« Lyon n’est plus ».
La sentence est martiale, sans retour possible. Nous sommes le 12 octobre 1793, ou le 21e jour du premier mois de l’an II, selon le calendrier républicain de l’époque. Dans un procès verbal, la Convention nationale à la tête de la France décrète, dans son article 5, la fin de Lyon, qui devient une ville « affranchie ».
« Tous les habitants de Lyon seront désarmés. Leurs armes seront distribuées sur-le-champ aux défenseurs de la République. »
Le décret stipule que « tout ce qui fut habité par le riche sera démoli. Il ne reflétera que la maison du pauvre ». Avant d’asséner :
« Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République ».
Rien que ça.
La Convention décide d’ériger sur les ruines de Lyon une colonne qui marquera les « crimes » royalistes de cette ville, avec cette inscription : « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus. »
Après avoir été détruite à l’époque romaine par l’Empereur Septime Sévère, la capitale des Gaules est de nouveau en (très) mauvaise posture. Elle va connaître une répression sanglante qui la marquera à jamais son histoire politique.
Comment en est-on arrivé là ? Pour comprendre ce chaos, il faut se replonger dans la période trouble de la Révolution française.
À Lyon, la Révolution divisée entre républicains montagnards et girondins
À la fin du XVIIIe siècle, les révolutionnaires se battent, de partout. Depuis le 20 avril 1792, la guerre a été déclarée au roi de Bohème. La Prusse, les Pays-Bas, le Royaume-Unis, l’Espagne, le Portugal et une partie des états italiens sont entrés dans la bataille. Lyon, deuxième plus grande ville du pays, avec plus de 100 000 habitants, est sur un axe stratégique. En haut de la vallée du Rhône, elle contrôle la route d’Italie, voire, la route du Rhin.
Dans le même temps, les Révolutionnaires « Montagnards », arrivés au pouvoir en juin, à Paris, mènent la guerre contre les ennemis de l’intérieur : les Vendéens. Ces derniers, royalistes, sont entrés en conflit contre ces révolutionnaires réputés plus « rouges » que leurs prédécesseurs, les « Girondins ». Une partie de ces « centristes » se sont, en partie, enfuis. L’un des leurs, Louis Vitet, dirige Lyon. Maire de la ville, il est démis par les partisans de la nouvelle majorité parisienne.
Une nouvelle équipe, proche des Montagnards, prend alors le contrôle de la ville. Son nouveau maître à à penser, Marie-Joseph Chalier, est perçu comme une version plus sanglante de Jean-Paul Marat, leader montagnard assassiné. Il est peu apprécié par une partie de la population lyonnaise plus « modérée ».
Chalier, le révolutionnaire « exagéré » de Lyon guillotiné
Ce fils de notaire est un révolutionnaire « exagéré », pour reprendre les termes de l’historien Bruno Benoit, auteur de Lyon, la Révolution, le Consulat et l’Empire. Il fait parti des politiques les plus violents et radicaux. Un temps, il parle ainsi d’installer la guillotine sur le pont de bois du Rhône afin que les têtes tombent directement dans le fleuve. Pratique.
Leader de l’aile montagnarde lyonnaise, c’est l’un des siens (un « Chalier ») qui devient maire de Lyon en remplaçant Louis Vitet en mars 1793. Ils créent un tribunal révolutionnaire, décrètent la taxation sur les riches et la répression, notamment, des prêtres réfractaires et des aristocrates.
L’expérience est de courte durée. Le 29 mai, les modérés renversent « les Chalier ». Celui qui veut être « le Christ de la Révolution » est arrêté. Le 16 juillet, il est guillotiné place des « Libertés » – l’actuelle place des Terreaux. Du fait d’un mauvais réglage de l’appareil, le bourreau devra s’y reprendre à quatre fois pour faire sont travail correctement. La tête finit par tomber devant la foule venue en masse assister au supplice.
La Guillotine n’en est déjà pas à sa première tête coupée. Elle n’a pas fini d’être utilisée.
« Lyon n’est plus » ou le massacre des Brotteaux
Face à cette « insurrection fédéraliste », Paris organise la reprise de Lyon. Même si elle est tenue par des Républicains, girondins, elle est vue comme une ville « blanche », une petite Vendée à tendance royaliste.
En cause notamment ? Des conspirations de partisans de la couronne comme celle fomentée par Jacques Imbert-Colomès, dont une rue des pentes de la Croix-Rousse porte aujourd’hui le nom. Un temps, ce dernier tentera d’organiser un retour des royalistes, sans succès. N’empêche, le prétexte est tout trouvé pour les Républicains parisiens.
La Convention nationale, menée par les Montagnards, assiège la ville à partir d’août. À l’intérieur, elle sera défendue notamment par un partisan de la monarchie, Louis-François Perrin de Précy. Une aide qui finit de faire de Lyon une ville favorable à la monarchie pour les révolutionnaires.
« L’histoire du soulèvement de Lyon, à cause de Précy est marquée du sceau du royalisme, gommant les réels fondements du soulèvement lyonnais », estime ainsi Bruno Benoit.
Après plusieurs mois de siège, la ville est reprise par Joseph Fouché, figure de la répression.
Le 12 octobre, Paris peut officiellement écrire « Lyon n’est plus ». La conséquence de ce décret sera, notamment, les exécutions dans la plaine des Brotteaux des 4 et 5 décembre, commandités par Jean-Marie Collot-d’Herbois. Par la suite, celui-ci expliquera n’avoir fait qu’appliquer le fameux décret.
En tout, 1600 personnes sont tuées lors d’une répression s’étalant sur plusieurs mois.
Bellecour sauvée par… la crise économique
Mise à part la crypte des Brotteaux, les traces de cet épisode sanglant sont rares. Initialement, les révolutionnaires avaient prévu de détruire Bellecour et ses alentours. Le quartier était réputé pour loger une grande partie de l’aristocratie lyonnaise.
Les façades orientales et occidentales de la place commenceront ainsi à être démontées. Objectif : tout raser pour installer une colonne. Celle-ci devait commémorer les péchés anti-révolutionnaires des Lyonnais. Elle ne verra jamais le jour.
« Ils ont dû arrêter le chantier, car ils n’avaient pas l’argent pour payer les démolisseurs », relate l’historien Bruno Benoit.
La destruction de la ville s’arrêtera donc aux dégâts causés par le siège. À la mort de Robespierre, en août 1794, un calme très relatif reviendra dans cette période des plus troublées. Puis, la ville reprendra son développement, une fois de plus.
La Révolution : un traumatisme fondateur pour l’identité politique de Lyon
Pour l’historien Bruno Benoit, cet épisode marque profondément la mentalité lyonnaise.
« C’est un traumatisme pour les Lyonnais alors que ces derniers n’étaient pas contre-révolutionnaires, assure-t-il. Elle va marquer l’identité politique de la ville. »
Difficile de situer politiquement Lyon par la suite. Perçue comme une commune « blanche », royaliste, elle est aussi vue comme le berceau de la révolution ouvrière durant le XIXe siècle avec, notamment, le soulèvement des Canuts. Le révolutionnaire anarchiste Mikhaïl Bakounine s’y rendra même durant la Commune (1870 – 1871), persuadé que la ville est prête pour les luttes ouvrières.
Finalement, la ville restera dirigée « ni à droite, ni à gauche », selon Bruno Benoit. Il faudra attendre Édouard Herriot pour qu’un maire prenne la mesure de cet extrême centrisme. Maire de Lyon de 1905 à 1957 (avec une pause durant la Seconde Guerre mondiale), le président du Cartel des gauches, à Paris, sera le premier à faire une différence importante entre politique nationale et locale.
« A Paris, il bouffait du curé comme un bon laïcard. Mais à Lyon, il bouffait avec eux », continue Bruno Benoit.
Un héritage direct du traumatisme de 1793, selon lui. Le même Herriot dénoncera d’ailleurs dans son livre Lyon n’est plus la boucherie des Brotteaux. Une preuve de plus de l’importance de l’événement pour l’histoire des lyonnais.
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