Entretien.
Rue89Lyon. Jusqu’en 1981, il n’y avait que des radios d’Etat. Comment pouvait faire une radio qui souhaitait émettre quand même ?
Gérald Bouchon. Il y avait quelques radios avant la guerre mais elles étaient souvent collaborationnistes donc il fallait reprendre tout ça en main, d’où le monopole d’Etat. On avait une bande FM vide de radio parce qu’il n’y avait que trois radios d’Etat. Quand on écoutait les grandes ondes ou la FM, on entendait que des radios du service public (France Inter, France Culture, France Musique) ou périphériques comme Europe 1, RTL (Radio Luxembourg), RMC (Radio Monte Carlo) et Sud Radio.
On les appelait périphériques parce que comme elles n’avaient pas le droit d’émettre sur le territoire national, elles étaient à la frontière et envoyaient leurs ondes sur la France. Contrairement aux radios pirates, elles n’étaient pas du tout hors-la-loi. Ces quatre radios-là, très vite elles ont appartenu à l’Etat français qui les avait récupérées via une société qui s’appelait Sofirad et qui était actionnaire d’Europe 1, RMC et Sud.
Et les radios pirates ?
Les radios pirates émettaient sans autorisation. Il y avait trois raisons d’émettre pour les radios pirates : soit le fait de défendre le fait qu’il fallait casser ce monopole d’Etat, l’environnement au sens où c’était l’époque où on se battait contre la construction des centrales nucléaires, l’époque du plateau du Larzac. C’était des militants écolos. Et puis il y avait d’autres militants des droits de l’Homme, féministes…
« A Lyon, dans les années 70, il y avait quelques expériences de radios pirates dont Radio Canut qui est toujours là »
A Lyon, à cette époque-là, ça se passait comment ?
A Lyon il y avait quelques expériences dans les années 70 de radios pirates. Il y avait Radio Canut qui est toujours là, c’était pour la liberté des ondes, c’était un peu anarchiste, un peu comme maintenant. Il y avait Radio Pipelette, c’était féministe. Il y avait Radio Polyphème, contre le nucléaire, à une époque où on construisait la centrale du Bugey.
Comment ce monopole d’Etat a-t-il pris fin ?
En 1981, dans sa campagne Mitterrand avait dit que s’il était élu il ferait sauter ce monopole ahurissant. Il avait monté une radio, enfin plus un manifeste qu’une radio, ça a dû émettre quelques heures mais c’était symbolique. Il y avait eu une saisie dans les locaux du PS, très médiatisée. Il y avait aussi Brice Lalonde, qui était un des premiers de l’écologie politique en France on va dire. Lui aussi avait monté une radio, plus un manifeste qu’une radio là aussi, qui s’appelait Radio Verte. Il était allé sur un plateau d’un journal de TF1 avec un transistor, et au moment où le journaliste l’a interrogé sur son programme, il a dit qu’ils libéreront les radios et qu’ils feront des radios comme Radio verte. Et il a fait écouter pendant quelques secondes Radio verte. Les gens ont halluciné, il n’y avait pas de radio à l’époque ! En 1981, tout le monde était devant son poste à attendre le résultat. Apparaît la tête de Mitterrand et là ça a été l’euphorie !
« Fin 1981, à Lyon, il se créait une radio par semaine »
Comment s’est passée cette libération des ondes à Lyon ?
Fin 1981, à Lyon, il se créait une radio par semaine. Maintenant, il s’en crée une tous les 20 ans… Les premières autorisations ont été données un peu à n’importe qui. Jusqu’en 1984, il fallait que ce soit des radios associatives, donc sans pub. On avait un garagiste avenue Berthelot par exemple, qui faisait une radio italienne. Il y avait la fille, la femme et lui, tout se passait dans la salle à manger. Ils se relayaient à l’antenne, 24h sur 24 et ils faisaient une radio italienne. Elle a duré quelques années quand même.
Il y a des radios qui ont émis quelques jours, quelques semaines, voire un jour. C’était un mouvement un peu spontané. La toute première des radios libres à avoir émis à Lyon, je pense que c’était Bellevue. C’était une radio rock qui existe toujours sur le web. Elle a vraiment fait beaucoup parler d’elle dans les années 80. Il y a toujours un site qui s’appelle Radio Bellevue. C’était un monument, c’était de la musique un peu alternative. On sort quand même d’un système où les stars sont fabriquées par des chefs d’Etat et on passe à un système où c’est le public qui choisit. Bellevue bouleversait vraiment les codes.
Vous avez aussi participé à ce mouvement de création de radios à Lyon dans les années 80. Comment avez-vous fait ?
Moi j’ai commencé dans ma chambre d’ado. C’était une époque où il y avait beaucoup de jeunes qui faisaient de la radio, c’est-à-dire qu’on montait des petits émetteurs dans son quartier. Il y avait beaucoup de magasins d’électronique. A Lyon, il n’y en a pratiquement plus aujourd’hui. Les gens qui n’avaient pas des gros moyens, ils bricolaient. Si on était un peu débrouillard, si on avait un bon site de diffusion, une antenne placée au bon endroit et un appareil derrière qui était bien bricolé ça pouvait marcher.
J’ai un DUT de mécanique, au début c’est l’électronique qui m’a mis le doigt dans l’engrenage, le fait de monter moi-même un émetteur. La bande FM était moins surchargée qu’aujourd’hui donc il suffisait de quelques watts de puissance bien placés au mont Cindre ou à Fourvière pour arriver à couvrir 30 km. C’était un peu les web radios ou les blogs de maintenant.
Et une fois l’émetteur monté ?
En 1983, je me suis lancé. On a fait une asso à trois et on a demandé une autorisation mais en 1983 c’était trop tard. Ils avaient donné les autorisations à n’importe qui, au garagiste du coin, au mec qui vendait je sais pas quoi… Donc tout le monde avait ses fréquences et, nous, quand on est arrivés on nous a dit que pour raisons techniques on ne pouvait pas nous accorder d’autorisations. On s’est dits qu’on allait quand même le faire. Techniquement, c’était possible. Les fréquences étaient bien remplies mais en allant sur les 105, 106, 107 Mhz il y avait de la place. Donc on s’est mis à émettre.
On a fait ce qu’on appellerait aujourd’hui un acte de désobéissance civile, un peu comme ceux qui décrochent les portraits de Macron dans les mairies. On a envoyé un courrier à celui qui était à l’époque garant du système de diffusion, en disant qu’on émettait à tel endroit. Il m’a appelé et m’a dit qu’il allait venir nous mettre un PV. Je lui ai dit que oui, c’était fait pour. C’était une radio pirate d’après 1981. Comme nous, il y en avait encore quelques uns qui n’avaient pas pu avoir d’autorisation ou qui s’y étaient prise trop tard.
« une radio pirate d’après 1981. On a eu 1000 francs avec sursis chacun »
Et cette radio, de quoi parlait-elle ?
J’ai toujours voulu faire des radios qui avaient du sens. Cette première radio s’appelait Forum. C’était pas un robinet à musique, on invitait pas mal d’assos à intervenir sur leurs thèmes de prédilection. On était installés dans une coopérative bio à Villeurbanne, aux Charpennes, qui s’appelle maintenant Biogone.
A l’époque, un mec qui tenait une épicerie comme ça, on le regardait bizarrement. On rentrait pas trop dans la boutique. On se disait qu’il y avait que des chevelus là-dedans, qui fument des trucs pas très catholiques. En fait, on avait trouvé cet accord avec ces écolos plutôt sympas, qui vendaient des salades et des tomates bio. Ils avaient une mezzanine, et on faisait nos émissions de là-bas. Le procureur a envoyé les flics pour enquêter. Les flics ont vu une coopérative qui vendait des tomates, ils n’ont pas compris et sont repartis.
Quelques mois après, ils sont revenus et là tout s’est enchaîné. On a été auditionnés au commissariat de Villeurbanne avec des policiers qui ne comprenaient pas trop ce qu’on nous reprochaient, ils trouvaient ça plutôt bien notre radio (rires). Un matin, on est allés à la coopérative et il n’y avait plus rien sur la mezzanine, il restait les tables et les chaises. Ils ont tout emmené. Après on a été convoqués par le juge, c’était Georges Fenech, bien connu à Lyon [ex-député du Rhône UMP, ex-président de la Miviludes, ndlr]. On a ensuite été convoqués devant la 6ème chambre et sincèrement, on a été plutôt défendus par l’avocat général qui a appelé à la clémence. On a eu 1000 francs (150 euros) avec sursis chacun. Mais ça nous faisait quand même un casier puisque c’était du pénal.
Malgré cette condamnation, vous avez continué à faire de la radio ?
Quand on est sortis, on s’est dits qu’on allait recommencer (rires). On s’est rapprochés d’une radio des années 80 qui s’appelait Arc-en-ciel, qui avait eu l’autorisation, et on a fusionné avec eux. A un moment, vu qu’il y avait beaucoup de radios, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (actuel CSA) a décidé de les marier. Sur une seule fréquence, ils mariaient trois ou quatre radios qui émettaient à tour de rôle. Bon, ça n’a jamais marché déjà puisque chacune voulait avoir la totalité de l’antenne, et ensuite parce qu’ils ont marié des grosses radios et des petites ensemble.
Arc-en-ciel avait été regroupée avec Radio Plus qui a été rachetée par NRJ. Avec Arc-en-ciel, on s’est mis sur une autre fréquence, on était obligés, c’était ça ou mourir. Deux ans après, la Haute autorité nous a trouvé une fréquence. En 2000, Arc-en-ciel a été transformée en Lyon Première.
« La plupart des radios ont été reprises en main par des groupes intéressés par la pub »
Et que sont devenues les autres radios à Lyon ?
Après la saisie de Radio Forum, Georges Fenech a saisi les quatre principales radios à Lyon qui étaient Scoop, Hit FM, Nostalgie et NRJ. Un matin à 6h, il a fait intervenir des flics sur les quatre sites pour tout déménager parce qu’elles dépassaient la puissance autorisée.
Aujourd’hui, Radio Scoop a par exemple une fréquence à Lyon, à Saint-Étienne, à Clermont, à Roanne… A l’époque, il y avait une seule fréquence à Lyon. Une radio lyonnaise qui voulait aller loin devait mettre beaucoup beaucoup de puissance. C’était interdit, ça brouillait toutes les radios des départements à côté, des fois même ça perturbait des France Musique ou France Culture alors ça, c’était les trucs à ne pas toucher. Quand il y avait beaucoup de puissance, ça pouvait aussi brouiller d’autres services comme les aéroports par exemple.
Après 1984, ce sont les groupes qui se sont emparés du truc. Les radios qui avaient un message à faire passer, il n’y en a plus beaucoup après 1984. Il y a quelques radios associatives qui perdurent comme Plurielle, Canut, Radio Brume… Soit ils ont un message un peu décalé comme Canut, soit c’est des radios qui diffusent une musique différente comme Brume. Mais la plupart des radios ont été reprises en main par des groupes qui étaient intéressés par la pub. Ces radios se sont uniformisées. Toutes les radios du style Chérie, NRJ, Nostalgie, étaient vouées à adopter un programme un peu passe-partout. Quand tu veux faire de l’audience, tu fais un truc très consensuel.
Vous avez fait de la radio votre métier. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
En 2018 j’ai quitté Lyon Première pour fonder Lyon Demain. Il n’y a pas de fréquence, c’est uniquement sur le web, sur des applis, sur des podcasts et une partie de l’antenne est diffusée sur des radios associatives qui n’ont pas forcément de journalistes pour faire de l’info : Plurielle, Arménie et Salam. La ligne éditoriale est l’écologie, le vivre ensemble et la solidarité.
Y a-t-il eu le même essor des radios sur le web que dans les années 80 ?
C’est un peu le cas. A l’époque, on partait de six radios en France alors qu’aujourd’hui il y en a quand même 2000. Le problème du web est qu’il est difficile de se faire une place si on n’a pas une thématique bien particulière. Une des plus grosses web radios, c’est Radio Meuh, c’est la radio Made in Reblochon, ils sont en Haute-Savoie. Des fois on ne l’identifie pas trop mais il y a beaucoup de commerces qui se branchent sur ce programme. C’est un programme novateur, un peu Radio Nova, très varié, pas du tout commercial mais qui séduit un public parce que déjà il n’y a pas de pub et ensuite il n’y a pas d’animateur. En local c’est difficile. Lyon Demain, par exemple, si t’es pas de Lyon t’as pas envie d’écouter. A Lyon, il y a de la concurrence mais des gens qui font ce qu’on fait, il y en a pas beaucoup.
« Les web radios sont des robinets à musique »
Les web radios d’aujourd’hui sont-elles les descendantes des radios libres des années 80 ?
La différence entre les radios libres et les web radios est que les web radios n’ont pas beaucoup de message. 95% des web radios sont des robinets à musique. Pour faire du contenu, il faut avoir des moyens, des journalistes ou des passionnés. Ouvrir le robinet à musique n’est pas compliqué.
Et les gens qui avaient fait leurs radios libres dans les années 80 ?
Ceux-là n’ont plus 20 ans, ils en ont 60 voire 70 (rires). Peut-être que ça ne les intéresse plus trop. En 40 ans, la société a complétement changé. Aujourd’hui, il y a de la musique en libre-service sur Deezer ou sur Spotify, il y a du podcast, on peut écouter la radio qu’on veut, à l’heure qu’on veut… Aujourd’hui, l’audience des radios est complétement grignotée par ça. Elles perdent des points à chaque sondage. Par exemple, Scoop a eu fait 14,7% d’audience cumulée à Lyon, dans les années 2000. Aujourd’hui, en arrondissant elle fait 5%.
Quel avenir pour la radio du coup ?
La radio qui a de l’avenir, c’est pas la radio en flux, c’est la radio à la carte. Les grosses radios style NRJ ou Scoop le comprennent et ils font aussi du podcast. A Lyon Demain, on est sur des formats qui sont plus longs. On ne se finance pas du tout sur la pub, on n’est pas anti-pub mais on essaie de la choisir. On fait des podcasts à la demande, pour des collectivités, des institutions, des entreprises… On vit de productions et non pas de pub. Par exemple, on a fait un podcast avec le foyer Notre-Dame-des-Sans-Abri pour montrer leur travail au quotidien.
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