C’est dans les colonnes du journal régional Le Progrès que Sophie Rotkopf, vice-présidente de Laurent Wauquiez déléguée à la culture en Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé un « rééquilibrage » sans appel du budget alloué à la culture, ce vendredi 22 avril. L’article se trouve à la page 15 du quotidien, partageant l’espace avec une publicité de pari sportif, et une autre pour des voyages organisés à Bali.
Le rééquilibrage dont il est question dans l’article vise (pour le moment) trois infrastructures à Lyon : l’Opéra de Lyon, la Villa Gillet (maison européenne et internationale des écritures contemporaines) ainsi que la Biennale d’art contemporain de Lyon.
Aucun communiqué n’a été envoyé par le conseil régional pour expliciter la déclaration inattendue de la vice-présidente à la culture du conseil régional. Les montants des baisses de subventions évoqués sont pourtant conséquents : pour l’Opéra de Lyon et la Biennale, il faudra soustraire respectivement 500 000 et 200 000 euros des subventions annuelles accordées par la Région.
La Villa Gillet ne touchera quant à elle plus aucune subvention de la part du conseil régional présidé par Laurent Wauquiez (LR), ce qui représente donc une disparition de moyens de 350 000 euros.
Sophie Rotkopf a justifié cette décision couperet par une volonté de redistribuer l’enveloppe de subventions de façon plus égalitaire sur le territoire :
« On a beaucoup aidé certaines structures, ce n’était pas forcément le rôle de la Région de les aider autant. [Nous souhaitons] irriguer la culture jusque dans les territoires les plus éloignés. »
« La Région est un des partenaires fondateurs de la Villa Gillet et son premier financeur »
Elle a astucieusement conservé une ouverture en ajoutant :
« C’est vraiment ponctuel pour cette année, il serait dramatique que cela doive durer. »
La nouvelle a eu l’effet d’un coup de tonnerre pour les premiers concernés. La Villa Gillet n’avait pourtant pas besoin de ça, déjà bien occupée par les derniers préparatifs de son festival Littérature Live qui a lieu du 16 au 22 mai 2022.
Contrairement à la Biennale d’art contemporain, la Villa Gillet a reçu un courrier de la Région informant la directrice, Lucie Campos, de sa décision de cesser de verser des subventions à la structure. Une lettre-couperet invitant la Villa Gillet à retenter une demande l’année prochaine. Au sein de cet établissement culturel situé à la Croix-Rousse (Lyon 4e), c’est le choc :
« Le courrier a été envoyé sans crier gare, on a été scotché. La Région est un des partenaires fondateurs de la Villa Gillet et son premier financeur. »
L’édification de cet organisme dédié aux écritures françaises, européennes et internationales a effectivement, avait été encouragée par le conseil régional en 1989 (alors présidé par Charles Béraudier). Une coopération qui avait fonctionné sans accroche jusqu’à récemment.
« En 2019, par exemple, la nouvelle directrice de la Villa Gillet, Lucie Campos, a été nommée par la Ville mais aussi par la Région. Cette collectivité a toujours été partie prenante de notre action », explique-t-on à Rue89Lyon.
« Ce n’est pas un ajustement structurel, c’est un coup d’arrêt mis à la Villa Gillet »
Une action culturelle sur le territoire qui, d’après la structure, pourrait s’arrêter très vite si la Région ne revient pas sur sa décision :
« La Région est notre premier financeur. Le budget annuel de fonctionnement et de programmation varie entre 900 000 et 1 million d’euros. La Région donnait 350 000 euros, plus du tiers donc. Ce scénario proposé, c’est la mort de la Villa Gillet. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un ‘ajustement structurel’, c’est un coup d’arrêt. »
Les huit salariés de la structure ne se résignent pas pour autant. Parmi eux, on nous dit :
« Nous demandons à rencontrer la Région, pour qu’elle puisse nous expliquer clairement ce désengagement. »
La Villa Gillet ne comprend pas le reproche formulé par la Région :
« La subvention de la Région permet précisément d’exporter hors de Lyon une éducation artistique et culturelle. Cela peut prendre la forme de rencontres entre élèves de lycées et auteurs, des projets sur une année entière de critique littéraire avec des classes, ou même faire venir les élèves au festival. »
Pour Littérature Live, la Villa Gillet travaille avec 47 classes dont 30 sont situées hors de Lyon, représentant 24 lycées de l’ensemble de la région.
« Nous profitons de la venue de Jón Kalman Stefánsson [romancier et poète islandais, ndlr] pour l’emmener rencontrer des lecteurs à Chambéry en librairie, ainsi qu’à Chamonix, dans des classes de lycée, par exemple. »
La structure culturelle lyonnaise organise plus d’une quinzaine de rencontres dans des villes de la région éloignées de Lyon.
« On a surtout vocation à être ouvert sur le monde, à amener la culture du monde dans ces territoires, à les irriguer. Il y en a plus que jamais besoin en ce moment. »
« On est à un moment où il est plus que nécessaire de soutenir la culture »
Et de marteler :
« Les arguments qui nous ont été donnés nous ont abasourdis. On sort de deux ans de covid qui, comme pour beaucoup dans le milieu culturel, nous ont asséchés. On est à un moment où il est plus que nécessaire de soutenir la culture. On n’a pas fermé pendant la crise sanitaire, alors que c’était vraiment compliqué, parce qu’il nous semblait qu’il était important de continuer à proposer des choses, pour penser le monde. »
La Villa Gillet n’a pas vu cette démission de la Région venir, et craint de ne pas trouver de moyens pouvant combler le trou significatif désormais créé dans le budget :
« On n’est pas un opérateur de la Ville mais une association. Il y a une différence d’échelle et de nature entre nous et l’Opéra par exemple : on n’est pas un équipement de la Ville de Lyon. On est basé dans un arrondissement de Lyon mais on a été fondé à la jonction de la Ville, de la DRAC [direction régionale des affaires culturelles, représentante du Ministère de la Culture ndlr] et de la Région. »
L’association compte se tourner, en désespoir de cause, vers la Ville de Lyon, la DRAC, le Centre National du Livre ainsi que vers de petits financeurs privés pour tenter de se projeter dans le futur. Ce faisant, l’équipe de la Ville veut tout faire pour mener à bien le festival qui se tient en mai :
« On ne veut se désengager ni des auteurs, ni du public. La meilleure manière de prouver que des acteurs comme nous sont nécessaires, c’est de venir au festival : les sujets qui y sont abordés permettent de comprendre le monde dans lequel on vit. Ce n’est pas un événement réservé aux lecteurs mais à n’importe quel citoyen ou apprenti citoyen. »
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