« On a d’abord cru que c’était une blague. »
Delphine Billet est remontée comme une pendule. Ce mercredi 8 juin, la présidente du conseil local des « Parents d’élèves FCPE du Collège Maurice Utrillo », situé à Limas, au sud de Villefranche, vient de lancer une action en justice contre le département du Rhône, avec son collectif de parents d’élèves « Des collèges qui respirent ».
Selon les informations de Rue89Lyon, elle attaque une décision du 10 décembre 2021 portant, fait rare, sur la construction d’un collège. Le tort du Département du Rhône ? Faire construire ce nouvel établissement, nommé Jacques-Chirac, sur un terrain où se trouve déjà un autre collège.
Depuis la découverte du projet, les parents d’élèves n’en reviennent pas. « Bien sûr qu’on voulait d’un nouveau collège, mais pas comme ça ! », s’agace la mère de famille. Sur un terrain de 4 hectares comptant 750 élèves, un nouveau bâtiment doit pouvoir accueillir 800 élèves.
« On est parti sur cette action [un recours déposé devant le tribunal administratif, ndlr], car on n’a jamais pu discuter du projet, explique Delphine Billet. Ça ne nous amuse pas de faire ce genre de choses. Ce qui est énervant, c’est d’avoir à trouver des arguments alors que s’opposer au projet relève du bon sens… »
Collège au sud de Villefranche-sur-Saône : un manque de « connaissance de ce qu’est un ado »
Pas assez d’espace vert, pas assez de place, des problèmes de circulations à prévoir avec l’arrivée de nouvelles voitures, des élèves tassés les uns sur les autres… Selon les parents, agacés :
« Ce projet illustre un manque de connaissance de ce qu’est un adolescent, de ses besoins éducatifs, de comment travaillent les professeurs… Ils ont regardé ce qui pouvait se faire au niveau foncier, sans s’attarder sur l’humain », grogne Delphine Billet.
Selon le collectif, l’idée du projet n’a jamais été débattue avec les parents. Visiblement, sa présentation en janvier par le président du conseil départemental, Christophe Guilloteau, n’avait pas apaisé les tensions, au contraire.
L’intérêt du projet, en l’état ? « Mutualiser » des équipements. Mais ces derniers sont déjà overbookés. Les infrastructures sportives accueillent ainsi des élèves du collège Maurice Utrillo et Jean-Moulin, à Villefranche. « Les plannings sont déjà saturés », constate-t-elle.
Côté restauration scolaire, cela signifie aussi une seule cantine pour les deux établissements. Une ineptie selon le conseil local des « Parents d’élèves FCPE du Collège Maurice Utrillo de
Limas » :
« Pour assurer le service de la cantine, on va devoir détruire des bâtiments du collège Maurice-Utrillo construits seulement en 2013 ».
Pour elle, le constat est sans appel :
« Il ne faut pas faire d’économies d’échelle sur l’éducation ! »
Au Département on promet de nouveaux équipements sportifs
Daniel Valéro, vice-président du Rhône en charge des collèges, trouve la colère des parents un peu « égoïste ». Droit dans ses bottes, il défend un projet indispensable face à une croissance démographique préoccupante.
« Nous avons un seuil de population très critique dans le secteur de Villefranche, que l’on n’arrive pas à absorber, marque-t-il. Il y avait bien un terrain à Arnas, mais il n’était pas constructible. »
Daniel Valéro se veut tout de même rassurant sur les équipements prévus. Les élèves du collège Jean-Moulin, situé à Villefranche-sur-Saône, n’iront plus au collège Maurice-Utrillo pour faire du sport. Le « mini-gymnase » de Jean-Moulin sera refait en intégralité pour les accueillir.
De quoi libérer, selon lui, 360 heures de créneaux. Le terrain de sport de Maurice-Utrillo, en mauvais état, sera également rénové.
Pour la cantine, deux espaces séparés pour les collèges au sud de Villefranche-sur-Saône
Concernant la cantine, l’élu du Rhône s’inscrit en faux sur les déclarations du collectif.
« Il n’y a que la production alimentaire qui sera mutualisée, marque-t-il. Les élèves ne mangeront pas ensemble ! »
Reprenant son dossier, Daniel Valéro atteste que les élèves du collège Maurice-Utrillo vont même gagner en place, passant à une salle de restauration de 496 m2, contre 388 m2 actuellement. Les élèves de Jacques-Chirac auront également une surface de 496 m2, selon lui.
Du reste, il note qu’il n’y avait pas d’autres possibilités d’un point de vue foncier. Du moins, il n’y en a plus. Un temps, une installation à Gleizé, commune à l’ouest de Villefranche-sur-Saône, avait été envisagée. Le projet avait ensuite été abandonné.
Retard dans la construction d’un collège à Villefranche-sur-Saône : une impasse nommée Gleizé
Pour comprendre les raisons de cette situation rocambolesque, il faut remonter dans le temps. Il y a encore deux ans, tout semblait rouler pour prévoir une installation à Gleizé. Grand de 26 844 m² , le terrain avait semble-t-il tout pour plaire. Sauf que son propriétaire n’avait pas prévu de s’en séparer.
A la suite d’une enquête du journal le Progrès, le Département avait découvert que les terrains appartenaient à quatre cousines germaines du maire de Gleizé, Ghislain de Longevialle. En conflit avec ce dernier, sa famille voyait dans cette expropriation une vengeance personnelle. Une des raisons pour laquelle l’affaire semblait avoir été conclue si vite ? Peut-être… Depuis, Le Progrès relate régulièrement les difficultés du maire de Gleizé avec ses proches.
Coincé, le Département a dû, lui, changer son fusil d’épaule et rebondir. Pressé par une croissance démographique importante, notamment liée à l’exode urbain généré par le confinement, la collectivité a dû aller vite.
Une « cité scolaire » comme le Département en compte déjà deux
Trop vite ? Dans l’urgence, il s’est tourné vers un terrain facile d’accès. Appartenant au Département, ce dernier ne demandait pas de modifications du PLU. De plus, il est assez « grand », selon Daniel Valéro, également maire de Genas. Il juge qu’il faut 1,5 hectares pour construire un collège. « Du moins, c’est ce que nous faisons sur ma commune de Genas ».
Avec 4 hectares, Limas a largement la place pour accueillir deux collèges, selon lui. Sans compter qu’il ne s’agirait pas de la première cité scolaire du département. Le Rhône compte deux grands ensembles de ce type à Tarare, avec la cité scolaire de la Plata, et avec l’ensemble Claude Bernard, à Villefranche-sur-Saône. Différence avec ces deux dernières : les deux collèges seront, il l’assure, indépendants, avec chacun son chef d’établissement. Pas sûr que cela rassure les parents.
Mixité sociale : un enjeu pour ce collège au sud de Villefranche-sur-Saône
En effet, la solution trouvée « dans l’urgence » n’est, visiblement, pas la bonne pour le collectif de parents d’élèves.
« Des collèges qui respirent » met en avant l’équilibre déjà fragile du collège Maurice-Utrillo. Un travail a été réalisé, selon la présidente de la FCPE, Delphine Billet, pour que tous les élèves soient à l’aise. Les petits (en classes de 6e et 5e) jouent dans la cour du plateau haut quand les plus grands (4e – 3e) sont dans la cour du bas. Les travaux vont remettre en question cet équilibre.
De plus, l’établissement est connu pour avoir conservé une « mixité sociale » en mêlant des élèves du quartier défavorisé de Belleroche, voisin des lieux. Avec la création de deux établissements côte-à-côte, celle-ci ne sera plus assurée pour les parents.
« On est certain qu’il y aura de la compétition entre les établissements », regrette encore la présidente de la FCPE.
Le Département bénéficie de l’argument « carte scolaire »
Là encore, le vice-président Daniel Valéro exclue cette possibilité.
« C’est le Département qui peut donner les informations pour diriger la carte scolaire », rappelle-t-il.
Il dit s’être engagé auprès du directeur académique (le DASEN) sur ce point. Des élèves de communes rurales, comme Pommiers, iront ainsi à Maurice-Utrillo, selon ses projections. Une manière d’assurer une mixité sociale.
Pour le reste, il rappelle que le projet n’en est qu’à ses débuts. Trois groupements d’entreprises ont été sélectionnés pour mener les travaux. Le projet définitif de l’architecte n’a donc pas été rendu. Celui-ci prendra compte des demandes faites par les équipes éducatives au cours de réunions de travail.
Une « concertation » a posteriori qui laisse pantois les habitants les plus énervés. Ces derniers auraient préféré être informés du dossier avant le lancement du projet. Devant le tribunal administratif, ils feront valoir que le conseil d’administration du collège a été averti après coup.
De même, le Conseil départemental de l’Éducation nationale (CDEN), une instance consultative, a été saisi après le vote de la délibération, selon eux. Pas de quoi freiner le Département qui met en avant l’urgence à agir.
Une zone contrainte à une croissance démographique importante
Du côté du collectif, on sait qu’il faut construire d’autres établissements. Mais pas n’importe comment, explique-t-on. « Pour construire des zones industrielles, on a beaucoup moins de mal à trouver du terrain », soupire la mère de deux enfants, encore au collège Maurice-Utrillo.
Elle le sait, le sujet des « compétences » se pose aussi. Chaque institution (Département, communauté d’agglomération, Ville, etc.) gère différents sujets ; et les terrains ne sont pas facilement disponibles. Mais bon, « la situation est rageante », estime-t-elle.
D’autant que des « propositions de terrain » ont été faites, notamment, du côté d’Arnas, au nord du département. Un secteur où existe un fort développement de l’immobilier. Mais, selon le Département, ce dernier n’est pas constructible.
Sûr de son coup, l’exécutif départemental préfère se concentrer sur l’étape d’après. Pour faire face à l’augmentation de la population, deux projets de collèges vont devoir être lancés dans le Rhône d’ici la fin de la décennie. Or, pour que cela se fasse, il faut aller vite.
« J’ai lancé des demandes à tous les maires. Cela fait six mois que je travaille sur le dossier. Pour l’instant, je n’ai pas eu de retours », constate Daniel Valéro.
De nouvelles actions prévues pour les parents d’élèves
Et pourquoi ne s’y être pas pris avant ? L’équipe du président du Rhône, Christophe Guilloteau, a commencé son deuxième mandat en 2021. Quid des six années du premier mandat ? Cette fois, c’est la gestion de la création de la Métropole et de l’héritage encombrant de l’ère Michel Mercier (Modem) qui est mis en cause. L’ex-baron du Rhône avait, notamment, laissé à son successeur des emprunts toxiques assez problématiques à gérer.
En attendant, les parents d’élèves se sont organisés pour faire entendre leur mécontentement. Aujourd’hui, ils sont près d’une centaine à appartenir au collectif « Des collèges qui respirent ». Une pétition en ligne a rassemblé plus de 1250 signatures. Ils ont organisé deux manifestations depuis décembre et en préparent de nouvelles.
Le 18 juin prochain, ils seront devant le collège Maurice-Utrillo pour montrer leur désaccord. Près de 1500 visages d’élèves vont être affichés pour symboliser « l’aberration » de ce qui est toujours pour eux une « blague ».
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