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« Aux Minguettes, les premières galères de logement c’était il y a 8 ans »

Rénovations mal vécues, inquiétudes face à l’avenir : Deux habitants du quartier des Minguettes à Vénissieux confient leur quotidien.

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Quartiers connectés aux Minguettes, Mohammed, sur le balcon de Mourad LS_Rue89Lyon

Mourad et Mohammed (leurs noms ont été changés pour préserver leur anonymat) habitent tous deux le quartier des Minguettes, un vaste plateau qui s’étire au-dessus du centre de Vénissieux, à l’est de Lyon.

Mourad, 43 ans, est informaticien, tandis que Mohammed, 27 ans, travaille dans la restauration scolaire. Mourad se souvient :

« J’ai grandi au 10 rue Gabriel-Fauré, où mes parents habitent encore, et on s’est installés au 12 avec ma femme en 2011. Quand j’étais jeune, on était plutôt contents, les bâtiments de l’allée faisaient partie des plus récents et mieux entretenus du quartier. On est devant une crèche, ce coin du quartier était plutôt tranquille, franchement c’était le top. »

A leur arrivée en France, les parents de Mourad ont, eux aussi, presque toujours connu les Minguettes :

« C’est mon père qui est arrivé en premier, dans les années 1960. Il venait de Tunisie, il a été carreleur toute sa vie, et ma mère l’a rejoint avec le vote de la loi sur le regroupement familial, en 1989. »

A l’époque, la famille, qui compte aujourd’hui trois enfants, a d’abord brièvement habité à Feyzin avant de s’installer aux Minguettes. Mourad raconte une enfance plutôt tranquille. C’est quand les premiers signes de vieillesse de ses parents ont fait leur apparition que leur quotidien est devenu plus difficile.

« Mon père a perdu la vue en 2008, et ma mère souffre d’un handicap lourd aux genoux. C’est impensable de quitter le quartier, ils ont besoin de moi, de mon frère et de ma sœur. On reste aux Minguettes seulement pour nos familles. »

Mohammed hoche la tête et prend la suite :

« Moi, c’est un peu la même histoire. Mes parents sont arrivés de Turquie un peu plus tard. Ma sœur habite à 100 mètres et tient une boulangerie pas loin, je garde son fils quand elle doit travailler. Je ne me vois pas partir non plus. »

Aux Minguettes, « ma fille n’a pas d’endroit pour étudier »

Malgré leur volonté de rester dans le quartier de leur enfance, auprès de leur famille, Mohammed et Mourad rêvent parfois de le quitter. En cause : leurs conditions de logement aux Minguettes. Aujourd’hui, Mourad souhaite même déménager le plus vite possible :

« J’ai trois enfants et je vis dans un T2. Mon bailleur social n’arrive pas à me trouver un appartement plus grand, ma fille doit dormir avec ses deux frères. »

C’est avec une fierté non dissimulée que Mourad évoque sa fille de 9 ans, qu’il décrit comme studieuse et appliquée. Il souhaiterait la voir poursuivre ses études le plus longtemps possible :

« Le souci, c’est qu’elle va bientôt entrer au collège, et on a dû enlever son bureau pour mettre le lit d’un de ses frères. Elle n’a pas d’environnement de travail pour se concentrer à la maison. »

A cela s’ajoute une autre inquiétude, liée au quartier. Si Mourad se déclare très satisfait de l’école primaire, c’est la suite des événements qui l’inquiète :

« Les maîtresses sont à l’écoute, très sympa. En revanche, l’entrée au collège me fait peur. Elle va aller à Paul Eluard, comme moi à l’époque. J’aurai aimé que ma fille connaisse autre chose. Mais pour ça, il faut carrément sortir de Vénissieux, ça fait des bornes et des bornes, je ne peux pas en faire avec la vie de famille et tous les problèmes à gérer ici. »

Aux Minguettes, « il y a plein de soucis de logement, et on n’arrive pas trop à en discuter avec notre bailleur »

Les « problèmes » évoqués par Mourad et Mohammed sont pour la plupart liés à leurs conditions de vie derrière les murs de leurs appartements. Les deux hommes habitent chacun un logement situé dans les immeubles gérés par le bailleur social Alliade Habitat, rue Gabriel-Fauré, à deux pas du château d’eau des Minguettes.

Dans un précédent article nous avions évoqué le mois d’angoisse suscité par un potentiel risque d’amiante alors que les rénovations des appartements étaient en cours. Pour Mohammed, ce n’est finalement qu’un exemple parmi tant d’autres :

« Cela fait partie d’un tout. Il y a plein de soucis de logement, et on n’arrive pas trop à en discuter avec notre bailleur. C’était plus simple quand c’était SLPH. »

SLPH est l’ancêtre d’Alliade Habitat, issu de la fusion entre les sociétés de HLM Axiade Rhône-Alpes et la Société Lyonnaise Pour l’Habitat (SLPH). Dans le quotidien des deux habitants, Alliade occupe une place importante.

Mourad tente de récapituler :

« Aux Minguettes, les premières galères de logement ce devait être il y a au moins 8 ans. Le chauffage est tout le temps en panne en hiver. A tel point qu’en 2018 par exemple, quand j’ai eu mon dernier fils, ma femme a dû retourner chez ses parents pour ses premiers mois car nous n’avons pas eu de chauffage jusqu’en février. »

La rédaction a pu consulter les mails envoyés à Alliade par Mourad, faisant état de températures très basses dans les immeubles en hiver.

Aux Minguettes, des habitants ont reçu un rapport faisant état d'amiante dans leurs logements ©LS_Rue89Lyon 2
Les rénovations d’Alliade Habitat rue Gabriel Faure ne sont pas très bien vécues aux MinguettesPhoto : LS/Rue89Lyon

Pannes de chauffage, punaises de lit, cafards et inondations

Interrogé à ce sujet, Alliade Habitat a reporté la faute sur un autre bailleur social, Grand Lyon Habitat :

« Aujourd’hui, on n’a pas les clefs de ce problème : les chauffages urbains sont alimentées par une sous-station gérée par Grand Lyon Habitat. Nous souhaitons bâtir notre propre sous-station, où on aura la main sur l’entretien et la maintenance. »

Le bailleur social espère une mise en service pour l’hiver 2023. Le chauffage n’est cependant pas le seul souci pour Mourad qui énumère :

« Mes parents ont eu des punaises de lit l’année dernière, j’ai eu des cafards… C’est fatiguant, parce qu’en plus d’essayer de faire valoir les problèmes que je rencontre chez moi, je dois aussi le faire pour mes parents, et il faut insister, insister, insister… »

Il poursuit, lapidaire :

« En fait si tu ne gueules pas, tu n’as rien. Par exemple je me suis déjà fait rembourser une partie de mes factures d’électricité en hiver, car j’utilisais un chauffage d’appoint, mais je pense qu’on n’est pas nombreux à s’être fait rembourser. »

Mohammed acquiesce :

« Moi je n’ai rien demandé, alors je n’ai pas eu de remboursement, alors que j’utilisais un chauffage d’appoint. Il faisait trop froid sinon. Je ne suis pas trop comme ça, à tout le temps envoyer des mails. »

Il fait le pont avec un autre événement qui a eu lieu en pleine nuit, le 12 mars dernier, pendant la période de rénovation de la plomberie de l’immeuble :

« Une énorme fuite a inondé tout l’étage, il y avait au moins 20 centimètres d’eau. On a appelé les pompiers, ça a mis une heure et demie pour qu’ils trouvent la vanne et qu’ils coupent l’eau. »

Aux Minguettes, « avec Alliade c’est ‘vite fait et parti’ »

Rue89Lyon a pu consulter une vidéo, où on peut voir Mohammed effaré, éclusant l’eau à l’aide d’une casserole dans sa baignoire. Il poursuit :

« Alliade ne nous a pas trop aidés à comprendre la marche à suivre pour les assurances. Quand quelqu’un est venu trois mois après, on avait déjà changé les sols gonflés à nos frais. »

Mourad hoche la tête et ajoute :

Il y a eu un départ de feu sur des déchets électriques dans un immeuble des Minguettes. Photo par un habitant.
Il y a eu un départ de feu sur des déchets électriques dans un immeuble des Minguettes. Photo par un habitant.

« Il y a eu un départ de feu dans le couloir de mon étage en janvier dernier. Les ouvriers qui refont l’électricité avaient laissé traîner des câbles. L’incendie a dû avoir lieu vers deux heures du matin. Les enfants ont eu très peur. »

Pour les deux voisins, un des facteurs qui a favorisé ces deux événements serait un manque de sérieux des entreprises chargées de la rénovation des bâtiments. Comme souvent dans les logements sociaux, celle-ci est vécue avec un sentiment de violence. Mohammed conclut :

« Avec Alliade c’est ‘vite fait et parti’. Nous, on attend qu’ils aient fini pour repasser derrière eux à nos frais. »

De son côté, Alliade Habitat déplore le dégât des eaux qui a eu lieu en mars dernier, mais considère qu’il s’agit d’événements qui « peuvent arriver dans un immeuble ». Il s’agirait d’un serti qui se serait brisé. De la même façon, le bailleur déplore que les électriciens aient laissé traîner des déchets dans le couloir mais assure que le départ de feu était d’origine criminelle. Plus généralement, Alliade Habitat tente d’arrondir les angles :

« Nous avons conscience que les périodes de rénovation sont difficiles pour les habitants. Nous essayons de nous mettre au maximum à leur disposition pour les aider. »


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