique et le changement climatique. J’ai commencé à lire des articles et regarder des vidéos sur le sujet pendant toutes mes pauses et j’ai eu une prise de conscience. »
Son intérêt boulimique pour l’environnement ne sort pas de nulle part. La jeune femme se décrit, adolescente et jeune adulte, déjà sensible à l’écologie, à la nature et aux animaux. Ce confinement a pour elle été un tournant. Face à la quantité d’informations qu’elle emmagasine sur le changement climatique, Alice se retrouve démunie devant l’inaction d’une partie de la population et des dirigeants politiques.
« Cette espèce de prise de conscience, ça m’a plombée. J’avais l’impression de me rendre compte de choses si graves et qu’on était si peu à en avoir conscience. Je me suis dit ‘c’est horrible, il faut faire quelque chose’. Je me suis rendue compte que mon travail était cool mais que j’avais envie de mettre mon énergie au profit d’une cause qui me tient plus à cœur. »
« Je me demandais pourquoi j’adorais mon boulot et tout d’un coup ça me convient plus »
Alice rentre alors dans une longue période de solitude. Elle se confie peu à ses proches et garde ses questionnements au fond de sa tête pendant presque une année. L’ingénieure est surtout rongée par une culpabilité lancinante.
« J’avais l’impression d’être une princesse qui avait tout, un CDI, un salaire correct, un appart avec son copain dans une ville cool, et de dire « non c’est pas ça que je veux ». Je me disais que j’ai fait cinq ans d’étude et que je les mettais à la poubelle. Je me demandais pourquoi ça n’arrive qu’à moi, pourquoi, alors que j’adorais mon boulot, tout d’un coup ça me convient plus. »
Pour calmer cette culpabilité, mais surtout par véritablement engagement, Alice tente d’aménager le reste de sa vie pour être le plus écolo possible. Elle entame une démarche zéro déchet, consomme moins de viande et s’engage dans une association d’éducation populaire.
« Je suis entrée aux « Éclaireurs de la nature ». C’est un mouvement du scoutisme français, laïc d’inspiration bouddhiste. Je me retrouve à 100 % dans ces valeurs, parce que c’est basé sur trois piliers : la vie dans la nature, l’écologie et le bouddhisme, plus comme une philosophie de vie que comme une religion. On essaye d’enseigner ces valeurs à des jeunes. »
Au travail, rien ne la pousse vraiment à partir et elle y reste plutôt épanouie. Même si la construction de ponts en béton et en acier pour faire de nouvelles autoroutes ne l’enchante guère, ce genre de projets reste marginal. Ses tâches consistent plutôt à réparer des ponts existants, une mission qui n’interfère pas avec ses principes écologiques.
Un an de congé pour bifurquer dans l’écologie ou redevenir ingénieure à Lyon
Pendant un temps, Alice se contente de ses engagements sur son temps libre, mais ses doutes reviennent et l’envie de changement se fait de plus en plus sentir. Son esprit consciencieux et organisé lui enjoint de trouver un autre métier, plus axé sur l’écologie, avant de quitter son bureau d’études. L’ingénieure doit se rendre compte au bout de quelques mois qu’elle n’arrive pas à s’y pencher et « prend [son] courage à deux mains ».
« J’étais dans une remise en question d’une telle ampleur et j’étais tellement impliquée dans mon travail que le soir je n’arrivais pas à faire des recherches. Je me suis dit que je devais faire un break, que ça ne servait à rien de se rendre malade. La solution c’était d’arrêter de travailler et de prendre du temps pour réfléchir, me poser, rencontrer des gens, tester des choses. »
Elle pense alors à démissionner, puis revient sur ses pas, et part plutôt sur un congé sans solde d’un an. Avec un peu d’appréhension, elle le demande à son employeur et revient soulagée lorsque celui-ci accepte sans difficulté.
« Prendre un congé sans solde d’un an, ça me laisse le temps de trouver ce que j’ai envie de faire ou alors de me dire que je n’étais pas si mal et rester dans ce travail tout en continuant de m’investir dans l’associatif sur mon temps libre. »
« Les chantiers participatifs me permettent de découvrir des techniques de construction écologique »
Aujourd’hui, la jeune femme reste encore indécise, et tâtonne pour trouver son futur chemin professionnel. Pour l’heure, elle explore le monde des chantiers participatifs, où des particuliers se retrouvent ensemble autour d’un projet de construction et y participent bénévolement. Ces chantiers lui permettent d’apprendre de nouvelles choses et de toucher de plus près le monde de la transition écologique.
« Les chantiers participatifs me permettent de découvrir des techniques d’éco-construction avec des matériaux biosourcés et géosourcés comme le bois, la terre, la paille, la pierre. Ce qu’on apprend pas du tout quand on fait du bâtiment traditionnel. »
L’occasion aussi de rompre avec la solitude, pour celle qui est maintenant devenue une interlocutrice privilégiée de ceux qui souhaitent bifurquer dans ses cercles d’amis.
« Sur les chantiers, je rencontre plein de gens très inspirants, avec des parcours assez originaux et enrichissants. Je rencontre beaucoup de personnes qui ont bifurqué comme moi, ça permet de se sentir moins seule. »
Travailler dans l’écologie : un objectif professionnel
À côté des chantiers et de ses journées de baroudeuse, Alice passe l’essentiel de son temps à chercher des formations ou des métiers qui pourraient lui plaire, en lien avec la transition écologique. Elle reste concentrée sur l’idée de trouver une nouvelle voie professionnelle.
L’ingénieur est aussi accompagnée par une conseillère de l’APEC (L’Association pour l’emploi des cadres) qui lui fait passer des tests mais bute souvent sur la multiplicité des centres d’intérêts de la jeune femme.
« Je me demande si j’ai envie de me lancer dans l’agriculture, dans le recyclage des déchets, dans la lutte contre le plastique, dans la préservation de la biodiversité, dans la gestion de l’eau et des forêts… Tout m’intéresse et je vois une raison pour lutter dans tous ces domaines. Je ne sais pas comment choisir. »
Prochaine étape pour Alice : faire des mises en situation professionnelle. Elle espère que ces sortes de stages de découverte lui permettront de connaître plus en profondeur les métiers écologiques qu’elle idéalise encore. Pour enfin, lui permettre d’être en paix avec son choix.
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