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« No Wine Is Innocent », un site d’info alternatif et pertinent sur le vin

« No Wine Is Innocent » est de retour -enfin. Lancé il y a quelques années comme un blog novateur et intelligent sur le site Rue89 (national), le voilà de retour sur sa propre plateforme. Aux manettes, Antonin Iommi-Amunategui, journaliste et éditeur que l’on connaît bien à Rue89Lyon. On co-organise avec lui et sa maison d’édition Nouriturfu la version lyonnaise de « Sous les Pavés la Vigne », le salon des vins « naturels et actuels ».

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Antonin Iommi-Amunategui

Souhaitons que toutes les conditions soient réunies afin qu’il ait lieu en 2021 (le week-end du 6 et 7 novembre), au Palais de la Bourse.

« No Wine Is Innocent » propose un regard alternatif, bien loin de la presse classique dédiée à l’univers du vin, consensuelle et liée aux acteurs par des partenariats.

Ce samedi 10 avril, un article est notamment paru sur le gel historique qui a sévi la semaine dernière, anéantissant une quantité invraisemblable de vignes. Les conséquences économiques seront lourdes, comme en témoignent plusieurs vigneron·nes. « No Wine Is Innocent » défend leur travail viticole difficile, engagé et devenu le fer de lance d’une révolution agricole et écologique.

Entretien avec Antonin Iommi-Amunategui, qui pourrait bien vous convaincre de soutenir cette nouvelle source passionnante de contenus.

« Le vin, en France, c’est 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an -juste à l’export »

Rue89Lyon : No Wine Is Innocent a refait surface il y a quelques semaines pour la joie de ceux qui l’aimaient déjà quand le blog avait été lancé sur Rue89. On est toujours et encore (très) loin de la revue classique relative au monde du vin qui proposerait du portrait classique de vigneron·ne, des commentaires de dégustation, des classements etc.

Antonin Iommi-Amunategui : On se définit comme un bloc média indépendant spécialisé. On compte parler de vin dans tous les sens, voire tous les formats (articles, mais aussi podcasts, vidéos, etc.). Sur le fond, nous avons une approche probablement plus journalistique que la moyenne des médias du vin, plus progressiste aussi, et quelquefois gonzo. Alors, en bref, on vise l’inédit. La lune quoi !

Et, en effet, on ne se préoccupe pas que de ce qu’il y a dans le verre, mais aussi tout autour : le vin, en France, c’est 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an -juste à l’export. Avec des gros sous pareils, il y a des intérêts puissants en jeu et, forcément, pas mal d’histoires à raconter.

« Le milieu du vin étant plutôt étanche, certains supportent mal de voir leur petit statut mis en question »

Tu es identifié comme un défenseur voire un activiste des vins naturels. D’ailleurs, dans ce milieu, il existe aussi des divergences vives quant aux définitions, quant à ce que sont ces vins et qui a le droit d’en parler -mais c’est une autre question. 

En tout cas, tu représentes une voix médiatique sur le sujet. En cela, tu es très régulièrement pris à partie, via les réseaux sociaux et de manière virulente. Pourquoi tant de haine ? Comment arrives-tu à gérer ça ?

C’est relatif, bien sûr, mais en publiant notamment des textes qui ne se contentent pas de faire de la com’ (une bonne partie de la « presse » du vin ne fait pas autre chose), on s’expose à des réactions parfois virulentes. Dernièrement, pour avoir révélé des comportements objectivement très problématiques liés à une caricature publiée dans un magazine par ailleurs sans grand intérêt, je me suis clairement pris une campagne de dénigrement dans la figure, qui n’a d’ailleurs toujours pas cessé plusieurs mois après.

Le milieu du vin étant plutôt étanche, avec un entre-soi évident, certains supportent mal de voir leur petit statut mis en question ; ils n’ont pas l’habitude d’être critiqués, en fait, puisque ce sont eux les critiques habituellement. Peut-être qu’à force de critiquer des vins, ils ont fini par se sentir autorisés à critiquer tout le reste ? Je ne sais pas, leur psychologie m’échappe. A titre personnel, ce n’est jamais agréable, mais encore une fois quand on publie, on s’expose, ça fait partie de l’équation. Même si parfois il y a de vraies mauvaises surprises et des dérapages regrettables.

Antonin Iommi-Amunategui ©Ewa Dyszlewicz
Antonin Iommi-AmunateguiPhoto : Ewa Dyszlewicz

« Si vous critiquez tel ou tel rouage du système en place, c’est évidemment considéré comme une agression »

Est-ce que cela te pousse professionnellement, éditorialement, à une forme de radicalité ?

Je ne me sens pas radical. Mais c’est vrai, je suis souvent décrit comme ça. « Radical », « militant »… Je pense que c’est surtout une manière de tenter de discréditer l’autre : « il est radical, c’est un militant, donc son propos est excessif », autrement dit inexact. Bref : faux. Et voilà, emballé c’est pesé.

Forcément, si vous dites d’un vin qui coûte 1000 euros la bouteille qu’il n’a pas grand intérêt, ou que nous avons un vrai problème d’addiction aux pesticides en France malgré toutes les belles annonces rabâchées année après année, ou encore que tout le système d’appellations (AOC devenues AOP) est bancal voire trompeur, etc., vous êtes perçu comme un provocateur. Sauf que lorsque j’écris, je tâche systématiquement d’illustrer et de sourcer mes propos. D’avoir en somme une approche journalistique.

Le problème, et on revient toujours là, c’est qu’il y a un supertanker rempli d’euros en jeu, alors si vous critiquez tel ou tel rouage du système en place, c’est évidemment considéré comme une agression et il y a des réactions fortes immédiates. Parmi lesquelles : « lui c’est un radical, un militant, ne l’écoutez pas, il raconte n’importe quoi ». Heureusement, je suis loin d’être le seul et les choses bougent.

« On ne veut pas boire du roman national, on veut des vins qui reflètent aussi la diversité, les évolutions de la société »

Le sujet du vin est aussi abordé sous l’angle féministe, autour des question de genre, d’agroécologie, d’identité… Que de « gros mots », n’est-ce pas, et de questions explosives concernant un marché pesant plusieurs millions d’euros, comme tu le rappelles toi-même.

Le fait qu’il s’agisse d’un univers économique et culturel très traditionnel rend ton projet assez unique dans le paysage médiatique…

Oui, nous sommes en 2021, il n’y a pas de raison que le milieu du vin demeure figé dans un passé essentiellement fantasmé. On ne veut pas boire du roman national, on veut des vins à l’image de la société, qui reflètent aussi sa diversité, ses évolutions ; j’ai toujours pensé que le vin naturel, en particulier, était à l’avant-garde de l’agriculture, figurant une espèce de modèle à suivre pour le reste du milieu agricole.

Mais il peut même être à l’avant-garde tout court, véritable média comestible, parti politique picolable et si possible progressiste : après tout, une bouteille de vin est produite à plusieurs milliers d’exemplaires, c’est littéralement un média. Aux vigneronnes et aux vignerons de jouer, et nous on sera là pour relayer.

Ce sont pour certains des thèmes développés dans la maison d’édition Nouriturfu que tu as lancée avec Anne Zunino. Là, sur No Wine, les formats sont plus courts, plus « actu ». Il y a aussi des podcasts. Vous avez démarré notamment avec l’alcoolisme dans le milieu du vin. Vous avez expliqué ce que sont ces ateliers de dégustation en « mixité choisie ».

Peux-tu nous parler des gens qui collaborent à No Wine et de la façon dont les sujets sont choisis ?

Nous sommes deux à écrire et produire des contenus pour le moment : Marie-Eve Lacasse et moi. Marie-Eve est romancière, journaliste, Québécoise vivant en France depuis un bail, venue au vin sur le tard, comme moi, et avec un appétit d’autant plus féroce ; elle a aussi un regard, une approche décalée, intellectuelle ou littéraire, et souvent brillante. On recherche l’inédit, des angles inattendus, et Marie-Eve ne sait tout simplement pas faire autrement ; c’est donc idéal pour NWII.

Nous avons des espèces de conférences de rédaction via l’appli Telegram, on fonctionne en ping-pong et les sujets sortent souvent de ces échanges. Nous avons aussi un technicien de haute voltige qui étale idéalement nos confitures sur la grande tartine de l’internet… Cela dit, l’une de nos ambitions à court ou moyen terme c’est de pouvoir faire appel à des pigistes, multiplier les voix originales.

« Même si tous les milieux ont leur lot de comportements dégueulasses, celui du vin est particulièrement problématique »

L’une des autrices que tu as publiées chez Nouriturfu est à l’origine d’une plainte pour harcèlement. Elle a subi une campagne de dénigrement de haute volée à la suite de la dénonciation qu’elle a faite d’un dessin sexiste, elle comme d’autres d’ailleurs, publié dans le magazine En magnum.

C’est cela qui a suscité le premier billet de No Wine en décembre 2019, sur les « vieux mâles blancs du vin » ? 

Oui, comme je l’évoquais plus haut, cette histoire est hallucinante. Sandrine Goeyvaerts, autrice de Vigneronnes et, petit scoop, d’un nouveau livre à paraître en septembre chez Nouriturfu, a subi ce qu’on appelle un « harcèlement en meute », même si une personne en particulier s’est illustrée pour lui nuire. Le procès aura lieu en 2022. Avant cela, en mai de cette année, ce sera le tour de Fleur Godart, elle aussi ayant déposé plainte dans cette affaire. Tout ça pour un dessin, ont réagi certains commentateurs, minimisant en creux l’affaire.

Le problème n’était pas seulement le dessin en soi, mais les réactions totalement démesurées et déplacées que les critiques légitimement formulées à son endroit ont entraîné. Et ces réactions sont en effet presque systématiquement venues de cette caste que j’ai qualifiée – en souriant parce que je ne suis pas loin d’en faire partie moi-même – de « vieux mâles blancs du vin » : des hommes blancs d’âge mûr, installés, privilégiés, qui n’ont en bref pas supporté que des jeunes femmes en l’occurrence (plus jeunes qu’eux en tout cas) émettent… une critique. C’est formidablement éloquent.

Le « débat » n’en est plus un, car il s’agit d’une procédure judiciaire aujourd’hui. Est-ce qu’il y aurait particulièrement dans le milieu du vin un conservatisme, voire un sentiment d’impunité qui n’auraient que peu été dénoncés jusque-là et qui expliqueraient ces attitudes ?

Absolument. Un sentiment d’impunité très net, dû à la nature de ce milieu, finalement assez étanche, avec un conservatisme et un entre-soi omniprésents. Même si tous les milieux ont bien sûr leur lot de comportements dégueulasses, celui du vin est particulièrement problématique. Les types se croient à peu près intouchables et se permettent des choses invraisemblables : insultes, dénigrement, menaces, harcèlement…

Ajoutez à cela l’effet de meute et de distanciation cognitive que créent les réseaux sociaux, et vous obtenez un cocktail parfaitement imbuvable. Et, a priori, pénalement condamnable.

« J’ouvrirais bien une bouteille de ‘Putes féministes’, tiens »

Penses-tu que ce site d’info a une vocation militante ?

Non, je ne dirais pas cela, parce que ce mot a une connotation trop forte et in fine excluante. No wine is innocent est inclusif ! Alors disons plutôt que nous avons une vocation… frontalement pédagogique.

Est-ce que tu lui imagines un modèle économique et si oui, lequel ?

Nous y réfléchissons, ce n’est bien sûr pas évident. Pour le moment, on a mis en place une simple caisse de soutien via Tipeee. A moyen terme, si tout va bien, nous aurons une formule d’abonnement, un accès premium… A suivre.

Qu’est-ce que tu as envie de boire en ce moment pour kiffer la vie malgré la distanciation, le couvre-feu et la fermeture des bars et restos ?

J’ouvrirais bien une bouteille de Putes féministes, tiens.


#Salon des vins

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Mathieu Rostaing. ©AnneBouillot

Photo : AnneBouillot

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