Lors de l’entrée en détention, je n’imaginais pas un seul instant tout ce que cela impliquerait pour moi, pour la durée de ma peine. A chaque étape, je me suis retrouvée et me retrouve encore, confrontée au silence, le silence de l’inconnu, le silence de l’interlocuteur, silence de l’administration, silence des proches.
Je n’avais jamais songé combien, une fois la porte franchie, je ne serais plus du tout maître de mon destin et comme pour beaucoup de détenus, la durée de cette peine est restée pour moi indéterminée, pendant très longtemps. Ces délais sont caractéristiques de la détention à la française. Ce n’est pas de ce silence que je vais parler, ce silence judiciaire qui brise ce qui peut être à sauver chez un être humain. C’est un sujet vaste qu’il m’est impossible d’aborder dans la discrétion et l’anonymat.
« En prison, il vaut mieux savoir écrire »
Je vais vous parler d’un silence méconnu car il concerne le fonctionnement de nos prisons.
Mon quotidien de détenue consiste en une dépendance pleine et entière aux autres, un avenir plongé dans le noir où le silence prend sa place petit à petit quitte à en devenir absurde.
Arrive alors le moment où, pour survivre, pour faire ses demandes, il vaut mieux savoir écrire. Car, ici, chaque demande, de la plus simple à la plus grave, doit absolument être adressée par écrit. Pour accéder à un interlocuteur, il faut rédiger des courriers pour tout et surtout n’importe quoi.
Dès le début de l’incarcération, la première chose qui m’a été expliquée c’est le “courrier en interne”. Pour chaque demande, il faut écrire et les interlocuteurs sont nombreux :
- le médecin (ici dénommé UCSA)
- le chef de bâtiment
- le greffe (principalement responsable d’informations judiciaires, des demandes de permission, etc..)
- la régie (responsable de l’argent et des pécules nominatifs, l’équivalent de comptes bancaires)
- le vestiaire (responsable des effets personnels à l’arrivée ou au retour de permission)
- le scolaire
etc
Je pourrais continuer la liste mais la réalité est que, malgré les années, je suis encore capable d’en oublier tant ces services sont nombreux.
Il est possible de solliciter des “entretiens” ou “rendez-vous” comme auprès du service médical, du chef de bâtiment ou du scolaire.
« Des courriers sans aucune certitude de résultat »
Je fais partir les courriers sans aucune certitude de résultat ou de réponse ou d’enregistrement de ma demande. Pour moi, ces courriers sont comme une bouteille à la mer, sans bouteille (trop coupant d’après la direction) et sans mer, ici l’horizon est plus…. bétonné, au sens propre et figuré.
Avec toute l’absurdité que cela sous-entend. Par exemple, j’écris au greffe pour demander l’accès à un document juridique qui ne m’a pas été transmis et je reçois, en même temps que l’accusé de réception, un refus n’ayant aucune validité oblige l’avocat à intervenir pour permettre l’accès au document.
Autre exemple : j’écris au “ vestiaire” pour demander la préparation de mes effets personnels en vue d’une permission et j’apprends à l’arrivée, que personne n’a eu connaissance de ma demande, ce qui retarde d’une heure ma sortie en permission.
« En détention, tout est complexe et surtout d’une lenteur inimaginable »
En détention, tout est complexe et surtout d’une lenteur inimaginable car les demandes doivent être adressées uniquement par le courrier interne et l’accusé de réception ou même la réponse ne sont pas systématiques. Si par hasard une discussion peut s’engager avec un service, elle peut durer jusqu’à un mois et n’arriver à rien.
En prison, dans un contexte où la pression est déjà à son maximum, du fait de l’enfermement et parfois de la promiscuité parfois, ces démarches administratives du quotidien rendent souvent ce système invivable.
J’estime néanmoins avoir un sérieux atout, celui de ma facilité à utiliser les mots. Je sais tourner les phrases et bien que l’exaspération s’empare parfois de moi, je sais amener les choses avec diplomatie. Cela me permet, en règle générale, d’obtenir une réponse (souvent négative et sans justification). Le règlement reste ce qu’il est, même s’il est abusif.
« Quelle discrimination pour celles qui, pour le mieux, s’expriment “juste” avec difficulté ! »
Alors, quelle discrimination pour celles qui, pour le mieux, s’expriment “juste” avec difficulté !
Et plus encore pour d’autres qui ne parlent même pas notre langue. Ils sont parfois jugés sur une formulation approximative ou un tutoiement qui dans leur langue maternelle ne pose pas de problème. De plus, ces personnes ne connaissent pas leurs droits, ni les associations qui pourraient leur venir en aide. Elles sont souvent moins entourées que la moyenne, sans avocat ou avec un avocat commis d’office qui parfois prend cela par dessus la jambe.
Certes, l’entraide se fait naturellement, en prison. Certaines font les courriers, d’autres les expliquent. L’humanité est même là où on ne l’attend pas.
« Aucune intimité pour les courriers externes à la prison »
Quant aux courriers externes, ceux qui sortent des murs, adressés à la famille, à un ami, à un amant, aucune intimité. Ils seront tous lus par le vaguemestre (On utilise encore cette appellation surannée). Les lettres arrivent et partent parfois avec un certain délai. Cela dépend de la présence du vaguemestre, de ses absences, de ses congés, de son éventuel remplaçant. Il vaut donc mieux ne pas être pressée. D’autant que parfois les courriers disparaissent, dans un sens ou dans l’autre. J’ai déjà remarqué le petit manège, dans certaines prisons, de surveillants qui lisent les courriers déjà lus par le vaguemestre. Une aberration, même si ce n’est pas illégal.
Ces surveillants font ensuite à propos de ces courriers des commentaires déplacés, ils jettent une ou deux lettres adressées à des détenus qu’ils n’apprécient particulièrement pas. Un silence de plus.
Il me semble que l’administration pénitentiaire n’est qu’un triste reflet des échecs de notre pays, un imbroglio d’administrations en un même lieu, des strates ne communiquant entre elles que trop rarement. Cette absurdité vient-elle du fait qu’il y a trop de personnes à un même poste. Ou bien, y a-t-il autant de personnes pour combler le manque de compétences d’une seule ?
Ce fonctionnement archaïque fait de la prison un lieu encore plus inégalitaire, déshumanisant et, en soi, plus abrutissant.
Chargement des commentaires…