Deux jours après le premier tour, la place du Mas du Taureau est en pleine effervescence avec le marché quotidien du ramadan. Difficile de ne pas y croiser un Vaudais qui a voté pour Jean-Luc Mélenchon, qui a réuni 55% des voix à Vaulx-en-Velin. Et même pour ceux qui n’ont pas le droit de vote, s’ils avaient pu, ça aurait été lui.
« Tout mon entourage a préféré Mélenchon », abonde une habitante.
Dans certains bureaux de vote de cette ville populaire, le candidat de gauche enregistre des scores très impressionnants. Au bureau de vote de l’école l’école Anton Makarenko, 459 voix sur 692 sont allés à Jean-Luc Mélenchon. À l’école Youri Gagarine, 437 votants sur 589 l’ont également choisi. Des résultats à l’image du nom de ces bureaux : soviétiques.
« Mélenchon, lui, il n’est pas raciste »
Naïm n’est pas du tout étonné par ces résultats. À 25 ans, cet ancien militant insoumis est le fondateur de l’Association Vaulx AmbitionS (AVAS) et le co-président du conseil de quartier au Mas du Taureau. Il a aussi voté Jean-Luc Mélenchon. Pris par l’organisation du marché du ramadan, il prend quelques minutes pour analyser les scores réalisés par le candidat dans sa ville.
« C’était logique. C’est le plus pertinent concernant les aides aux personnes dans la précarité. Et il parle de nous comme des personnes qui vivent vraiment en France. On est des Vaudais, issus de l’immigration, musulmans mais avant tout on est Français. Et ça les gens ils veulent nous l’enlever. Mélenchon parle de nous comme des citoyens. On va pas chercher plus loin, c’est tout simple. »
Il faut croire que les récurrentes prises de position du candidat insoumis, contre l’islamophobie et la stigmatisation des habitants des quartiers populaires auront fait mouche. Beaucoup de Vaudais et de Vaudaises rencontrés ce mardi après-midi en gardent cette image.
« C’est dommage qu’il ne soit pas sorti du premier tour, il m’inspire. Et puis lui, il n’est pas raciste », témoigne Farida Hamani, 59 ans, son cabas plein de denrées achetées au marché.
Plus loin, Imane attend le bus avec ses deux enfants. Marocaine, elle n’a pas le droit de vote en France. Ce jour-là, elle porte un voile bleu clair.
« Si j’avais pu, j’aurais voté Mélenchon. C’est lui le plus correct d’après ce que j’ai vu, sur la liberté de faire ce qu’on veut, de porter le voile. Il n’a pas de soucis avec les musulmans contrairement aux autres »
Le vote Mélenchon contre la stigmatisation des musulmans et des habitants des quartiers
Cette image de tolérance, contre la stigmatisation des musulmans et des habitants des quartiers, est la première chose qui ressort chez la dizaine de Vaudais avec qui l’on a discuté de Jean-Luc Mélenchon. En France, près de sept électeurs musulmans sur dix ont voté pour le candidat insoumis.
Naïm bondit à l’évocation d’un vote communautaire.
« Quand c’est un vote Zemmour, des petits bourgeois du 16e à Paris, c’est pas un vote communautaire ? »
Pour lui, le vote Mélenchon à Vaulx-en-Velin est tout autant un vote social, dans un quartier rongé par la pauvreté.
Face à des discours et programmes stigmatisants, les Vaudais ont fait un vote de survie et de dignité pour Kader Lahmar. Ce professeur aux lycée des Canuts, très investi dans la vie politique et associative locale depuis les années 1990, a participé à la création d’un collectif de militants des quartiers populaires, « On s’en mêle ». Avec son collectif, après des discussions avec la France Insoumise, ils ont appelé à voter Jean-Luc Mélenchon.
« Les habitants se sont mobilisés et ont prouvé qu’ils étaient dignes. Ils ne sont pas allés mettre un bulletin de vote pour le pouvoir d’achat mais pour que leurs libertés soient défendues. Aujourd’hui ils ont senti que le danger était important pour eux. Les Insoumis ont été courageux de s’associer à notre collectif. Jean-Luc Mélenchon a pris des risques parce que les gens ne votent pas dans les quartiers populaires, et une partie de son électorat aurait pu se désolidariser. Il a été traité d’islamo-gauchiste »
Sihem Irouche, militante de la France Insoumise à Vaulx-en-Velin, très investie dans la campagne présidentielle, analyse la position antiraciste de son parti comme une condition sine qua non pour se faire entendre dans les quartiers populaires.
« Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat qui ne met pas au centre de la scène les questions identitaires et sécuritaires. C’est un pré-requis nécessaire mais qui n’est pas suffisant. C’est une toile de fond qui rattache les personnes à la politique, car au-delà de ne pas se sentir représentées, elles peuvent se sentir stigmatisée. »
Mais pour la militante, ce n’était qu’un préalable, pour ensuite convaincre les habitants sur le volet social du programme.
À Vaulx-en-Velin, les habitants sont préoccupés par la précarité
Lorsque l’on demande aux Vaudais que j’ai rencontrés ce qu’ils attendent d’un président, c’est bien les questions de précarité qui ressortent. Ici, selon des statistiques de l’INSEE, 35% des actifs sont des employés et des ouvriers et 30% sont sans activité. Quant au revenu médian, il est très bas, avec environ 15 520 euros de revenus par an en 2017. Ce qui fait de Vaulx-en-Velin, l’une des communes les plus pauvres de la métropole de Lyon
« On a pas de travail. Ceux qui sont au RSA n’ont pas grand chose. Ceux qui ont un travail, le salaire n’est pas ça non plus. Les gens travaillent dur et n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ma fille de 34 ans galère pour trouver un appartement », détaille Farida Hamani.
Sur un stand de pâtisseries orientales, Mossa, 48 ans, s’active. Il a posé une semaine de congés pour venir travailler ici pendant le ramadan. De quoi compléter son salaire principal d’environ 1600 euros, qu’il dépense pour faire vivre ses trois enfants et sa femme sans emploi. Il ne s’est pas déplacé pour voter dimanche, trop « occupé ». Mais s’il avait pu, il aurait voté Jean-Luc Mélenchon, pour la retraite à 60 ans.
« Macron est pour la retraite à 65 ans. Je travaille dans le bâtiment. Moi, à 65 ans, je vais encore travailler dans le bâtiment ? C’est trop. »
Son collègue, Sofiani, abonde dans le même sens. Né à Lyon 3e, ses parents sont arrivés en France en 1942 et lui ont transmis « la tradition de toujours voter à gauche ». À cause d’un problème d’inscription sur les listes, il n’a pas pu voter Jean-Luc Mélenchon.
« Aujourd’hui les personnes qui touchent le SMIC, comme moi, au 5 du mois, on a plus rien. On a toujours l’espoir de se dire qu’avec un nouveau président, on aura plus de pouvoir d’achat ».
Une campagne à Vaulx-en-Velin autour du pouvoir d’achat
Tractage, porte-à-porte, affichages, deux groupes d’actions d’une dizaine de militants insoumis se sont partagés le travail à Vaulx-en-Velin. Sur la place du Mas du Taureau, des affiches de Jean-Luc Mélenchon côtoient celles de Fabien Roussel (PCF) et Anne Hidalgo (PS). L’un des groupes était animé par Léandre Luquet, un Vaudais qui est aussi membre du livret « Quartiers Populaires » de la France Insoumise. Il détaille les mesures mises en avant à Vaulx-en-Velin.
« Le SMIC à 1400 euros, la retraite à 60 ans, le blocage des prix, la possibilité d’un référendum et la révocabilité des élus. Il y a aussi une autre mesure qui est très importante, spécifiquement pour les quartiers populaires : la réimplantation des services publics. »
Forcément déçu de pas être au second tour au niveau national, le militant insoumis considère le résultat à Vaulx-en-Velin comme « une victoire » :
« On a moins d’abstention et on progresse de 17% ».
La ville reste quand même la commune de la métropole où le taux d’abstention reste le plus élevé, avec 40,45%, contre 41,70 en 2017.
Membre du conseil du quartier du Mas du Taureau, Naïm, se montre élogieux sur l’action des mélenchonistes dans sa ville et son quartier. S’il ne milite plus à la France Insoumise depuis plusieurs années, suite à des désaccords, il reste convaincu par leur stratégie.
« C’était ceux qui étaient les plus actifs. On les voit tout le temps sur le terrain, ils font le travail qu’on devrait faire pour comprendre comment ça fonctionne dans les quartiers. »
À Vaulx, tout reste à construire pour la France Insoumise
Tous ne sont pas si enthousiastes de premier abord. Sans animosité, Kader Lahmar attend de voir ce que va donner l’implication de la France Insoumise dans sa ville, notamment sur le sujet de la rénovation urbaine.
« Ils ne sont pas maîtres des voix des gens qui habitent les quartiers », prévient-il.
Au niveau local, aucun lien ne s’est fait entre les militants de « On s’en mêle » et ceux de la FI.
« Ils n’ont pas cherché à nous contacter et nous non plus. Il va falloir qu’on se trouve et qu’on discute. Il y a des attentes et un après à construire. Est-ce que les groupes locaux vont vouloir travailler avec des militants des quartiers populaires ? En tout cas, on a les mêmes préoccupations », analyse-t-il prudemment.
Du côté de la France Insoumise, le bon score de leur candidat galvanise les militants Vaudais. Qui veulent continuer la dynamique qu’ils ont trouvé à Vaulx-en-Velin.
« On va continuer de lutter et de travailler. Je parle d’où je vis et où je suis né. On va continuer de s’inscrire dans les dynamiques associatives et collectives, à diffuser les idées du programme », souhaite Léandre Luquet.
Reste la prochaine échéance électorale : les législatives. Pour l’heure, les candidats de la France insoumise/Union populaire qui se présenteront à Vaulx ne sont pas connus. Les discussions sont encore en cours au niveau national.
« C’est nécessaire que ce soit des personnes issues de Vaulx-en-Velin et qui y ont milité », plaide Sihem Irouche.
Léandre Luquet « [suivra] la ligne », même s’il souhaiterait aussi voir émerger des figures locales.
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