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Pollution à Lyon : « Et si on lançait la circulation alternée tous les jours ? »

Un nouvel épisode hivernal de pollution aux particules fines est en cours depuis ce lundi 24 janvier, dans le bassin lyonnais/Nord-Isère, et ce qu’on appelle le « niveau d’alerte » vient d’être atteint ce mardi. La préfecture met donc en place l’abaissement temporaire de la vitesse de 20km/h et la désormais connue « circulation alternée » des automobiles, et circulation autorisée à toutes celles affichant une vignette Crit’Air. L’occasion de laisser libre cours aux réflexions de notre éco-anxieux et blogueur sur Rue89Lyon, Reno Bistan. Nouvelle chronique !

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Voitures et SUV à Lyon

La préfecture met donc en place l’abaissement de la vitesse de 20km/h et la désormais connue « circulation différenciée » des automobiles. Toutes celles affichant une vignette Crit’Air (classe “zéro émission moteur” ou 1, 2 ou 3) seront autorisées à circuler dans le périmètre de la ZFE. L’occasion de laisser libre cours aux réflexions de notre éco-anxieux et blogueur sur Rue89Lyon, Reno Bistan. Chronique ci-après.

Longues journées d’extrême pollution sur l’agglomération lyonnaise, et voilà le retour de la mesure « phare » en pareille situation : la circulation « différenciée ». Une mesure à ne pas confondre avec celle précédemment mise en place lors des pics de pollution : la circulation « alternée » (que je cite en titre).

Il y a quelque chose dans l’intitulé-même de cette « circulation différenciée » qui ne sonne pas très « juste ». Quelque chose qui renvoie à une différence de traitement difficilement entendable.

Et effectivement, pour rappel, la circulation « alternée », était une mesure qui, à partir du critère aléatoire du numéro inscrit sur la plaque d’immatriculation, autorisait alternativement les voitures finissant par un chiffre pair et impair à circuler. Le lien était donc directement fait entre la pratique de « l’auto-solisme » en général et la pollution atmosphérique.

Cette circulation alternée avait le mérite pédagogique d’inciter les automobilistes à s’adapter à la situation, à s’organiser pour covoiturer, prendre la bicyclette ou les transports collectifs.

Et même si, dans les faits, la pollution chronique est plus délétère que la survenue des pics, celle ci devait être considérée comme un phénomène à prendre en compte lorsqu’elle dépassait tous les seuils, et pouvait donc impliquer la réduction forcée du trafic, de la même manière que l’usager des transports doit s’adapter à un jour de grève ou le cycliste à une tempête.

Le gros SUV labellisé Critair’1 contre la vieille Clio

Dans les esprits progressait ainsi l’idée que la pratique de la voiture individuelle pouvait, elle aussi, être contrainte. Tout comme l’idée qu’en diversifiant ses manières de se déplacer en ces jours particuliers, on pouvait finir par y prendre goût et se mettre à considérer que le mode « seul dans sa voiture » ne constituait pas une norme indépassable.

La circulation « alternée » s’adressait donc aux automobilistes en général, et pointait en creux l’ensemble des nuisances écologiques liées à l’hégémonie de « l’auto-solisme » sur les déplacements.

Et puis, dans le cadre de la Zone à Faibles Emissions est arrivée la circulation « différenciée » basée, elle, sur le système des vignettes Crit’air. Une ZFE dont l’objectif n’est pas de réduire la place de l’automobile en ville mais d’encourager à l’acquisition de véhicules moins « polluants », terminologie devenant bien souvent dans le langage médiatique et politique « véhicules propres ».

Ainsi est-on passé d’une mesure visant à réduire de manière équitable le nombre de véhicules, à une autre qui opère une distinction entre les « mauvaises voitures », interdites durant les pics et bientôt interdites tout court, et les véhicules « non polluants » ayant le droit de circuler 365 jours de l’année, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il « particule fine ».

La distinction entre l’une et l’autre reposant, en grande partie, sur l’unique critère de leur année de fabrication.

En résulte cette situation, symboliquement désastreuse où d’énormes SUV labellisés Critair’1 peuvent parader dans des rues lorsqu’une vieille Clio y est interdite. D’ailleurs, on pourrait même presque parler d’une vignette 4X4 étant donné que près d’un véhicule neuf sur deux immatriculé dans le Rhône en est un, et qu’aucun critère de poids, d’émissions de CO2 directes et indirectes, d’espace occupé, de dangerosité voire, simplement, de type d’automobile n’ont été intégrés dans cette ZFE.

Car, malheureusement, ces Zones à Faibles Emissions séparent de manière artificielle la question de la pollution de l’air (réduite elle même à certains critères), de la question écologique globale.

circulation alternée à Lyon ? contrôle de police des vignettes Crit'air lors du pic de pollution à l'ozone cc Emma Delaunay
Contrôle de police des vignettes Crit’air lors du pic de pollution à l’ozone en juin 2019Photo : Emma Delaunay/Rue89Lyon

La voiture individuelle ne peut pas être « propre »

La pollution de l’air est un scandale sanitaire dont on découvre peu à peu l’ensemble des dégâts qu’on estime déjà responsable de près de 100000 morts prématurées par an en France. Il est incontestable que les moteurs diesels, et particulièrement les plus anciens, sont fortement émetteurs de dioxyde d’Azote, particulièrement préjudiciables à la santé humaine.

Mais, comme détaillé dans une précédente chronique, les voitures neuves, dont la plupart des constructeurs ont été convaincus de fraude sont loin d’être neutres en terme de pollution atmosphérique. Pire, les filtres des véhicules les plus récents seraient pourvoyeurs de Particules Ultra Fines (PM 0,1) non réglementées mais particulièrement nocives.

Ajoutons à cela que les foyers les plus riches, plus susceptibles d’acheter un véhicule neuf, sont aussi, contrairement à une idée reçue, les plus motorisés et ceux qui font le plus de kilomètres quotidiens « domicile-travail », contrebalançant par la grandeur des distances parcourues les gains potentiels de « filtration ».

Mais si, de surcroit, sortant du cadre spécifique de la pollution de l’air, on élargit la problématique à une vision écologique plus globale en y intégrant les émissions de Gaz à effet de serre et autres impacts environnementaux, on serait bien en peine de distinguer un véhicule « propre ». Est-ce la voiture électrique dont le bilan écologique devient « positif » par rapport aux autres au bout d’un certain nombre de milliers de kilomètres, ce qui implique de continuer à tenir l’auto comme principal mode de déplacement ? La voiture essence, moins émettrice de polluants atmosphériques que le diesel mais plus consommatrice de carburant ? L’hybride rechargeable qui fait peser un poids considérable sur les moteurs ?

En vrai, la voiture individuelle ne peut pas être « propre ».

Elle n’échappe pas aux questions de l’obsolescence programmée, la majeure partie de sa pollution provenant de sa construction, de son transport, de sa destruction (tout cela largement majoré dans le cas des SUV), elle est dépendante de ressources et d’infrastructures elles mêmes extrêmement « impactantes », et fortement liée à l’étalement urbain et à l’artificialisation des sols.

Comme concernant beaucoup de thématiques écologiques, avant même de poser la question du type de carburant utilisé, il importe de questionner l’usage, de promouvoir sobriété et mutualisation. Et en ce sens, un pick-up de 2,5 tonnes utilisé essentiellement pour transporter une seule personne de 80 kg ne pourra jamais être écologique, fut-il frappé d’une vignette Crit’air 1. Il constitue juste une véritable provocation pour quiconque « tire » sur sa même vieille petite automobile depuis plus d’une décennie.

Confier les « clés de la ville » à la seule technologie automobile ?

Ainsi la question de la pollution de l’air ne peut être décorrélée du reste notamment lorsqu’on a pour objectif la neutralité carbone en 2030. Et, s »il est parfaitement justifié de « différencier » les véhicules quant à leur légitimité à circuler en ville, c’est sur la nécessité de leur usage et certainement pas sur le critère de leur année de construction.

En gros, appliquer une distinction entre les véhicules de transports en commun, de secours, d’artisans, etc., et l’usage « de confort » de la voiture.

À partir de là, la question peut se poser de savoir si les véhicules « préservés » roulent à l’essence, à l’électrique, à l’hydrogène ou se transforment pour certains en triporteurs.

La ZFE, pour être tout à fait précis, n’est pas une « lubie des Verts ». Elle a été mise en place depuis quelques années déjà dans plusieurs grandes villes et répond à une injonction règlementaire. On peut même penser que, au moins dans les intentions, l’actuelle majorité semble plus disposée à « s’attaquer » à l’hégémonie automobile que la précédente mandature qui s’en remettait pour beaucoup au solutionnisme technologique. Malgré tout, le fonctionnement Crit’air sur lequel elle continue de s’appuyer reste une des parties les plus visibles de cette ZFE, agité à dessein par tout ce que l’agglomération compte d’élu·es pro-voiture pour se refaire facilement sur cette question une virginité en terme de justice sociale.

Pour en revenir à la circulation « alternée », les études réalisées les jours où elle avait été mise en place avaient montré, à Paris, une baisse significative de la pollution atmosphérique d’entre 15 et 20% selon les types de polluants. Mais, depuis que la règle a changé avec l’adoption de la circulation « différenciée », cette baisse n’a plus été constatée. Peut être parce que de « claire et universelle », elle est passée à « compliquée et discriminante ».

Les autorités justifient cette nouvelle manière de faire par son caractère « ciblant » justement, qui permettrait d’empêcher moins de véhicules pour le même résultat. Mais, même si cette stratégie fonctionnait, serait-ce vraiment un objectif que de confier les « clés de la ville » à la seule technologie automobile ?

Des « Crit’Airs » plus opérants que la vignette

Les pics de pollution hivernaux comme ceux que nous vivons actuellement sont liés à des phénomènes particuliers d’inversion thermique, et amplifiés par les particules liées au chauffage. Tout cela vient s’ajouter à la principale et permanente source de pollution en ville qu’est le trafic automobile.

Ces moments de pics, en ce sens qu’ils contraignent ponctuellement les activités de chacun.e et pèsent d’autant plus sur la santé de celles et ceux qui en sont le moins responsables (les enfants, les piétons, les cyclistes, les usagers des transports…) devraient être envisagés comme des moments où, justement, les choses ne devraient pas aller comme à l’habitude.

Encore une fois c’était, à l’instar des journées « sans voiture », la vertu de ces jours de circulation « alternée ».

Bien sûr, ces jours de pics ne sont qu’une infime partie du problème de la pollution de l’air mais la manière de les traiter a une incidence sur la manière de considérer le problème au long cours.

Poser des contraintes à la voiture individuelle « en général » tout en lui opposant le plus grand nombres d’alternatives possibles, « différencier » non pas les véhicules neufs des véhicules anciens mais ceux qui ont une nécessité  « en tant que véhicule » à circuler de ceux qui sont uniquement moyens de transport individuel, rendre sans voiture  de larges zones de la ville mais aussi de longs itinéraires dédiés aux transports en commun voire à certain.e.s professionnel.le.s, prendre en compte le poids et l’espace occupé par chaque auto…

Voilà sans doute des « Crit’airs » plus opérants dès lors qu’on cherche réellement à tendre vers une ville où la question de la pollution de l’air soit articulée à une vision écologique et sociale plus globale.

Et alors, finalement, pourquoi pas une « circulation alternée » tous les jours ?


#circulation différenciée

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