C’est l’un des derniers vestiges de l’époque industrielle du quartier de Gerland. Au centre de la Zac des Girondins, entouré de grues et d’immeubles, la « Halle des Girondins » est plantée au milieu d’une zone en phase de reconversion. Gérée par la coopérative Plateau urbain (lire par ailleurs), cette ancienne fumisterie de 1000 m2 a vu s’installer devant sa porte depuis une ferme urbaine, au cœur de Lyon.
Là, à l’endroit où certains habitants venaient travailler pour l’entreprise de ramonage Maillet, des radis, des courges et des autres légumes se sont mis à pousser.
« Certains habitants nous parlent de l’usine quand ils viennent acheter des légumes », sourit Matthieu Arar.
Ingénieur agronome, ce dernier est en charge de l’exploitation de la ferme urbaine des Girondins, située rue Crépet (Lyon 7ème), pour l’entreprise qu’il a co-fondé : Ma ville verte. En juin 2020, il a posé ses bacs remplis de terreaux pour commencer une activité de maraîchage. Ce mardi de début juin, l’ingénieur, ses stagiaires et un de ses associés sont un peu « dans le rush ». Carottes, oignons, fraises… Ils récoltent les derniers produits pour les vendre directement aux clients, arrivant devant le halle vers 17h.
« Regarde-là celle-ci, elle ressemble à une carotte de Mario ! », plaisante Matthieu Arar.
Des plantations dans de grands bacs
Dans sa ferme urbaine, les légumes « originaux » s’exposent sans complexe. Le maraîcher aime à expérimenter des variétés peu connues, quitte à surprendre ses clients. L’an dernier, il avait planté des tomates « monstrueuses », une variété lyonnaise qui peut peser jusqu’à un kilo. « On a pour ambition de faire redécouvrir des variétés locales. », souligne-t-il.
L’équipe travaille ainsi avec le CRBA (Centre de ressources de botanique appliquée) pour tenter des nouvelles choses. Rien que sur les tomates, les agriculteurs plantent une quinzaine de variétés différentes. Autrement dit : il y a du choix.
En ce début juin, la ferme urbaine est en train de changer de couleur. Les derniers légumes d’automnes laissent la place aux poivrons, courgettes, etc.
Contrairement à la ferme urbaine du 8e cèdre dans le quartier des États-Unis (Lyon 8ème), le bitume n’a pas été arraché. Séquelles de l’âge industriel, les sols étaient trop pollués pour une installation à même le sol. Les plantations ont donc pris place dans des grands bacs.
Impossible en effet de prendre le temps de la dépollution des sols : la ferme est là pour un temps limité. Un projet immobilier mené par Alliade Habitat verra naître en 2024 quelque 120 logements sociaux (lire par ailleurs) dans un ensemble plus large. C’est ce même bailleur qui a financé les installations nécessaires pour la ferme urbaine. En attendant, la Serl, en charge de l’aménagement de l’ensemble de la Zac pour la Métropole de Lyon, laisse le terrain à titre gracieux.
À Lyon-Gerland, une ferme urbaine pour tester de nouvelles techniques agricoles
Pour l’heure, 400 m2 sont exploités par les agriculteurs. À terme, ce chiffre va passer à 600 m2. Sur le sol, du paillage fait frontière avec l’ancien sol pollué. Dans les bacs, on retrouve des déchets, du composte et des terreaux pour permettre aux plants de se développer au mieux. Histoire de ne pas perdre de la place, certains sont plantés dans des bottes de foin faisant frontières entre les bacs.
Ce maraîchage urbain suit les préceptes de l’agriculture bio. Mais le « label AB » ne peut être donné car les plantations ne se sont pas directement en pleine terre.
Manque de foncier oblige : l’objectif est d’avoir des légumes pouvant être plantés et récoltés plusieurs fois par an. Et, pour gagner de la place, les agriculteurs s’amusent à expérimenter toutes sortes de techniques en mêlant, par exemple, des pousses de maïs, d’haricots et de courges.
« C’est une technique ancestrale amérindienne, souligne Matthieu Arar. Le maïs sert de « tuteur » [une tige droite sortant du sol permettant de guider le plant] autour duquel les haricots vont venir s’entourer. Ces derniers vont protéger la courge du soleil. »
De même, les fraises et la ciboulette sont plantées ensemble. L’aromatique va ainsi éviter la profusion de la « mouche de la fraise ». Un travail de quasi-ingénierie agricole pour l’agronome. Quand on l’écoute, le lieu prend des airs de grand laboratoire. Importante, la rentabilité économique passe au deuxième plan.
Modèle économique : expérimenter pour mieux développer
Pour les questions économiques, il faut s’adresser à la cousine de Matthieu Arar, Anaïs Jeantet. Tous deux âgés de 35 ans, les cousins ont monté l’entreprise Ma ville verte il y a six ans. Un objectif : rapprocher la ville, dont ils viennent, et la campagne.
Ancienne attachée commerciale, Anaïs est en charge du développement de l’activité. Elle assume le fait que ce modèle économique ne soit pas encore à l’équilibre. « On est pas encore dans de la rentabilité ! » Elle souligne ne pas viser des « marchés de niches » contrairement à certains collègues parisiens cultivant des produits à haute-valeur ajoutée, comme le safran. Tout le quartier doit pouvoir venir se nourrir chez-eux. Pour cela, ils affichent des prix proches de ceux pouvant se retrouver sur les marchés du 7ème arrondissement.
« C’est un lieu d’expérimentation. On veut déjà montrerce qu’on fait ! »
Dans sa bouche, les termes « convivialité », « découverte ludique », « pédagogie » et « lien social » reviennent régulièrement. Des mots importants pour l’entreprise et pour Alliade Habitat. Le bailleur social a souhaité que le jardin permette « d’ouvrir le quartier ». L’idée : brasser les populations et faire découvrir les légumes, et leurs vies, aux citadins.
Pour arriver concrètement à cela, des activités sont organisées. Des visites de site, l’accueil de formations, et même un escape game qui devrait ouvrir début juillet (lire par ailleurs). L’objectif est double : faire découvrir les lieux et équilibrer le modèle économique. Dans le même temps, ils vendent leur production aux restaurants du secteur pour vendre des produits frais.
« Nous travaillons avec trois, quatre restaurateurs, indique Matthieu Arrar. On espère en toucher plus avec la fin du confinement. »
Pour le reste, l’entreprise Ma vie verte équilibre le budget des lieux avec ses autres activités. La structure a créé une quarantaine de jardins collectifs. Elle assure encore la gestion d’une quinzaine d’entre eux.
« Par exemple, on a un jardin de 60 m2 sur l’immeuble de RTE [Réseau de transport électrique] », précise Anaïs Jeantet, en montrant le bâtiment voisine de la Zac des Girondins.
Face à la pénurie de foncier disponible, les toits semblent constituer une réserve inépuisable de place pour l’agriculture urbaine. Or, c’est justement là que les producteurs comptent aller.
Prochaine destination : les toits de Lyon
Après la construction des logements de la Zac des Girondins, Ma ville verte prendra de la hauteur. Sur l’îlot 6 du projet immobilier, juste derrière la barrière cachant actuellement les travaux, Alliade habitat veut réaliser une ferme urbaine sur 1000 m2 de toiture.
« Entre les deux projets, il y a une continuité dans le temps, et de l’ancrage », reprend Anaïs Jeantet.
En faisant connaître l’agriculture urbaine via la ferme urbaine éphémère, les maraîchers plantent les graines de leur future production. La surface exploitée devrait être légèrement supérieure avec 600 m2 à l’air libre et 400m2 sous serre.
Reste à savoir si l’exercice sera pérenne. Prudente, Anaïs Jeantet ne veut pas communiquer sur les chiffres liés à la vente de produits. « C’est trop tôt », nous dit-elle. Mais, comme beaucoup de tenants de l’agriculture urbaine, les cousins l’assurent : il y a un marché pour l’agriculture urbaine. « Le problème reste toujours le foncier », commente Matthieu Arar.
Comme leurs confrères du 8e cèdre, les membres de Ma ville verte se montrent confiants. L’entreprise, qui compte aujourd’hui quatre membres, mise sur les projets de restructuration ou l’exploitation de toitures pour continuer cette activité. Différence majeure avec leurs collègues du quartier des États-Unis : ils pourront compter jusqu’à la fin de l’expérimentation sur les travailleurs de la « Halle des Girondins », gérée par Plateau urbain. Cette dernière accueille 19 structures du champ culturel, artistique et social. Un public de choix pour faire vendre des légumes locaux.
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