C’est un immeuble froid, gris et discret, à quelques rues de la place Jean-Macé (Lyon 7e), du côté de Gerland. Le siège de Homeserve, entreprise qui commercialise des contrats d’assurance, ne fait pas partie des bâtiments devant lesquels on a l’habitude de voir des piquets de grève. Les salariés toujours en poste, une grande majorité de cadres, en sont les premiers surpris et jettent parfois des coups d’œil furtifs mais intrigués en direction du rassemblement qui se tient aux pieds de leurs bureaux.
Ils peuvent apercevoir leur collègue Sophie*, qui observe une journée de grève ce lundi 30 mai, tout comme le mardi précédent.
« Je travaille dans cette entreprise depuis 2014 et mon salaire mensuel est d’environ 1500 euros net. J’ai trois enfants et, avec l’inflation, j’ai largement réduit mes dépenses alimentaires. La viande par exemple. C’est vrai que lorsque dès le 15 du mois on se retrouve en négatif, on se dit que quelque chose ne va pas », témoigne la jeune femme, petite veste en cuir sur les épaules.
» Le 15 ?! Mais moi c’est dès le 5. Et je n’achète plus de viande, seulement de la charcuterie parce que c’est moins cher », renchérit Anna*, sa collègue, locataire à Villeurbanne.
Dans cette entreprise d’environ 450 salariés – dont plus de 270 cadres – les grévistes, une petite centaine, sont chargées d’assistance, de vente, ou de clientèle. En grande majorité des jeunes femmes, elles sont les petites mains du courtier en assurance. Elles gagnent entre 1300 euros et 1500 euros mensuels hors prime. Un salaire qui, à cause de l’inflation, se rapproche désormais du SMIC (voir encadré).
Plusieurs jours de grèves pour les salaires au siège de Home Serve à Lyon : « On ne voit jamais la couleur des bénéfices records »
Des salaires aussi bas et des employées qui peinent à boucler leurs fin de mois dans une entreprise au chiffre d’affaire avoisinant les 125 millions d’euros, c’est assez pour déclencher une grève.
« On sait que l’entreprise se porte bien. Nos dirigeants nous parlent de bénéfices records, de 50 millions de bénéfice net, mais nous, salariés de la production on ne voit jamais la couleur de cet argent », dénonce Amir Benaziza, délégué syndical CGT chez Homeserve.
Dans ce contexte, les conclusions de la réunion NAO (négociation annuelle obligatoire, pendant laquelle ont lieu les revalorisations salariales) sont jugés insultantes. « Ils nous ont augmenté de 23 euros brut par mois ! », enrage Amir Benaziza.
Si la CGT et la CFTC, syndicats engagés dans la grève ont refusé de signer l’accord proposé par l’entreprise, la CFDT, majoritaire chez Homeserve, l’a bel et bien accepté.
« Cet accord a été signé sans consultation des salariés. Or il est totalement insuffisant et nous réclamons de nouvelles augmentations », regrette Mheidi Mahmouti, délégué syndical CFTC.
Insatisfaits, les grévistes réclament, entre autre, 7% d’augmentation de salaire, une prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat ainsi que la mise en place d’un 13e mois.
« Ce qui est important, c’est l’augmentation du salaire mensuel. C’est ça qui nous permet de prévoir nos budget et d’anticiper nos dépenses, pas les primes qui sont aléatoires », explique Sophie*.
Pour le directeur des ressources humaines de Homeserve, qui s’exprime dans le Progrès, pas question de compléter les NAO par de nouvelles mesures. « L’année 2022 marque notre plus haute redistribution de la valeur », assure-t-il. Et le DRH de mettre en avant la moyenne de la prime d’intéressement reversée annuellement part l’entreprise : 9000 euros. Or le montant de ces primes est aussi fonction du salaire des employés.
« Ce sont peut-être les cadres qui touchent ces montants mais, nous, on ne touche pas autant. D’ailleurs ils ne s’y trompent pas, il n’y en a pas un qui fait grève », assure Sophie*.
« Dans cette entreprise on ne mélange pas les torchons et les serviettes », assène Amir Benaziza, drapeau de l’union locale CGT 7/8e arrondissement entre les mains. En attendant de nouvelles négociation avec la direction, la grève chez Homeserve pourrait être reconduite.
Les éboueurs de la métropole de Lyon en grève pour 200 euros de salaire en plus
A quelques centaines de mètre du siège de Homeserve, rue de Gerland, les agents de la collecte d’ordure de Lyon Sud étaient eux aussi en grève jusqu’à ce mardi 31 mai. Et il n’étaient pas les seuls : depuis le 25 mai, des piquets étaient tenus dans les trois collectes de la Métropole de Lyon, leur employeur. Au total : « une centaine d’agents sur les 388 sont en grève », annonçait la collectivité.
« Le mouvement est parti à l’initiative des éboueurs eux-mêmes. Ils sont venus me voir pour que notre syndicat pose un préavis de grève. SUD est donc le seul syndicat engagé dans la bataille », explique Lounes Kaddour, secrétaire général SUD Métropole de Lyon.
Cette fois, les grévistes ne demandent pas une augmentation en pourcentage mais en salaire net : 200 euros en plus sur la fiche de paie. C’est qu’ici aussi, l’inflation se fait sentir.
« J’avais pour habitude de manger une fois par semaine dehors avec mon fils. C’est fini, je ne peux plus », regrette Saïd, éboueur depuis 23 ans.
« Cela doit faire un an que je n’ai pas fait les courses à Auchan, je ne vais que dans les magasins low cost. Je récupère même des invendus, on en est là ! », ajoute Hakim*, son collègue depuis un an.
« Ce n’est pas assez pour se casser le dos toute sa vie »
Lorsque les avantages de la paie ne suffisent plus à faire accepter un métier éreintant, la question des conditions de travail ressurgit.
« Un salaire de départ à 1580 euros net, ce n’est pas assez pour se casser le dos toute sa vie, quand on nous prend pour une machine et qu’on n’a pas son mot à dire », assure Swan ripeur depuis un an.
« Dans certains endroit, on est passé de deux tournées par semaine à une seule. Lorsque les gars passent, ils se retrouvent avec des poubelles blindées, très lourdes. Pour compenser, il faudrait rajouter des camions ! Mais on ne le fait pas pour des questions d’économies », résume Marie*, agent de maîtrise et seule femme présente sur le piquet.
« Un ingénieur de notre collecte a dit que si un éboueur finit sa journée à 11h, c’est qu’il ne fait pas le boulot. Mais qu’il vienne, lui, ramasser les poubelles. Ses paroles ont été la goûte d’eau qui a déclenché le mouvement de grève. On veut être augmenté et respecté », conclut Hakim*.
Ce mardi 31 mai, la grève des éboueurs s’est terminée. Ils n’ont rien obtenu si ce n’est un groupe de travail qui va plancher sur leurs problèmes.
Grève pour une augmentation de salaire à Marionnaud Lyon : « En 35 ans je n’avais jamais fait grève »
Loin de l’ambiance masculine du piquet de la collecte Lyon Sud, les magasins de la chaîne de parfumerie Marionnaud, sont entrés nationalement en grève mardi 24 mai.
A Lyon, le mouvement, porté par le syndicat UNSA, a été particulièrement fort. Plusieurs des 27 magasins que compte la région Auvergne-Rhône-Alpes ont totalement fermé et 90 salariées, presque exclusivement des femmes, se sont rassemblées rue Victor Hugo pour manifester leur mécontentement.
Brigitte*, responsable de magasin, 35 ans de bons et loyaux services chez Marionnaud, a fait grève pour la première fois de sa vie.
« Quand j’ai commencé ma carrière, le SMIC c’était pour ceux qui commençaient à travailler et n’avaient pas de diplôme. Aujourd’hui, j’ai des vendeuses qui ont bac +4 et qui sont payées au SMIC. Pour les plus anciennes comme moi, on constate toute l’inflation d’un côté et nos salaires qui n’augmentent pas de l’autre. Des collègues avec 20 ans d’ancienneté touchent 30 euros de plus que le SMIC ».
Une fois encore, les NAO ont mis le feu aux poudres.
« Nos employeurs nous ont proposé 5€ d’augmentation brut pour les salariés au SMIC, c’est à dire 80% d’entre nous », tempête Nadia Ené, déléguée syndicale UNSA sur Lyon.
Les négociations restent en cours, mais un mouvement de grève pourrait de nouveau avoir lieu si elles s’avéraient insatisfaisantes.
« C’est un travail difficile. On se retrouve à jongler entre l’accueil des clients, la gestion du click and collect, le ménage des locaux… Tout ça avec un tableau de classement face à nous toute la journée qui indique quels sont les magasins qui ont le plus vendu et nous met la pression. On travaille 10 heures par jour et beaucoup d’entre nous sont mères, parfois seules. On jongle toute la journée et on ne veut pas avoir à recommencer le même numéro d’équilibriste avec nos dépenses une fois rentrées chez nous », déplore Brigitte.
Des grèves à venir à Lyon pour exiger de meilleurs salaires
Les grèves pour les salaires n’ont pas fini d’essaimer à Lyon. Le 2 juin, les agents des industries électriques et gazières vont rentrer en grève pour une durée indéterminée. Ils exigent une revalorisation de leur salaire minimal de branche (SNB) dans un contexte d’inflation galopante.
« On dit que nous sommes des professions privilégiées, ce n’est plus le cas. Nos salariés niveau bac sont désormais recrutés à 34 euros au dessus du SMIC. Pourtant RTE 661 millions d’euros de résultat net, +27% en 2021 », explique Francis Casanova, délégué syndical central CGT chez RTE.
Même combat du côté des travailleurs social, en grève le 31 mai et le 1er juin. Leurs syndicats demandent une revalorisation de 400 euros net mensuels. Une revendication de longue date puisqu’elle fait suite à la crise Covid, pendant laquelle ces professions avaient été particulièrement mobilisées.
La situation est également tendue à la mairie de Lyon, où la CGT a déposé un préavis de grève pour le mardi 7 juin. Le syndicat exige notamment « une prime de 1000 euros pour contrer l’inflation ».
Face à une situation explosive dans de nombreuses entreprises, le ministre de l’Economie a annoncé le prolongement du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité jusqu’à la fin de l’année. Conséquence : gel du prix du gaz et plafonnement de la hausse de l’électricité à hauteur de 4%.
Pour ce qui est de l’inflation généralisée, Bruno le maire a incité les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires. Mais force est de constater que salariés et employeurs ne parviennent pas toujours à s’accorder sur ce qu’il est possible de faire ou non en matière d’augmentation salariale.
*Les prénoms ont été changés à la demande de nos interlocuteurs
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