Il est 16 heures, Mattéo, 18 ans, est obnubilé par sa ligne de pêche. Rien ne peut le perturber. Pourtant, une chaleur étouffante s’abat sur Lyon en ce mois de juin, le cadran digital de la pharmacie voisine affiche 31 degrés. Son style vestimentaire ne le différencie en rien des autres passants sur le quai. Pas de treillis, ni de bottes en caoutchouc.
Le trafic routier est dense, les voitures défilent juste au-dessus de nos têtes, au niveau des quais de Saône, entre le quartier d’Ainay et Perrache. Rien, ni la pollution, ni le bruit, ni la chaleur ne viennent le déconcentrer.
Le jeune passionné semble savourer l’instant de la même façon que s’il évoluait près d’une petite rivière de montagne. Il répète soigneusement les mêmes gestes dans l’espoir de voir vibrer le bout de sa canne, ce que les pêcheurs nomment communément le « scion ».
Le street-fishing à Lyon ou la « pizza » dans l’eau
Ce jeune street fisher pratique la pêche aux leurres. Cette technique consiste à simuler la nage d’un véritable poisson par le biais d’un leurre, en l’occurrence un petit poisson souple en plastique, qu’il lance puis ramène en direction du bord. Il est très appliqué dans ses mouvements.
« Il ne suffit pas de lancer, puis de ramener. Il faut animer le leurre, se mettre dans la peau d’un véritable poisson », détaille-t-il.
Ainsi, Mattéo s’applique à marquer des temps de pause, où le leurre coule vers le fond, entrecoupés par des phases durant lesquelles il mouline de façon continue. Il n’hésite pas à donner des petits coups secs au niveau du scion. Sa parade est de mimer un poisson à l’agonie. Une cible de choix pour les carnassiers : les poissons qui se nourrissent d’autres poissons.
« Là, je suis monté pour pêcher plutôt la perche », avance Mattéo. C’est un poisson à l’allure zébrée qui a la réputation de mener un combat intense, bien que sa taille ne dépasse que rarement les 40 centimètres, les plus grosses sont surnommées « pizza » par les street fisher.
Le jeune pêcheur dispose de plusieurs cannes et d’une ribambelle de leurres qu’il adapte en fonction de ce qu’il compte attraper. La pêche au silure ou au brochet nécessite un équipement beaucoup plus lourd que la pêche à la perche.
« Le street fishing, c’est une pêche sportive »
En l’occurrence, pour cette « session pizza », Mattéo va varier les leurres en fonction des spots qu’il va parcourir.
Il faut donc opter pour un leurre dur, un poisson fictif de consistance dure, ou plutôt pour un souple d’un autre colori – ils ont tous une odeur caractéristique pour attirer le poisson, à l’ouverture de la boite les contenant s’échappe une odeur frappante par son aspect chimique : mêlant des émanations de plastique à des parfums exotiques en tout genre –, en tenant compte de la profondeur des eaux ou encore de la météo.
Le street fisher est constamment en mouvement, il lance rarement deux fois au même endroit, s’il n’a pas été alerté par la présence d’un poisson.
« Le street fishing, c’est une pêche sportive où l’on marche beaucoup, on doit s’adapter à l’architecture de la ville », précise Mattéo. Il ajoute : « Il faut pouvoir balayer le maximum de zones où des poissons peuvent se loger, généralement ils mordent dès le premier lancer ».
« Cette pêche permet de casser un peu les clichés vieillots »
« J’ai à cœur de toujours relâcher le poisson sans le blesser, on ne pêche plus pour se nourrir aujourd’hui. C’est avant tout une passion, un sport. ».
Mattéo pratique le « no-kill », comme la majorité des street fisher aujourd’hui, il ne tue pas son poisson, – d’autant plus que la consommation de ces derniers est interdite à Lyon – il porte en lui de réelles convictions. L’ardillon, une contre-pointe visant à empêcher le décrochage, au niveau de son hameçon, est par exemple écrasé.
Il qualifie sa démarche de « bienveillante » à l’égard du poisson, l’objectif est de limiter au maximum sa souffrance.
« Cette pêche moderne, ça permet de casser un peu les clichés vieillots », résume Jean-Pierre Faure, directeur technique à la Fédération de pêche du Rhône.
Le street fisher, qui a pour objectif d’apporter un nouvel élan progressiste à la pêche, est particulièrement préoccupé par les questions éthiques contemporaines.
A Lyon, le street fishing a aussi ses addicts
« J’ai découvert le street fishing sur les réseaux sociaux et depuis j’ai monté ma propre chaîne YouTube, il y a un vrai public qui est intéressé », témoigne l’étudiant en agronomie.
Le street fishing est une discipline qui se pratique plutôt en solitaire. Le pêcheur ne peut compter que sur sa patience et son abnégation pour espérer dénicher un poisson qui a de l’appétit.
Une nouvelle génération se retrouve en ligne. Le jeune homme nous assure que beaucoup de street fisher lyonnais sont actifs sur les réseaux sociaux – essentiellement via des groupes Facebook – à diverses fins : véhiculer les bonnes mœurs de la discipline (bien relâcher son poisson, ne pas pêcher au vif, respecter les zones de frai…), programmer des sessions à plusieurs ou encore échanger à propos des équipements.
C’est aussi simplement un moyen de se faire remarquer sur la toile, beaucoup de pêcheurs cherchent à attraper un poisson pour le poster dans la foulée sur Instagram.
« Le street fishing, c’est avant tout lié aux réseaux sociaux », déclare Georges, président de l’association Fishare
Malgré l’existence d’une communauté, le street fishing peine à bien se développer à Lyon, contrairement à Paris où la discipline a grossi de façon importante.
Une des explications réside dans le fait qu’accéder à des zones de pêche en pleine nature se fait facilement depuis Lyon. A Paris, les pêcheurs sont contraints de s’adapter au milieu urbain. En l’occurrence, Mattéo affirme qu’il « préfère évidemment pêcher en nature ».
Il ajoute :
« Je ne peux pas me déplacer facilement en dehors de Lyon, je ne suis pas originaire d’ici, je viens sur les quais à vélo ».
Paris dispose de nombreuses sociétés spécialisées en la matière, telles que French Touch Fishing, qui contribuent au rayonnement du street fishing dans la ville. Des magasins voient le jour, des stages sont proposés mais aussi des compétitions organisées. Un dynamisme que les street fishers lyonnais aimeraient bien dupliquer.
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