« Ok pour l’entretien, mais il faut que ça aille vite, je suis en pleine vinification. »
Claire Chasselay est le genre de personne à ne jamais avoir trop le temps. En ce mardi de la mi-octobre, elle court entre les tonneaux du domaine familial, allant des éprouvettes du labo, aux cuves, à l’accueil pour vendre quelques bouteilles. « Elle est branchée sur 220 volts », sourit une de ses consœurs.
Ce jour-là, elle nous accorde pourtant trois fois plus de temps que prévu autour d’un café. Vin bio, certification, féminisme… Elle envoie, sans ambages, ses convictions dans ces différents domaines. Même sur ses doutes concernant l’appellation « vin naturel », au label émergent.
« Si déjà tout le monde arrêtait de mettre du Round-up de partout, ce serait déjà pas mal », renâcle-t-elle.
« Quand on était jeunes, on ne se disait pas qu’on allait faire vignerons »
Installée avec son frère depuis 2008 sur les terres de son père (le domaine existe depuis 1464), Claire Chasselay a récupéré des vignes déjà 100 % bio. Ses parents, Jean-Gilles et Christiane, furent parmi les premiers du secteur des pierres dorées (sud Beaujolais) à entrer dans les démarches de labellisation. En 2003, la famille obtient une première certification AB. En 2006, les 11,5 hectares y sont passées.
Pas de désherbant, ni produit chimique de synthèse, une attention particulière au calendrier lunaire, etc. Elle poursuit l’histoire familiale, avec sa touche, et son tempérament. Un parcours qui n’a pas toujours relevé de l’évidence.
« Quand on était jeunes, moi comme mon frère, on ne se disait pas qu’on allait faire vignerons. D’ailleurs, avant nous, nos parents non plus ! »
Elle qui a toujours vécu et travaillé dans ce monde pense rapidement aux beaux-arts, avant de laisser tomber. Elle revient vite dans la viticulture et l’œnologie où elle travaillera six ans.
« Vendre le vin des autres, ça m’a plu, se souvient-elle. Mais il me manquait quelque chose. »
« Dans le Beaujolais, nous ne sommes pas les premières vigneronnes, mais maintenant nous avons le statut »
Rapidement, une évidence s’affirme : elle veut faire le vin qu’elle aime. Sous-entendu : le sien. Elle décide de repasser dans les vignes avec son frère. De sa période dans la vente, elle garde en haute estime la fonction du caviste. « C’est la prolongation naturelle de notre métier », marque-t-elle. Finie la vente en direct. Aujourd’hui, elle ne représente plus que 5 % de ces ventes.
Avec son frère, elle se concentre sur la production et la vinification. Lors de celle-ci, il et elle n’ajoutent aucun intrant. Il peut leur arriver d’ajouter une dose minimale de sulfite seulement à la mise en bouteille, pour optimiser la conservation. Derrière son microscope, elle surveille les étapes de la fermentation des vins.
Une place technique qu’elle aime occuper en tant que femme.
« Nous ne sommes pas les premières vigneronnes, nous avons toutes des mères, rigole-t-elle. Mais, maintenant, nous avons le statut. »
Elle le rappelle : sans les épouses, les vignes n’auraient jamais tourné. Pourtant, celles-ci n’ont pas toujours été considérées comme tel. Beaucoup n’ont d’ailleurs jamais été déclarées.
« À l’époque de mes grands-parents, il était inconcevable qu’une femme rentre dans la cave, constate-t-elle. C’est vraiment avec notre génération que cela a commencé. »
Une femme dans les vignes : une petite tendance à « ramener sa science »
Aujourd’hui, les choses ont bien évolué. Comme sa consœur Elisa Guérin, elles sont plusieurs à avoir repris des domaines familiaux.
Reste que certains préjugés ont la vie dure. Alors, quand elle a des stagiaires consœurs, elle leur livre tout, prenant presque une position de mentor. Dans son parcours, c’est peut-être la principale chose qui lui a manqué, par rapport à ses confrères, en tant que femme vigneronne. « Mais les potes de ma génération m’ont bien aidé », souligne-t-elle.
De même, la jeune mère a tendance à « ramener sa science ». Surtout sur des sujets techniques, histoire de montrer que « les mecs » ne sont pas les seuls à les maîtriser. Il faut dire qu’à côté du gabarit de rugbyman de son frère, certains ont tendance à la prendre pour la commerciale. « C’est risible je sais. Mais bon, ça m’agace. » Ils en prennent alors pour leur grade.
Le Beaujolais à la recherche de nouveaux vignerons
Pour elle, il y aura besoin de femmes pour reprendre des vignes. Pour cause : avec une population vieillissante, un nombre importants de vignerons vont partir à la retraite prochainement.
A presque 40 ans, elle le souligne : la plus grande difficulté pour eux sera de trouver des successeurs.
« Quand on a repris, je pense que seuls 5 % des vignerons trouvaient des successeurs. Le métier n’était pas aussi « sexy », constate-t-elle. Alors aujourd’hui, que ce soit des femmes ou d’autres, il faut lancer un appel pour que du monde vienne reprendre. On est ouvert ! Sinon, 95 % des vignerons vont se trouver sans successeur. »
La période semble, pour cela, meilleure qu’à une époque. Le beaujolais a de nouveau la côte et les bonnes quilles se trouvent une meilleure place sur les tables de Lyon et d’ailleurs.
« Les grosses daubes de sanglier, c’est fini. Tout se rafraîchit ! »
« Les grosses daubes de sanglier, c’est finit. Tout se rafraîchit. Maintenant, on veut sentir plus les légumes. Et bien pour le vin, c’est pareil. »
Cette enfant du cru prêche pour sa paroisse. Faisant partie d’une « génération 100 % chauvin », elle « aime sa terre », son vin, et le défend.
« Aujourd’hui, quand les gens boivent un vin, ils ne veulent pas se prendre la tête, marque-t-elle. Est-ce que tu bois pour déguster ou pour te faire plaisir ? »
Dit comme ça, forcément, ça donne envie. Restera à convaincre de potentiels amoureux des vignes de venir s’installer. Dans un métier complexe, où la connaissance de son territoire et de sa topographie est primordiale, il paraît difficile parfois de trouver des successeurs hors des familles.
Ainsi, les vigneronnes rencontrées lors de notre passage dans le Beaujolais poursuivent souvent une histoire familiale. Le père de Claire Chasselay, Jean-Gilles, n’a pris sa retraite qu’en mai 2021. En absence d’héritières et d’héritiers systématiques, il faudra pourtant y arriver.
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