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Vignerons dans le Beaujolais : « Être le moins interventionniste possible »

[Portraits] Ils observent, goûtent, testent et prennent des risques parfois, avec une seule idée en tête, laisser la nature s’exprimer dans le vin nature. Voyage dans le Beaujolais, à la rencontre de vignerons et vigneronnes « nature ».

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Florence Subrin, et son cousin Geoffroy. Deux vignerons du Crêt de Bine, Sarcey ©Matthieu Perret

« On n’a jamais vu quelqu’un caresser un tracteur ! »

Nathalie Banes, vigneronne d'Oingt avec son cheval. ©Matthieu Perret
Nathalie Banes, vigneronne d’Oingt avec son cheval et son chien. ©Matthieu Perret

« Un vin nu, honnête et libre ! » C’est ce que l’on peut lire sur une grande enseigne avant d’entrer dans la ferme de Nathalie Banes à Oingt, qui ne se dit pas vigneronne, mais transporteuse d’émotions dans un vignoble pas comme les autres.

Alors qu’elle travaillait dans le milieu de la bijouterie à Lyon, Nathalie décide de tout plaquer il y a cinq ans pour se lancer dans l’aventure du vin :

« J’ai d’abord acheté un hectare et demi de vignoble. C’est une zone où les terres restent encore accessibles. »

C’est à Oingt, remarquable village en pierres dorées à trente kilomètres de Lyon, que Nathalie a élu domicile avec ses deux chevaux de trait comme associés.

« J’ai tout appris sur le tas, avec l’idée d’intégrer ma passion pour le cheval dans les champs, d’abord parce que c’est bien plus économique que l’achat d’un tracteur et que ça ne tasse pas les sols, et
puis parce que c’est quand même plus sympa… On n’a jamais vu quelqu’un caresser un tracteur ! »

Casser l’image du « vin chic »

Depuis le début de son aventure, Nathalie exprime des convictions fortes :

« Je veux casser l’image du vin chic. Alors, oui, le travail avec des animaux, c’est fastidieux, mais je veux être plus autonome dans mon travail. Aujourd’hui, pour beaucoup, être vigneron, c’est acheter les savoirs d’experts : faire appel à un œnologue, un biologiste… et c’est beaucoup de connaissances qui se perdent. »

Dans cette quête d’autonomie, Nathalie a fait appel à L’Atelier Paysan, une coopérative qui accompagne les agriculteurs à autoconstruire les outils dont ils ont besoin. C’est avec leur aide qu’elle a pu fabriquer un traîneau adapté à ses chevaux afin qu’ils transportent du matériel dans les vignes.

« Sans intrus ni intrants, sans artifice ni maléfice », peut-on lire sur l’étiquette de ses bouteilles. On pourrait même allonger la liste : sans levure exogène, et même sans utilisation de détergent pour nettoyer les cuves… Nathalie croit fermement que si le vivant est respecté, la nature donne un vin de qualité. Ici, pas de recherche de standardisation : chaque année apporte des conditions différentes et le vin « porte le goût de l’histoire ». Pour faire découvrir son jus naturel, Nathalie privilégie la vente directe :

« De cette manière, je peux faire de la pédagogie, expliquer ma démarche… et les gens sont contents de partir avec une bouteille et l’histoire qu’il y a derrière. »

«C’est la course à la production qui a fait oublié le bon sens paysan »

C’est en 1870 que commence l’histoire du vignoble, alors que les grands-parents de Florence Subrin débutent le travail de la terre. Ses parents prennent la suite en intégrant une coopérative. Elle raconte :

« Mon père croyait au collectif, pour lui, l’union faisait la force. Mais le groupement s’est industrialisé et mes parents n’y trouvaient plus leur compte. »

En 2013, à près de 60 ans, ses parents prennent un virage à 180 degrés vers une culture paysanne et biologique. Ils entament alors une longue transition, que poursuivent Florence et son cousin Geoffroy depuis 2017. Florence déclare :

« Mes grands-parents avaient déjà intégré les principes de la biodynamie, c’est des pratiques ancestrales. C’est la course à la production qui a fait oublié les principes de base et le bon sens paysan. »

Florence Subrin, et son cousin Geoffroy. Deux vignerons du Crêt de Bine, Sarcey ©Matthieu Perret
Florence Subrin, et son cousin Geoffroy. Deux vignerons du Crêt de Bine, Sarcey ©Matthieu Perret

Le Crêt de Bine suit un cahier des charges en biodynamie :

« Nous essayons au maximum d’être alignés sur le calendrier lunaire pour les soins que nous apportons dans les vignes, nous voulons faire un vin artisanal, soigné et personnel. »

Aujourd’hui, leur domaine compte huit hectares, qui évoluent sous l’attention minutieuse de Florence, Geoffroy et leur apprenti Ismaël. Ici, on croit au pouvoir de l’autorégulation du raisin, ce qui n’empêche pas de fournir un environnement optimal pour que la vigne prospère : décoctions de plantes pour prévenir les maladies, haies et nichoirs à insectes pour favoriser les complémentarités fertiles…

Et parfois, quelques interventions délicates doivent advenir :

« En juin, nous avons dû couper la moitié des grappes sur certaines parcelles car il y en avait trop et ils n’auraient pas pu mûrir pleinement. Il faut avoir une récolte raisonnée pour un raisin de qualité. »

Pour le futur, les deux cousins ne souhaitent pas s’étendre, mais développer encore mieux leurs techniques pour un sol (et donc un vin) toujours plus généreux, avec un nouveau projet d’agroforesterie pour multiplier les échanges fertiles.

« Le bio n’est pas une fin en soi mais un long chemin de vie »

Terres Vivantes, c’est d’abord une rencontre sur les bancs du lycée agricole entre deux passionnés du vivant, Ludovic et Marie Gros. Ludovic raconte :

« Je suis né dans le Beaujolais, j’ai fait des études de viticulture puis, de sommelier. Ensuite, je suis parti du côté des restos friqués pour découvrir leur univers du vin. Mais je n’étais pas à ma place, je suis donc retourné sur les terres de mes grands-parents en 1995, avec Marie. »

Ensemble, ils débutent, convaincus que le bio est la bonne marche à suivre, mais la transition ne se fait pas du jour au lendemain ! Ludovic explique :

« Nous avons commencé en agriculture conventionnelle, en coopérative, et nous avons progressivement remis en question nos pratiques pour aller vers plus de naturel. Le bio n’est pas une fin en soi mais un long chemin de vie ! »

En 2009, ils achèvent leur conversion et depuis 2019 distillent un peu de biodynamie dans leur travail :

« Nous voulons être le moins interventionnistes possible en intégrant plus de vie dans les vignes. Quand on voit des vignes toutes propres, ça fait bizarre… car on le sait, une vigne qui grimpe dans un arbre n’est jamais malade. Alors maintenant il y a des haies dans nos parcelles et de plus en plus d’arbres entre les lignes, ça attire les oiseaux et plein d’autres petits animaux. »

De nouvelles techniques pour « se sauver de l’incendie »

Mais la crise viticole des années 2000 frappe de plein fouet le couple nouvellement installé. En réaction, ils décident de partager leurs terres en deux et de vouer une partie à la culture du blé. 19 poignées de semences anciennes de blé récupérées lors d’une bourse d’échange de l’ARDEAR plus tard, et ce sont quatre hectares de terre cultivées qui voient le jour ! En 2020, le couple cultive toujours du blé. Ludovic raconte :

« Aujourd’hui, nous avons un tout petit atelier de transformation du blé avec un moulin astrié en pierre granitique. Il ne produit que 15 kg de farine à l’heure, mais ça suffit à Marie pour faire deux fournées par semaine de 150 et 120 kg de pains pour une Amap villeurbannaise les jeudis, et pour le marché fermier qui a lieu chez nous les vendredis. »

Et pour pallier aux impasses techniques qu’ils rencontrent, aussi bien côté vin que côté pain, le couple expérimente :

« On cherche des solutions pour éviter l’ajout de cuivre dans le raisin. Mais il n’y a pas d’étude qui nous donne la recette magique, alors on essaie de comprendre par nous-mêmes mais aussi, bien sûr, en partageant avec les vignerons et avec nos quatre enfants qui nous apportent beaucoup. »

Pour lui, il faut inventer de nouvelles techniques pour « se sauver de l’incendie » et les vignerons peuvent faire partie de cette ingénierie positive qui façonnera le vin de demain.


#Beaujolais

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