La Fondation Abbé Pierre vient de présenter son habituel éclairage régional sur l’état du mal-logement en Auvergne-Rhône-Alpes. On y trouve notamment un focus sur l’évolution de la situation des locataires les plus modestes dans l’agglomération lyonnaise.
L’étude s’appuie sur les données d’observation de la Maison de l’habitat (MDH), tenue par l’association l’Alpil qui accompagne des demandeurs dans des situations très diverses allant du sans-abrisme aux difficultés de paiement des loyers. Le travail a été mené par Loïc Bonneval, sociologue, maître de conférences à l’université de Lyon 2.
De nombreux couples avec enfants souhaitent être aidés pour leur logement à Lyon
Les difficultés pour se loger à Lyon sont-elles imputables à une dégradation de la situation financière des locataires, ou à une augmentation globale des loyers ? Pour répondre à cette question, Loïc Bonneval s’est penché sur les profils des demandeurs et sur les causes pour lesquelles les locataires ont fait appel à la Maison de l’habitat.
Qu’il s’agisse des locataires du privé ou du social, ceux qui ont formulé une demande d’aide auprès de la Maison de l’habitat sont souvent des travailleurs pauvres ou précaires, souvent dépendants des aides sociales, et notamment des aides au logement, en dépit de leur activité professionnelle rémunérée.
D’après le rapport de la Fondation Abbé Pierre :
« Ils se composent pour les deux tiers de ménages avec enfants (40 % de couples avec enfants et 28 % de familles monoparentales), le tiers restant étant surtout composé de personnes seules (27 %) et de couples sans enfants (5 %). Depuis 2007, c’est surtout la progression de la part des couples avec enfants (de 28 % à 40 %), relativement à celle des personnes seules, qui est notable. »
La majeure partie de ces personnes sont actives, en CDI ou dans des formes d’emploi plus précaires. Elles se situent souvent à la lisière du seuil de pauvreté :
« Le revenu disponible s’élève à 11 808 euros par an pour les locataires du parc privé et à 10 824 euros pour les locataires HLM, soit entre 900 et 1 000 euros par mois pour une personne. »
Une part importante des locataires privés qui s’adressent à la Maison de l’habitat mettent en avant des motifs liés à « la situation locative » : cela peut être un indicateur de difficultés liées aux rapports de location et aux prix des loyers.
« Beaucoup ont fait une demande de logement social à Lyon depuis plusieurs années »
L’écrasante majorité -quel que soit leur motif principal pour s’adresser à la Maison de l’habitat- ont des budgets très fortement affectés par le loyer. Une allocation des ressources qui peut être quantifiée par le « taux d’effort » : c’est-à-dire la somme des dépenses liées à l’habitation principale comparée aux revenus du ménage. Ainsi le rapport de la Fondation Abbé Pierre décrit :
« Leur taux d’effort moyen est de 50 %, même en comptant l’aide au logement (sans laquelle il s’approche des 60 %), très loin des 33 % couramment admis comme seuil maximal. Leur taux moyen atteint même des niveaux insoutenables pour plusieurs catégories de demandeurs. Leur situation se complique souvent d’impayés et de dettes locatives. Beaucoup ont fait une demande de logement social, depuis parfois plusieurs années. »
Un autre indice témoigne du poids « insoutenable » du logement dans le budget des foyers : les problèmes locatifs comme les coupures (téléphone, électricité) mais pas seulement :
« Les informations recueillies font également état de la pression qui s’exerce sur les ménages concernés, sous forme légale, avec le lancement de procédures d’expulsion, ou non (menaces, insultes…). »
Une évolution qui suggère un effet des logiques de marché sur le logement à Lyon
Il est nécessaire d’accompagner cette tendance par une autre :
« On compte moins d’expulsions et de conflits avec le bailleur et un peu plus de logements repris (notamment pour être mis en vente) ou trop chers entre 2007 et 2020. »
Une évolution qui serait symptomatique de l’envol du prix du mètre carré à Lyon :
« Même légère, cette évolution suggère un effet des logiques de marché, avec une intensification des congés pour vente et des pressions à la hausse sur les loyers : s’il n’y a pas d’explosion des congés pour vente, ils sont le signe de l’effet continu des tensions sur le marché, bien que peu visible (car donnant lieu à peu d’alertes ou de controverses). »
Un « congé pour vente » désigne la procédure par laquelle un propriétaire peut demander à son locataire de quitter l’appartement pour le vendre. Le locataire bénéficie alors d’un droit de préemption, c’est-à-dire qu’il peut acheter en priorité l’appartement, si il en a les moyens.
Les loyers des locataires du parc privé qui ont contacté la Maison de l’habitat ont augmenté en moyenne de 21 % entre 2007 et 2020, soit une hausse supérieure à celle de l’ensemble des loyers (en intégrant le parc social) sur l’agglomération lyonnaise.
« La disparition du parc social rattrape des fractions de plus en plus larges de la population »
Il faut noter que les revenus des locataires qui font appel à la Maison de l’habitat sont aussi plus élevés, ce qui peut représenter un nouveau public auparavant moins touché par ce type de problématiques :
« Le revenu [moyen] des locataires du parc privé va dans le même sens : leur revenu disponible moyen s’élève en 2007 à 8 928 euros (environ 15 % en-dessous du seuil du premier décile de revenus) et passe à 11 808 euros en 2020 (soit légèrement au-dessus du seuil du premier décile). »
Le rapport conclut donc assez naturellement qu’entre 2007 et 2020, l’alourdissement du budget logement ne semble pas être dû qu’à un appauvrissement des ménages. On observe au contraire que l’ampleur du budget logement n’inquiète plus seulement les foyers les plus pauvres, même s’ils restent tous modestes.
Les motifs pour s’adresser à la Maison de l’habitat seraient de plus en plus imputables aux pressions du marché locatif (logement trop cher et surtout reprise pour vente). Les locataires en détresse en 2020 sont moins paupérisés que ceux qui ont fait appel à la Maison de l’habitat en 2007 :
« Le poids du loyer se fait trop lourd pour des ménages moins précaires qu’il y a 15 ans, comme si la poursuite de la disparition du parc social de fait rattrapait des fractions de plus en plus larges de la population. »
Difficile d’obtenir une mutation de logement social à Lyon
On observe plus d’expulsions dans le secteur social que le parc privé. Cela s’explique notamment par l’appauvrissement d’une partie des locataires. Pour la plupart, ils viennent à la Maison de l’habitat parce qu’ils n’arrivent par à se faire muter dans un autre logement :
« Le tableau est différent pour les locataires du parc social. Leurs motifs de demandes à la Maison de l’habitat sont moins souvent liés à des demandes locatives que par le passé (30 % en 2007 et 16 % en 2020) et plus à des difficultés de mobilité résidentielle (taille du logement notamment) qui renvoient aux files d’attente pour obtenir un logement social. »
Cette différence de problématique entre public et privé souligne les dynamiques de marché des locations privées. Ces difficultés ne se résument donc pas à une dynamique de précarisation.
Entre 2007 et 2017, le revenu des 10 % les moins riches n’a augmenté que de 7 % , soit moins de la moitié des hausses des loyers (17 %). D’après le rapport de la Fondation Abbé Pierre :
« On voit bien ici de quelle façon l’absence d’un « parc social de fait » fait peser une pression particulière sur les plus modestes. De ce point de vue, un encadrement agissant même sur de faibles hausses de loyers peut avoir un effet sur la possibilité des moins fortunés de se maintenir ou d’accéder à un logement dans le secteur privé. »
« De plus en plus de personnes solvables sont concernées par le loyer trop cher »
Qui conclut :
« De plus en plus de personnes solvables sont concernées par le loyer trop cher, le congé, les impayés, les expulsions et l’impossibilité de se reloger à l’identique dans le parc privé. »
Une évolution confirmée par l’ADIL, l’Agence d’Information sur le Logement Département du Rhône Métropole de Lyon qui témoigne de la croissance des sollicitations ces deux dernières années :
« [Les sollicitations concernent] les congés vente-reprise et plus récemment d’autres phénomènes (ventes à la découpe, surélévation d’immeubles et inquiétudes d’impayés de loyer liés à la crise sanitaire). »
A la conférence de presse présentant son rapport, Véronique Gilet, directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre tire la sonnette d’alarme :
« L’encadrement des loyers arrive tard, et la situation a eu le temps de s’installer à Lyon. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est réinvestir le parc privé, que des institutions publiques sanctuarisent des logements par l’achat. »
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