Après avoir campé dans des tentes dans le jardin du général Ferrié, dans le 4e arrondissement de Lyon, les jeunes migrants ont presque disparu. Presque. A quelques minutes à pied de l’ancien campement, derrière le mur grisâtre du 52 rue Denfert-Rochereau résonnent des cris et des rires. Trois bâtiments décrépis, voués à la démolition, sont alignés le long d’une allée.
Seules deux familles occupent encore le deuxième bâtiment. Depuis le 25 juin, les membres du collectif de soutien aux jeunes migrants ont réquisitionné le troisième bâtiment pour y loger une trentaine de jeunes récemment arrivés à Lyon en provenance d’Afrique, et sans solution d’hébergement.
Dans le vieux bâtiment, tout au fond de l’allée, la vie bat son plein. Sur la terrasse, des adolescents jouent au basket, discutent ou écoutent de la musique, avachis sur des chaises de jardin. Dans un parterre d’herbes, quelques caleçons et maillots de foot sèchent à l’air brûlant. Régulièrement, des riverain·es passent déposer des recharges téléphoniques, de la nourriture ou des produits d’hygiène.
Dans le hall, des dessins multicolores ont été peints sur les murs et redonnent un peu d’éclat au vieux bâtiment. En face de la porte d’entrée, le nom du squat, « Chemineur », s’étale en grandes lettres aux couleurs criardes. Sur la porte, une pancarte stoppe net les nouveaux arrivants : « Complet ».
A gauche, une dizaine de tentes ont été empilées en prévision de nouvelles arrivées.
Une tente et un duvet pour les jeunes migrants qui arrivent à Lyon
Ce vendredi 23 juillet, ça fait près d’un mois que les jeunes migrants se sont installés dans ce vieil immeuble du 4e arrondissement de Lyon.
Cet après-midi là, la tension est palpable. Un téléphone dans une main et son masque dans l’autre, Sophie, une bénévole du Collectif de soutien aux migrants de la Croix-Rousse, qui dort régulièrement dans le bâtiment avec les jeunes, multiplie les appels. Au 115, à la Croix-Rouge, aux habitant·es… La jeune femme tente désespérément de trouver un toit pour la nuit à ses protégés, une dizaine d’adolescents âgés de 15 à 16 ans.
« On a une dizaine de jeunes sans solution d’hébergement pour ce soir », lance-t-elle entre deux coups de fil.
Cette situation commence à devenir habituelle au Chemineur. Chaque semaine, une dizaine de jeunes se présentent au squat dans l’espoir d’y trouver un matelas ou un bout de canapé pour y dormir, une douche ou au moins un repas chaud.
Depuis cette semaine, le squat est arrivé à saturation et héberge déjà 40 jeunes migrants. Sans compter les personnes logées par des habitants de l’agglomération de Lyon. Les bénévoles du Chemineur n’ont rien de plus à offrir aux nouveaux arrivés qu’une tente, un duvet et un petit miracle. Une fois dans la rue, la seule solution qui leur reste est d’appeler le 115, qui peut leur proposer une nuit d’hébergement tous les quatre jours.
Le reste du temps, il leur faudra se débrouiller seuls du haut de leur 15 ou 16 ans, se désole Sébastien, qui est présent régulièrement au squat avec Sophie :
« Ils débarquent ici en disant qu’ils sont à la rue et c’est à nous de gérer ça. On leur donne une tente et un duvet. C’est horrible. »
Pourquoi le 4e arrondissement de Lyon ?
Ces jeunes viennent de Guinée, de Gambie, du Pakistan, du Mali, d’Algérie, du Maroc, de Côte d’Ivoire ou encore du Nigéria. Ils se revendiquent mineurs, mais leur minorité a été réfutée au terme de l’évaluation menée au Centre de mise à l’abri et d’évaluation (CMAE) de la Métropole de Lyon. D’après les chiffres de la métropole de Lyon, le nombre de jeunes reconnus mineurs est en baisse constante.
Ils étaient 50% à être reconnus mineurs et pris en charge par les services métropolitains de la protection de l’enfance en 2019, 29% en 2020 et seulement 16 à 19% au premier trimestre 2021.
Pendant la crise sanitaire, les jeunes migrants non reconnus mineurs ont quand même été pris en charge par la Métropole de Lyon.
Un dispositif exceptionnel qui a pris fin en même temps que l’état d’urgence sanitaire. Cette période aura malgré tout permis la création de la Station, soit 52 places d’hébergement pour les jeunes dont la minorité a été refusée. Depuis le 3 mai, les nouveaux arrivants sont remis à la rue.
A la sortie du CMAE, ils sont nombreux à se rabattre sur le 4e arrondissement de Lyon, et plus particulièrement le quartier de la Croix-Rousse, où il y aurait un lieu pour les accueillir, paraît-il.
C’est ainsi qu’ils se retrouvent devant le numéro 52 de la rue Denfert-Rochereau.
La Ville de Lyon n’ira pas plus loin
Fin juin, la Ville de Lyon était allée à contre-courant de la position de la Métropole et avait décidé de loger une trentaine de jeunes migrants. Onze d’entre eux, en priorité les quelques adolescentes du groupe, ont ainsi été logées dans des résidences intergénérationnelles, au moins jusqu’à la rentrée de septembre. La Ville a également signé une convention avec les bénévoles pour ouvrir un bâtiment et accueillir 26 autres jeunes migrants.
Mais Grégory Doucet n’ira pas plus loin, annonce Sandrine Runel, adjointe au maire de Lyon déléguée aux Solidarités :
« On a outrepassé nos compétences, on est arrivé au maximum de ce qu’on peut faire. On ne peut pas se substituer éternellement à la Métropole et à l’État. On est aussi suspendu à la décision du juge des enfants. »
Pour le moment, quatre dossiers de jeunes migrants ont été examinés par les juges des enfants. Tous ont été reconnus mineurs et pris en charge par les services métropolitaines de l’aide social à l’enfance (ASE). Ainsi, trois places se sont libérées dans le bâtiment de la Ville de Lyon, rue Paul Bert, et une autre dans une résidence intergénérationnelle.
Un jeune a décidé de son plein gré de quitter Lyon, libérant une deuxième place dans une résidence intergénérationnelle. Ces deux places sont réservées en priorité aux adolescentes, pour le moment placées chez des habitant·es de Lyon.
Le bâtiment rue Paul Bert nécessite une sécurisation concernant les risques incendie et devrait pouvoir accueillir trois jeunes migrants la semaine prochaine.
Le squat est devenu un « sas » pour les jeunes migrants qui arrivent à Lyon
Ces cinq places libérées ne permettront pas de relâcher la pression du côté du squat. Chaque semaine, les bénévoles se voient contraints de remettre une tente et un duvet à une dizaine de jeunes migrants qu’ils renvoient dans les rues de Lyon, faute de place.
En comptant les 40 jeunes migrants du squat, la trentaine d’adolescent·es hébergé·es par des lyonnais·es et celles et ceux logés par la Ville de Lyon, on arrive à un total d’une centaine de jeunes.
Tous et toutes se revendiquent mineur·es et ont entamé les procédures auprès des juges des enfants. Les bénévoles s’accrochent à cet espoir. D’après eux, environ 80 % des recours aboutissent. D’ici deux ou trois mois, la majorité de ces jeunes devraient donc avoir été reconnus mineurs et pris en charge par l’ASE.
Pour Sandrine Runel, les dossiers des jeunes vont être examinés par les juges des enfants au compte-goutte tout l’été :
« Le Chemineur, le bâtiment de la rue Paul Bert et les résidences intergénérationnelles sont devenus des sas en attendant la création d’une Station bis, qui serait cofinancée par la Métropole de Lyon et l’État. Lors des réunions, la Métropole s’est dit favorable à une Station bis si elle est co-financée par l’État. »
D’après elle, tant que l’État ne desserrera pas les cordons de la bourse, la Métropole de Lyon ne s’engagera pas seule dans cette voie.
Du côté de la Métropole de Lyon, on reste évasif quant au devenir de ces jeunes migrants, assurant cependant que des réflexions sont en cours.
Une centaine de jeunes migrants accompagnés par une poignée de bénévoles
En attendant, les bénévoles se retrouvent seuls pour gérer une centaine de jeunes migrants. Sans compter les nouveaux arrivants qu’il faut renvoyer dans la rue. Régulièrement, des jeunes fondent en larmes ou se mettent en colère, ne comprenant pas que leurs camarades puissent avoir un lit et un repas chaud dans le squat tandis qu’eux devront planter une tente sur le bitume.
D’autres, dont la minorité a été réfutée il y a peu, restent assis sur leur chaise dehors malgré le soleil de plomb, hébétés et apathiques.
Ce vendredi 23 juillet au soir, cinq jeunes sont restés sans hébergement. Trois ont pu bénéficier d’une nuit au 115 et les deux autres ont quitté le squat avec une tente pour seul bagage.
Les bénévoles insistent auprès de la Métropole de Lyon pour qu’une association soit mandatée pour accompagner ces jeunes migrants comme il se doit. En vain. Ils tannent également la Métropole de Lyon et la préfecture pour ouvrir un gymnase et héberger au moins temporairement ces nouveaux arrivants. Là aussi, c’est silence radio.
D’après les échos de certaines associations, une dizaine de places seraient vacantes à la Station, mais comment faire pour y placer les jeunes du squat ?
« On ne sait pas comment la Métropole de Lyon choisit les jeunes migrants qui y vont, explique Sébastien. Il y a rupture d’égalité entre eux. »
« Entre mineur et majeur, c’est toujours le mauvais choix qui est fait »
Face à cette situation, les bénévoles ont décidé depuis ce vendredi 23 juillet de ne plus accueillir aucun jeunes dans le squat. Ils ont fait passer le message aux associations et aux riverain·es, leur demandant de ne plus orienter au Chemineur les jeunes migrant·es croisé·es dans les rues de Lyon.
« Je suis arrivée sur le campement du square Ferrié sans duvet, se souvient Sophie avec amertume. J’étais persuadée qu’il y aurait rapidement un gymnase ouvert ou une prise en charge. »
Pour le moment, Sophie et Sébastien se battent avec la Métropole de Lyon et TCL au sujet des titres de transport des jeunes migrants, dont ils ont cruellement besoin pour se déplacer jusqu’au Secours populaire, où ils reçoivent de la nourriture et suivent des cours de français.
« La Métropole refuse de leur octroyer la gratuité puisqu’ils ne sont pas mineurs pour eux, explique Sébastien. On a donc voulu remplir des formulaires pour avoir des abonnements à 10 euros, mais TCL nous dit que ce n’est que pour les majeurs, se désole Sébastien avec un haussement d’épaule impuissant.
Entre mineur et majeur, c’est toujours le mauvais choix qui est fait. Les jeunes ont les inconvénients des deux statuts mais aucun des avantages. »
Vers un Maurice-Scève bis ?
Pour ces deux bénévoles, la situation ressemble furieusement à celle qu’ils ont pu connaître au squat de l’ancien collège Maurice Scève, dans le 4e arrondissement de Lyon, ouvert à l’été 2018 pour héberger là aussi des jeunes migrants. Le bâtiment avait ainsi accueilli jusqu’à 300 jeunes, qui ont été relogés fin octobre 2020. Et le Chemineur prend le même chemin.
« C’est exactement la même chose qu’à Maurice Scève », affirment Sophie et Sébastien d’une même voix.
Pour Sandrine Runel, adjointe au maire, à la Ville de Lyon, les deux situations ne sont pas comparables :
« Le Chemineur est plus petit, le nombre de personnes est limité et les bénévoles sont vigilants à ce qu’il n’y ait que des mineurs. »
Les bénévoles sont bien conscients que le Chemineur ne restera pas ouvert aussi longtemps que Maurice Scève. Le bâtiment, ainsi que les deux autres de l’allée, devaient être détruits fin août pour commencer les travaux de construction d’une quarantaine de logements sociaux du bailleur ICF.
« Un beau projet », estiment les bénévoles, qu’ils affirment ne pas vouloir bloquer. La justice devait statuer sur le devenir du Chemineur ce vendredi 23 juillet, mais l’audience a été repoussée au 1er octobre.
Un léger sursis que les bénévoles comptent bien mettre à profit pour trouver des solutions. Des riverain·es les ont informés de l’existence d’appartements de fonction inoccupés depuis sept ans à proximité du groupe scolaire La Fontaine, toujours à la Croix-Rousse. Ils seraient en outre chauffés, contrairement au Chemineur où les jeunes n’ont que de l’eau froide et l’électricité de quelques batteries que les voisin·es rechargent de temps à autre.
D’après les bénévoles, la mairie du 4e arrondissement de Lyon reste évasive quant à ces logements et évoque différents projets en cours qui ne permettraient pas d’y accueillir de jeunes migrants, même temporairement.
Sandrine Runel, elle, affirme que la Ville de Lyon continuera à héberger les 37 jeunes du bâtiment rue Paul Bert et des résidences intergénérationnelles en attendant une décision de justice :
« On ne mettra pas les jeunes qui sont dans les résidences intergénérationnelles à la rue tant qu’il n’y a pas de reconnaissance de leur majorité ou de leur minorité. »
Au Chemineur, les bénévoles cherchent activement des nouveaux soutiens pour une mission difficile : distribuer des tentes aux jeunes migrants nouvellement arrivés, qui devront passer la nuit seuls dans les rues de Lyon.
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