Ce premier vendredi de septembre, il y a foule à la sortie de la prière de la mi-journée. Sur le chemin du retour de la mosquée, les fidèles de la Duchère s’arrêtent au compte-gouttes pour acheter quelques légumes disposés sur des blocs de béton. Ce jour-là, ils trouvent potimarrons, tomates et carottes tout juste cueillis.
Le prix est imbattable et la provenance aussi. Un circuit ultra-court puisque le potager est situé quelques mètres derrière ce lieu de vente bricolé. Pour les pastèques, Anna – une des quatre salariés en insertion du potager – encourage les clients à franchir la clôture pour aller les cueillir directement.
Omar s’exécute :
« Je les ai touchées mais elles ne sont pas encore mûres. Pour l’être, elles doivent sonner creux et avoir le cul jaune. Je le sais, en Algérie, je viens de la région des pastèques, Boumerdès ».
Omar repart finalement avec une botte de carottes à un euro « pour la purée de [sa] petite fille ».
Cet habitant de 60 ans, dont « 20 ans à la Sauvegarde », est aussi vice-président du conseil de quartier :
« C’est un projet que nous soutenons car il est fait pour les habitants. Au lieu que le terrain soit vide, il y a un jardin potager. Il faudrait que ça s’agrandisse et que ça se fasse connaître. Ça manque de publicité ».
À Lyon 9e, l’expérience de ferme urbaine ne durera que deux ans à la Duchère
Depuis mai dernier, un potager de 900 m2 a remplacé l’ancien centre commercial de la Sauvegarde, édifice typique de l’urbanisme de grands ensembles des années 60 et 70.
Avec la nouvelle phase du renouvellement urbain de la Duchère, le secteur de la Sauvegarde, a fait l’objet de quelques démolitions de barres avant les futures reconstructions.
Dans l’entre-deux, outre potimarrons, tomates et carottes, des courgettes, des poireaux, des haricots, des aubergines, ou encore du maïs poussent. Le terrain est prêté gratuitement par l’aménageur de la Métropole de Lyon – la Serl – à l’association Aiden (lire encadré) qui œuvre pour l’insertion professionnelle notamment via le maraîchage.
Tout est cultivé en bio mais sans le label. Car cette expérience de ferme urbaine ne durera que deux ans avant l’édification d’une « Halle agriculturelle » (lire encadré). Trop court pour demander la certification.
Depuis que les légumes sont apparus dans ce sous-quartier de la Duchère, Anna et les autres salariés n’ont récolté que des « retours archi-positifs » de la part des habitants.
« Au début, ils pensaient que le potager ne leur était pas destiné, témoigne Anna. Un jour, j’ai pris les devants et j’ai dit aux gens qui passaient que c’était une production pour les habitants, avec un circuit le plus court possible ».
Des craintes que des habitants du secteur de la Sauvegarde avaient exprimées dans les colonnes de Rue89Lyon : un projet urbain « fait pour les nouveaux habitants et non pour les anciens ».
« Avec ce potager, on veut proposer l’étape d’après, une professionnalisation »
Cette ferme urbaine à la Duchère est une des expériences d’agriculture urbaine qui émergent dans la métropole de Lyon.
La particularité de cette expérience perchée sur la troisième colline de Lyon porte sur le processus de professionnalisation des personnes impliquées.
Le formateur, Samuel, 39 ans, est responsable d’activité au sein de l’association Aiden. Il a participé au lancement de la ferme de l’Abbé Rozier en 2015, non loin de là. Entre deux rangs de légumes, il raconte la genèse du projet :
« A l’association, on a vu passer plusieurs personnes en insertion qui avaient un projet agricole mais ne voulaient pas quitter la ville. Parallèlement, on a constaté le développement de l’agriculture urbaine et des enjeux de compostage ».
Il précise l’idée du projet :
« Après l’insertion par le travail, on veut proposer l’étape d’après, une professionnalisation. Ici, contrairement aux chantiers d’insertion que l’on mène à la ferme de l’Abbé Rozier, ce sont tous des personnes qui veulent créer leur activité en lien avec l’agriculture, dans une dimension plutôt urbaine ».
Cette professionnalisation passe tout d’abord par la formation des personnes. Hormis Anna, aucun des salariés en insertion avait une expérience dans le maraîchage. Cette femme de 37 ans recherche déjà un terrain autour de Lyon ou ailleurs pour s’installer.
Les autres – Thomas, Cédric et Tchik – ont le parcours plus classique des salariés en insertion. Avant leur arrivée sur le potager, ils étaient loin du maraîchage.
Avec un CDD d’insertion renouvelable par tranche de quatre mois, chacun peut rester jusqu’à deux ans dans la structure et donc suivre le projet jusqu’à son terme. Fin août, au terme de leur première période de quatre mois, tous ont renouvelé leur contrat.
Thomas, 31 ans, ancien étudiant passé par Sciences Po Lyon et les petits boulots, est en passe de toucher au but en trouvant une cohérence entre ses convictions « qui passent par la décroissance » et une activité professionnelle :
« Je cherche du concret. Là, je peux apprendre le métier de maraîcher. »
Cédric, 42 ans, vient plutôt des espaces verts. Il a été progressivement convaincu par l’idée d’une ferme urbaine dans ce quartier du 9e arrondissement de Lyon. Il l’explique un arrosoir à la main :
« Au début, je me disais que ça allait être vandalisé ou pillé. Mais hormis une ou deux salades qui ont disparu, il n’y a rien eu. Plus ça avance et plus ça me plaît. Les gens nous encouragent, ça nous motive encore plus notamment pour les tâches pénibles comme le désherbage ».
Désormais Cédric se prend à rêver d’un bout de terrain pour faire pousser des salades à Charbonnières-les-Bains.
Le plus dubitatif de tous était Tchik. Quatre mois après le premier coup de pelle, il est « à fond ». A 34 ans, il envisage de monter un projet en lien avec son pays d’origine, la République Démocratique du Congo (RDC) :
« Dans ma région, les gens manquent de nourriture. A l’avenir, je pourrai utiliser les techniques apprises ici pour mieux planter des légumes en Afrique. »
« Quelque soit le modèle économique, c’est la question du foncier qui va limiter le développement du maraîchage urbain »
Tchik fait part de ses projets, en train d’arroser les plantes à l’entrée d’une des nouvelles copropriétés de la sauvegarde. En ce moment, il travaille la moitié de son temps à l’entretien des espaces verts chez des particuliers ou dans des copropriétés et l’autre moitié dans le potager.
Selon le « professeur » Samuel, comme le surnomme Tchik, il serait illusoire de vouloir vivre à 100% de la vente des produits issus d’un maraîchage urbain :
« Aujourd’hui, on s’accorde pour dire qu’il faut au moins 4 000 m2, soit un stade de foot, pour qu’un paysan puisse vivre du maraîchage. Ici nous en avons 900 m2. Ça ne suffit donc pas. Il faut compléter le chiffre d’affaires issus de la seule vente des légumes ».
Qui plus est, avec des prix inférieurs aux prix du bio de grande surface, la vente de la production ne suffit pas pour équilibrer les comptes de l’entreprise d’insertion.
Pour « sécuriser » ce modèle économique de la ferme urbaine à Lyon, Samuel mise sur trois piliers :
- La vente de la production : sur place ou par un système de paniers comme les Amap, notamment en direction des personnes âgées.
- L’animation : en accueillant sur la parcelle des groupes d’habitants ou des écoles. Le potager devient alors un support pédagogique.
- L’entretien des espaces verts et autres services proposés aux particuliers et aux copropriétés (compostage, animation d’un potager).
Dans l’idée de Samuel, chacun des piliers doit contribuer pour un tiers au chiffre d’affaires global.
Actuellement, l’activité se déroule au sein de l’association Aiden. Prochainement, une entreprise d’insertion dédiée au potager va être créée pour laquelle les subventions ne vont représenter « que » 30% des revenus.
« Quelque soit le modèle économique, c’est la question du foncier qui va limiter le développement du maraîchage urbain ».
Samuel ne fait guère d’illusion :
« Le foncier, on ne l’aura pas dans le parc privé. Ce sont les bailleurs sociaux ou les collectivités, qui sont en attente de ce type de projet, qui peuvent nous mettre à disposition des terrains. Comme Grand Lyon Habitat dans le 8e arrondissement ».
Samuel lorgne également du côté des domaines religieux sur la colline de Fourvière.
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