Dina, jeune assistante commerciale, est arrivée en France il y a plus de 15 ans. Impliquée dans la vie culturelle et associative de la métropole, elle a rapidement offert son aide pour l’Ukraine, d’abord en empaquetant des colis de produits de première nécessité, puis en étant interprète-bénévole, toujours à la Croix-Rouge, pour accueillir les réfugiés ukrainiens à la gare de Lyon Part-Dieu.
Elle nous livre son récit.
« Je suis arrivée à Lyon au milieu des années 2000, pour mes études en école de commerce. Je me suis très vite intéressée à la culture française, et j’ai commencé à poser mes racines dans le pays. L’art de vivre me plaît plus que mon pays natal, il y a une certaine douceur de vivre. La guerre, je n’y pensais pas. J’en discutais avec mes amis russes, mais personne n’y croyait.
Le 24 février, lorsque j’ai appris l’invasion à la radio, j’ai réveillé mon mari. Il a cru que j’avais fait un cauchemar. Je suis arrivé au travail le visage défiguré. Au début, j’ai passé trois semaines à lire les news, c’était comme une drogue, j’étais en état de choc. On est assez nombreux à se sentir très mal par rapport à cette guerre. Ma grand-mère et mon-grand père ont vécu toute leur vie en Ukraine, et j’y ai passé des vacances dans mon enfance.
Depuis, je suis dans une sorte de conflit cognitif. Ici, quand je sors, c’est le printemps, tout est beau, je vois les arbres, les tulipes en fleur. Et en même temps sur mon portable, je vois ces corps en différents états de décomposition, il y a ces vidéos de chiots qui jouent avec des cadavres de soldats…
« Aujourd’hui je dois presque demander à mon mari « chéri, est ce que tu peux me donner un peu d’argent pour aller chez le coiffeur ? » »
Courant mars, ma banque m’a appelé « pour mettre mon dossier à jour ». Sur le coup j’étais surprise ; en treize ans au CIC, ils ne m’avaient jamais rien demandé. J’ai transmis mon passeport et mon titre de séjour en cours de validité ; mon conseiller m’a rassuré et on a même discuté projet immobilier. Les problèmes ont commencé après : le week-end suivant, j’ai voulu faire un petit virement de 40 euros pour alimenter mon compte courant. Il n’est pas passé. J’ai essayé depuis le compte de mon mari ainsi que notre compte joint. Tout a été refusé.
Entre temps, sur des canaux Telegram, plusieurs témoignages de Russes ont fait part de problèmes similaires, avec d’autres banques. Certains ont même assuré que leur salaire avait tout simplement disparu de leur compte. Mon employeur a lui accepté de verser mon solde sur le compte de mon conjoint. Aujourd’hui, je dois presque demander à mon mari « chéri, est ce que tu peux me donner un peu d’argent pour aller chez le coiffeur ? » comme une femme des années 50. Ça peut paraître drôle, mais je me sens doublement visée : en tant que femme, et en tant que russe.
« On se demande d’où viendra le prochain désagrément d’être né avec ce passeport »
Les jours passant, je constate que les virements entrants et sortants sont refusés, ou pour certains validés manuellement par mon banquier, après plusieurs jours. Il y a énormément d’incertitude. On ne sait pas d’où viendra le prochain désagrément d’être né avec ce passeport russe. J’avais pour projet d’acheter une petite maison en bois, maintenant c’est niet.
Lorsque j’ai demandé des explications, on ne m’a donné aucun cadre juridique. A l’oral, on m’a confirmé que ces contrôles étaient liés à ma nationalité. Par mail, la banque m’a cité un décret des sanctions européennes. Ce décret confirme pourtant que les russes munis d’un titre de séjour valable sont exclus des sanctions et des contrôles.
Tout cela est stressant, heureusement que je suis mariée… Mais pourquoi devoir être mariée pour être en sécurité ? Je suis une femme des années 50 jusqu’au bout… Beaucoup d’étudiants et de personnes seules sont dans une situation précaire, leurs parents ne peuvent plus leur envoyer d’argent.
Mon papa vit aussi en France et demeure dans la même situation que moi. Il vit seul, est handicapé et n’a pas pu recevoir ses remboursements de sécurité sociale. Il s’est retrouvé à découvert. Depuis, il surveille ses comptes en permanence pour être sûr qu’aucun virement ne disparaît.
« On se demande si on est toujours les bienvenus dans le pays »
Avec le tchat Telegram, un petit comité de 500 personnes veut aller plus loin et engager une action en justice. Pour moi c’est très important de créer un précédent.
Je me suis toujours sentie très bien en France, j’adore la culture, les paysages, la gastronomie… Je suis bénévole à la Croix-Rouge, active, et je paye mes impôts. Et là, c’est un caillou dans la chaussure. Bien sûr, cela n’a rien avoir avec ce que vit le peuple ukrainien. Mais on se demande si on est toujours les bienvenus dans le pays. »
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