Dès les premiers morceaux de son set, Alessandra Moura est capable d’embarquer le public de Lyon dans un voyage au croisement entre les cultures africaines et brésiliennes. Passionnée d’art, elle est aussi à l’origine des soirées « Érotika » où l’art érotique est mis en avant sous toutes ces formes. Reconnaissable à ses cheveux bruns, ses lunettes dorées et son sourire, l’artiste d’origine brésilienne se confie sur sa pratique du monde de la nuit.
Rue89Lyon : Qui est Alessandra Moura ?
Alessandra Moura : J’ai 30 ans. Je suis née et j’ai grandi à São Paulo (Brésil) dans une banlieue qui s’appelle Capão Redondo. C’est un des lieux où le rap a émergé au Brésil. Néanmoins, mes influences musicales ne sont pas forcément issues du rap, car j’ai grandi à l’Église. J’ai donc écouté pas mal de musiques religieuses, mais aussi de la musique brésilienne comme de la samba et beaucoup de groove brésilien. En 2016, je suis venue en France pour apprendre le français.
« Je suis encore un « bébé DJ » à Lyon et je suis en constant apprentissage »
Pendant la pandémie, j’ai appris à mixer avec Pedro Bertho à Lyon. J’ai ensuite rejoint le collectif FURIE. Ainsi, je suis encore un « bébé DJ » à Lyon et je suis en constant apprentissage à leurs côtés.
Quelle relation entretenez-vous avec Lyon ?
Quand je suis arrivée en France, j’étais jeune fille au pair dans une famille qui habitait à Lyon. Depuis, je n’ai jamais bougé. Je viens d’une très grande ville (São Paulo) et à Lyon, j’apprécie de trouver un compromis entre qualité de vie et diversité. Que cela soit pour la musique, les sorties ou les gens… Il y a beaucoup de chose à faire. J’ai fait mes premières soirées de DJ à Lyon et j’ai joué pour la première fois dans la ville lors d’une fête de la musique.
Comment le passage de la nuit du Brésil à la nuit lyonnaise a-t-il forgé votre style musical ?
Ce que je propose au public est lié à mes expériences avec le monde de la nuit. En effet, je me souviens que ma première soirée à Lyon était sur une péniche, très mainstream, avec des copines du cours de français. Il y avait des codes différents du Brésil, mais c’était festif, avec de bonnes ondes.
« L’énergie de São Paulo est complètement différente de celle de Lyon. Je valorise les deux énergies et je m’en inspire »
L’énergie de São Paulo est complètement différente de celle de Lyon. Je valorise les deux énergies et je m’en inspire. Ensuite, j’ai connu un peu la communauté brésilienne et leurs soirées à Lyon. Enfin, je me suis fait des amis qui avaient un goût musical plus élargi et allaient dans des soirées électro’. Tout ça, c’est assez éclectique et cela correspond justement à mon profil musical dans lequel je ramène beaucoup de musique d’Afrique, mais pas seulement.
Quels sont les facteurs qui promettent une soirée réussie ?
D’abord, pour que je kiff une soirée, il faut que je me sente connectée au public. Ça me met tout de suite dans une bonne énergie. Par ailleurs, les valeurs défendues par le lieu comptent beaucoup pour moi. J’ai besoin de jouer dans des « safe-places » [lieu sûr], et, pour que je considère un lieu comme sécurisé, il faut des femmes.
Enfin, ce que j’aime dans les soirées où je joue, c’est la dynamique de FURIE et les défis qu’ils proposent, comme ce fut le cas avec les Nuits Sonores. J’ai énormément stressé avant de jouer à ce festival. Pour ainsi dire, j’ai pensé quelques semaines avant que je ne serai pas capable de le faire. Mes amis m’ont encouragé et soutenu. Finalement, je l’ai fait et c’était une super expérience d’être sur cette scène et de voir le public danser.
En quoi la musique que vous proposez est-elle liée à vos origines ?
J’ai un répertoire éclectique avec une dominante marquée par beaucoup de musiques aux sonorités africaines et brésiliennes. Je m’identifie assez au baile funk, la funk brésilienne. C’est une musique qui est née à la fin des années 1980, à Rio de Janeiro, à peu près quand je suis née. Elle était majoritairement jouée par une communauté noire et pauvre. En ce sens, cette musique peut être considérée comme une contre-culture.
« La funk a un pouvoir et un potentiel tellement fou, c’est une musique qui donne tout de suite envie de danser »
C’est comme le jazz et la samba qui étaient méprisés autrefois. Ils ont fini par être acceptés. Cela montre comment le racisme traverse tout, jusqu’à l’acceptation d’une musique. La funk a un pouvoir et un potentiel tellement fou, c’est une musique qui donne tout de suite envie de danser. Elle se diffuse dans le monde entier et arrive en France, où ce style n’est pas encore très popularisé.
Qu’est-ce que la nuit signifie pour vous ?
Quand on demande aux gens ce qu’ils aiment bien à São Paulo (Brésil), la ville d’où je viens, ils répondent assez souvent la nuit. C’est vraiment une des choses que j’adore dans ma ville. Elle est diversifiée, très puissante et on y danse beaucoup. Pour moi, c’est ça la nuit.
Parfois, cette énergie me manque un peu à Lyon, mais je n’essaye pas de la retrouver. Au contraire, je profite de l’énergie de l’espace qu’il y a à Lyon pour le style que je propose.
DJ à Lyon : « Je suis une femme, une femme noire, donc je suis exposée au sexisme et au racisme »
Vous avez abordé plus tôt la notion de « safe-place », pour vous la nuit c’est dangereux ?
Pour commencer, je n’ai pas eu de mauvaise expérience directement, mais j’ai déjà vu des copines être victimes d’agressions. Je n’ai pas forcément réussi à les défendre et il n’y avait pas assez de gens pour les aider. Ensuite, dans la société d’aujourd’hui, faire partie de minorités peut représenter un danger. Je suis une femme, une femme noire, donc je suis exposée au sexisme et au racisme. Enfin, je considère important d’être dans un endroit où je me sens bienvenue. En cas de problème, je sais que je serai bien entourée.
« En tant qu’artiste, on peut ramener ces discussions auprès du public pour changer les mentalités »
Vous organisez des soirées, quelles sont les valeurs que vous cherchez à défendre pendant ces évènements ?
Lors des soirées Érotika, on essaye de lutter contre les problématiques fréquentes de notre société, à savoir, le racisme ou encore l’homophobie. Parmi nos valeurs, il y a également sortir de l’européocentrisme et proposer des soirées non-hétéronormées.
Je crois ensuite que beaucoup de lieux indiquent dans leurs discours défendre des valeurs. En revanche, dans la pratique, il y a encore du travail à faire. Effectivement, il manque un travail de communication des clubs avec le public pour changer les mentalités et accepter les différents corps, personnes et cultures. C’est donc ce qu’on essaye de faire avec Érotika.
Enfin, en tant qu’artiste, on peut aussi ramener ces discussions auprès du public pour changer les mentalités. Les gens qui pratiquent le racisme, l’homophobie, etc. sont à côté de nous et partagent les mêmes lieux.
Être une femme DJ à Lyon : « Le monde est fait pour des hommes et par des hommes »
Qu’est-ce que cela implique pour vous d’être une artiste femme dans le monde de la nuit ?
Le monde de la nuit est une représentation de la société telle qu’elle est. Donc, malheureusement, le monde est fait pour des hommes et par des hommes. Ainsi, quand on est une femme et qu’on sort dans un club ou dehors, il y a ce sentiment d’insécurité, de peur. Le rapport de force que les hommes exercent est finalement réel et intimidant. Maintenant, on a tendance à relativiser parce qu’on est habitués à ça.
Qu’est-ce que vous pensez de l’usage des stupéfiants en contextes festifs ?
C’est un fait avéré. Tous les être humains ont besoin de transcendance parce que la vie terre-à-terre est trop dure. Chacun cherche cette transcendance de manière différente. Je comprends pourquoi les gens cherchent cela à travers la drogue. Il faut ramener des débats sur la drogue d’une manière qui ne soit pas moralisatrice pour créer des atmosphères et des lieux sécurisés et propices à l’usage de la drogue.
Les endroits où sortir à Lyon la nuit, selon Alessandra Moura :
Tout d’abord, j’aime beaucoup le concept de « Jam sessions » [séances d’improvisation musicale auxquelles peuvent se joindre des volontaires] dans des lieux comme le Sirius. J’y vais en tant que public, car j’ai toujours aimé le jazz. Je recommande ces soirées parce que ce sont des espaces ouverts, où chacun joue un ou plusieurs morceaux. Pour les musiciens, ça doit être intéressant de jouer avec des gens qu’ils ne connaissent pas et dans le public, on ressent l’échange.
Ensuite, j’ai déjà mixé dans des soirées Drag Queen, mais j’y vais surtout en tant que public et je conseille cette expérience. L’univers LGBT me parait plus disruptif que l’univers hétérosexuel. Toutes les questions autour des « safe-place » et des valeurs sont beaucoup plus travaillées dans ces soirées. Par exemple, les soirées intitulées « La chaudière » ont lieu au Sonic et sont intéressantes parce qu’elles sont riches en diversité de styles, d’origines et de musiques. En plus, ce sont les Drag Queens qui font les performances. Dans ces soirées, beaucoup de filles composent le public. Pour moi, cela montre qu’on est dans un safe-place.
J’adore aussi le Sucre. Toutes les fois où j’ai pu jouer, j’ai eu une connexion très rapide avec le public.
Enfin, pour la journée, le Café Rosa parce qu’il y a beaucoup de femmes, il y a cette ambiance de discussion. On se sent dans un lieu accueillant et sécurisé avec des expositions et des évènements assez chouettes.
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