Que sont les approches « software defined » ? Est-il possible de dire qu’une part non négligeable, voire très majoritaire, de l’impact carbone des objets réside dans leur production plus que dans leur utilisation ? Les nouvelles technologies impactant toutes les facettes de notre vie, comment contribuer à une société solidaire où le numérique est un levier d’insertion sociale et non un facteur d’exclusion ?
Toutes ces questions seront abordées dans le cadre de cette session des « Mercredis de l’anthropocène », depuis l’Hotel71 ce mercredi 9 juin de 18h30 à 19h30. A écouter ensuite en podcast.
Ci-après, la tribune d’Hervé Rivano, informaticien et professeur à l’INSA Lyon, intitulée « Peut-on réconcilier technologies et sobriété ? ».
La prise de conscience grandissante des enjeux anthropocènes met en lumière un impératif de sobriété, dans tous les domaines. Consommer moins, consommer mieux, l’injonction au citoyen consommateur d’être plus « responsable » se fait plus pressante à chaque éclairage médiatique sur tel ou tel sujet.
Certes, une réflexion sur les usages est indispensable, mais cela n’est qu’une des dimensions de la sobriété. Dans le cas des véhicules thermiques, l’utilisation représente la majeure partie de l’empreinte environnementale, d’où les incitations à l’éco-conduite ou à l’électrification. A l’inverse, la consommation en usage d’un smartphone représente moins de 15% de son empreinte globale.
Le recyclage est peu efficace dans le numérique
Quelles marges de manœuvre dans les autres parties du cycle de vie d’un appareil ? La production pourrait sûrement être plus « propre ». Ce n’est pas la tendance actuelle, avec l’utilisation de terres rares et de matériaux dont l’extraction est extrêmement polluante et génératrice de conflits armés. Il faut néanmoins souligner des recherches intéressantes vers la conception de batteries plus respectueuses de l’environnement .
Il y a bien entendu le recyclage. Mais celui-ci peine encore à être réellement efficace alors que l’intrication des matériaux, en particulier dans le numérique, complexifie les procédés. Le coût de traitement ne laisse par ailleurs que peu de place à ces filières dans une économie libérale face à une production de masse à bas coût. Des régulations fortes, et la répression des nombreuses fraudes à la gestion des déchets, sont nécessaires mais ne seront, par nature, jamais qu’une partie de la solution.
Viser une plus grande longévité des objets dans le numérique
On peut prendre le problème par tous les bouts, la sobriété passe par une plus grande longévité des objets, en tout cas de leur exploitation. Les filières de réemploi se sont développées pour cela. Une grande part de cette filière est portée par des structures de l’économie sociale et solidaire. Il est d’ailleurs intéressant que leurs objectifs initiaux étaient peut-être plus sociaux qu’environnementaux : réinsertion, équipement des personnes en difficultés financières ou des associations, écoles, pays pour qui ces objets sont inaccessibles.
C’est pourtant les impératifs environnementaux qui justifient maintenant les actions publiques qui soutiennent cette filière, rappelant, s’il le fallait, que les questions sociales et environnementales sont intimement liées. Le marché « classique » commence aussi à s’emparer du secteur du reconditionné, sur des valeurs différentes par contre, en particulier comme une possibilité de continuer à surconsommer à moindre coût.
Encore faut-il pouvoir s’appuyer sur la réparabilité et la maintenabilité des objets. Il semblerait qu’un retournement de tendance s’amorce et que plusieurs secteurs réfléchissent à ne plus être dans le « tout jetable ». Dans le numérique, l’obsolescence logicielle, plus ou moins programmée, est aussi combattue, notamment dans la production de logiciel libre et par les initiatives de plusieurs designers
La location de services numériques comme solution d’avenir ?
La technologie participe aussi à la solution, notamment dans les infrastructures Il ne s’agit évidemment pas de développer une posture technophobe. Un grand nombre de services et technologies sont des maillons nécessaires à la mise en œuvre de politiques de sobriété efficaces. A l’échelle des infrastructures numériques, c’est flagrant : la consommation du numérique a certes doublé dans les 10 dernières années, mais c’est sans commune mesure avec la multiplication par 40 du volume de données échangées.
Ce sont les progrès scientifiques et techniques, et le renouvellement progressif des infrastructures qui ont contenu la hausse (et l’ont aussi permise, notamment par effet rebond, c’est vrai). En particulier un modèle s’est imposé dans l’industrie numérique et a tendance à venir sur d’autres secteurs : le modèle « aaS », as a Service. Infrastructure as a Service, Software as a Service. Lorsqu’on a besoin d’une infrastructure ou d’un service, plutôt que d’en faire l’acquisition en propre, on le loue à un fournisseur. Amazon Web Services fait, par exemple, tourner une grande part des services du web, comme cela a été mis en lumière à l’occasion d’une panne en novembre dernier.
Mutualiser pour moins polluer
Au cœur des dernières évolutions des architectures de réseau, notamment cellulaire, on trouve la notion de « Cloud-RAN » qui s’appuie sur des mécanismes similaires : virtualisation et approche « Software Defined ». En résumant beaucoup, cela permet la déspécialisation d’une partie du matériel utilisé, une plus grande flexibilité de configuration, et donc une mutualisation accrue. C’est ce qui permet à la 5G d’être, à usage constant, beaucoup moins consommatrice d’énergie et de fournir plusieurs services simultanément avec une infrastructure partagée.
On parle déjà de MaaS pour la mobilité, dont les vélos, voitures ou trottinettes partagées actuelles sont les prémices, avec une adaptation des mêmes mécanismes et sous-tendus par des services numériques. Combiner ces approches ne permettrait-il pas de mettre en œuvre une sobriété « programmée » ? La déspécialisation et la sortie d’un modèle principalement fondé sur la propriété individuelle favoriserait le réemploi des objets produits pour d’autres publics, voire pour d’autres usages en s’appuyant sur une reprogrammation logicielle.
« Numérique : Pérennité programmée », une conférence en direct le 9 juin 2021 à 18h30, puis disponible en podcast.
Avec :
Stéphane Cassé. Ingénieur ESME, il monte en 2001 ECLEO, bureau d’études hardware. Ensuite, il crée deux sociétés spécialisées dans les réservations hôtelières. Il est aujourd’hui un des associés de Mob-ion, une société de construction de solutions de mobilité électrique en pérennité programmée.
Victor Estienney. Responsable des opérations nationales de Emmaüs Connect, association qui agit depuis 2013 pour permettre l’inclusion numérique des plus fragiles et contribuer à une société solidaire où le numérique est un levier d’insertion sociale.
Hervé Rivano. Informaticien, professeur à l’INSA Lyon, il dirige l’équipe commune à Inria et l’INSA, Lyon Agora. Il est membre du laboratoire CITI de l’INSA Lyon, de la Fédération Informatique de Lyon du CNRS, et du Labex IMU. Son activité de recherche s’intéresse aux infrastructures réseaux qui sous-tendent les systèmes urbains numériques. C’est l’auteur de la tribune qui va suivre.
Débat animé par Valérie Disdier, historienne de l’art et urbaniste. Après avoir co-créé et dirigé Archipel Centre De Culture Urbaine (Lyon), elle est depuis 2018 responsable du pôle programmation et diffusion de l’École urbaine de Lyon.
> Les intertitres sont de Rue89Lyon
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