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Doit-on construire encore ? Un débat à Lyon

Partout sur la planète, à quelques rares exceptions, les espaces et les paysages sont anthropisés, transformés, dessinés par les actions humaines. Interroger le territoire en regardant toutes ses composantes, en intégrant toutes ses traces, en assumant ses potentiels et ses risques, ses interrelations avec tous les vivants, convoque-t-il de nouveaux outils exploratoires, d’enquête, de nouvelles compétences ?

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Givors ©Commune

Rue89Lyon est partenaire de l’école urbaine et publie chaque semaine une tribune proposée par des intervenant·es du cycle de conférences “les Mercredis de l’anthropocène“. Ci-après un texte intitulé « Construire encore », signé par Alexis Stremsdoerfer, architecte associé de « Commune », un atelier d’architecture à Lyon.

construire Lyon
GivorsPhoto : Commune

Qu’ont en commun les zones commerciales, les lotissements ou les immeubles qui poussent comme des champignons à travers la ville ?

Personne ne désire les visiter. Aucun touriste ne se hasarde à flâner dans les pimpantes extensions urbaines de Chaponost, Neuville ou Chassieu. Aucun voyageur ne vient photographier la pourtant bien nommée et prometteuse « porte des alpes ».

Le diagnostic de l’appareil photo est sans appel : il existe une dichotomie formidable entre les lieux en lesquels nous vivons et ceux qui suscitent notre intérêt ou notre admiration. Le quotidien a cessé d’être magnifié par les lieux en lesquels nous menons nos existences : il nous reste alors le temps des vacances pour faire le plein de pittoresque et d’authenticité dans des ailleurs toujours plus lointains.

La zone commerciale a pilonné l’inattendu. Le lotissement a disséqué le paysage périurbain productif en de petits mondes individuels et fats. Aucun bombardement n’a détruit notre ville avec autant d’intensité que les opérations d’aménagement visant à faire naître de nouveaux « cœurs de ville » à Gerland, Vaise ou ailleurs.

Ces espaces fonctionnels sont la part émergée de l’anthropocène (ou capitalocène ; les deux termes visent à décrire le même phénomène, bien que l’un mette en avant la responsabilité de l’humain et l’autre la responsabilité d’un système économique). Grâce aux formidables quantités de déchets que leur construction a engendré, aux terres qu’ils ont contribué à artificialiser ou à stériliser, ils ont fait de nous-même une force géologique.

« Exercer le métier d’architecte aujourd’hui relève du défi »

L’architecte n’est peut-être pas le plus responsable, mais il est très certainement complice de ce vaste mouvement de destruction. Exercer ce métier aujourd’hui relève alors du défi. Comment faire de la terre notre alliée et valoriser les lieux plutôt que continuer à considérer la création comme une dent creuse en attente d’être comblée ?

Retrouver la terre n’est seulement pas une chose facile. Cela relève à la fois d’une cure de désintoxication et d’une leçon de construction. La liste des addictions est longue. Sans jeter l’opprobre sur un matériau (comme le fait Anselm Jappe à propos du béton), une utilisation excessive de ce dernier tient de l’aberration. Il existe heureusement chez les jeunes architectes un vif intérêt pour les matières naturelles.

Ce dernier est non seulement motivé par une fascination retrouvée pour des matières brutes, sauvages et poétiques (dont l’industrie nous a écarté), que par les savoir-faire rigoureux et les aventures collaboratives que la mise en œuvre de matériaux naturels porte en son sein. Ici un mur de terre, là une charpente en bois massif, ailleurs un enduit singulier ou une construction de pierre : il s’expérimente à la marge sur le territoire des choses modestes qui ont cependant l’audace des recommencements.

L’ensemencement de la culture architecturale par une culture constructive décarbonée, artisanale et locale décontenance : elle est une forme de réappropriation du réel, un moyen de renouer avec la terre et l’audace des entreprises complexes.

Construire vertueusement n’est seulement pas suffisant. Un bâtiment bardé de labels écologiques peut en réalité faire beaucoup de mal à son environnement, au-delà de son empreinte carbone. L’architecte ne peut pas uniquement être nourri d’intentions louables, il lui faut également se munir d’outils, de méthodes et de garde-fous : il porte la responsabilité des tracés.

« La ville a moins besoin de chefs-d’œuvre que de ré-enchanter l’ordinaire »

En tant qu’architectes, nous pratiquons le dessin à la main pour plusieurs raisons. Par plaisir, pour son extraordinaire souplesse, son efficacité, sa frugalité, mais également parce qu’il est un formidable mode d’enquête. Le dessin implique d’avoir à passer du temps avec son sujet d’étude. Le dessin révèle ce qui est sous nos yeux et que nous ne voyons plus. Le dessin nous permet d’éduquer notre regard, comme de partager aux autres le fruit de nos découvertes.

Dessiner un lieu, c’est déjà ne pas le faire disparaître. Le dessin sélectionne les aspérités à partir desquelles construire, pourquoi pas, de nouveaux récits. Le crayon est en quelque sorte l’ennemi du bulldozer. Le crayon invite à la prudence, au recommencement, au mille griffonnages susceptibles de faire émerger la moins pire des solutions.

Que serait-elle ? Une architecture qui jamais ne détruirait l’essence d’un lieu, mais participerait au contraire à son épanouissement, son métissage. Il en va de l’architecture comme de la musique. Il y a de la musique pour combler le vide de sens des galeries commerciales et de la musique qui transfigure l’espace. Nous cherchons dans la mesure du possible à faire de toutes nos interventions non pas des additions ou des soustractions, mais des conjugaisons avec ce qui est.

Nous pourrions nous tenir pour satisfaits si, dans une dizaine d’année, nos bâtiments donnent l’impression d’avoir toujours existé. Soyons lucides, la ville a moins besoin de chefs-d’œuvre que de ré-enchanter l’ordinaire.

Il n’est pas simple d’être banal. « Rien ne satisfait davantage l’homme que participer à des processus qui dépassent la durée de vie de l’individu » (extrait d’une conversation avec le professeur Keijo Petäjä au début de 1980 ; source non identifiée).

Mercredi 15 décembre – Interroger le territoire pour le projeter. De 18h30 à 19h30 à suivre en ligne (puis en podcast) ou en présentiel à Hôtel71 (Lyon 2e).

Avec :

– Bertrand Vignal, architecte paysagiste associé de l’agence de paysage « Base » fondée en 2000, qui propose un rapport à la nature renouvelé : le paysage est immersif, vecteur de connaissance et d’expérimentation, empreint de forces naturelles et anthropiques transformées en langage de projet.

– Alexis Stremsdoerfer, architecte associé de « Commune », société de maîtrise d’œuvre et de recherche, qui envisage le territoire non comme un espace à remplir mais comme un lieu à valoriser.

Animation : Lou Herrmann, chargée de mission « Edition et Dessin » à l’Ecole urbaine de Lyon.


#Urbanisme

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