Au lycée Albert Camus de Rillieux-la-Pape, après le non renouvellement de 10 surveillants en 2020, deux CPE sont mutés par décision administrative au début du mois de mars. Des décisions rares, qui, d’après les intéressés et deux syndicats, pourraient cacher la volonté de leur hiérarchie de mettre sous le tapis une affaire d’agression sexuelle.
Le 10 mars, deux CPE (conseillers principaux d’éducation) ont reçu chez eux un arrêté de mutation pour l’intérêt du service. Fini le lycée Camus de Rillieux-la-Pape, où ils officient, pour l’un depuis près de dix ans, pour l’autre depuis la rentrée de septembre 2019.
Cette décision administrative est rare dans l’Éducation Nationale et particulièrement douloureuse pour les deux employés de l’Éducation Nationale. Ils s’y attendaient toutefois.
Selon deux syndicats, « des faits d’agression sexuelle » au lycée de Rillieux-la-Pape
« L’attitude de leur hiérarchie à leur [les CPE] égard, ainsi qu’envers l’ancienne équipe d’AED a brutalement changé à partir du moment où ils ont alerté la direction de l’établissement sur des faits d’agression sexuelle », écrivent d’un commun accord les syndicats de l’éducation SUD et CGT 69 dans un communiqué consécutif à l’annonce de la mutation des deux CPE, apprise le 10 mars.
Un ancien AED (assistants d’éducation), dont le contrat n’a pas été renouvelé pour 2020 raconte :
« Le 30 septembre, un élève me remet une vidéo qui m’alarme. J’en réfère aux 3 CPE du lycée Albert Camus [ndlr : non fusionné à l’époque] et dans la même journée, on se retrouve tous dans le bureau de la proviseure pour lui signaler ce qu’on identifie comme un cas de violence sexuelle ».
Catherine Durand, ancienne proviseure de vie scolaire tout juste nommée à la tête du lycée Albert Camus, leur a annoncé prendre en charge la suite de l’affaire, comme ses fonctions l’y engagent.
« J’ai fait un rapport écrit quelques jours plus tard et je n’ai plus jamais eu de nouvelles de cette histoire », confie l’AED. Même son de cloche du côté des CPE, qui n’ont pas non plus été tenus au courant des suites de leur signalement. Domine alors le sentiment que rien n’a été fait et, l‘affaire traînant en longueur, tous trois ont finalement décidé de faire un signalement au procureur en octobre 2020.
« Mis au placard »
Pendant toute l’année scolaire 2019-2020 (en partie amputée par le confinement) les CPE et les AED à l’origine du signalement ont constaté une dégradation des relations avec leur hiérarchie. Pour eux, cette dégradation est clairement en lien avec leur signalement de septembre 2019. « Je n’étais plus écoutée, j’avais l’impression que ma parole ne comptait plus », constate l’un d’entre eux.
Conséquence directe de ces rapports délétères : le 3 septembre 2020, peu après la rentrée, les 3 CPE du lycée Albert Camus, soit la totalité des CPE s’occupant des lycéens en filières générale et technologique, ainsi que des BTS, ont pris un arrêt maladie. Deux d’entre eux ont tenté de reprendre le travail après les vacances de la Toussaint.
« Lorsque nous sommes revenus au lycée, nos bureaux avaient été déplacés à l’autre bout de l’établissement, soit disant pour mieux le quadriller. Nous n’en étions même pas prévenus. Pire, nos nouveaux bureaux étaient encore en chantier. Dans les faits nous étions isolés des AED et des élèves, mis au placard. Notre troisième collègue, avait été remplacé par une CPE contractuelle avec qui nous avions très peu de contacts, faute de pouvoir la croiser », explique l’un d’entre eux.
Début décembre, ils ont obtenu de nouveaux arrêts maladie. Toujours malade, le troisième CPE n’a pas remis un pied au lycée depuis le 3 septembre. A la différence de ses collègues, il n’est pour l’heure pas visé par une procédure de déplacement.
« Nous étions épuisés moralement, les relations avec la direction étaient particulièrement délétères et nous n’étions plus en capacité d’exercer notre métier », commente l’un d’eux.
Au lycée de Rillieux-la-Pape, dix AED non renouvelés
Un autre événement témoigne d’un mode de gestion des ressources humaines pour le moins atypique au lycée Albert Camus. A la fin de l’année scolaire 2019/2020, les dix AED qui constituent l’équipe de la vie scolaire du lycée Camus ont appris que leur contrat de travail ne serait pas renouvelé.
« C’était du jamais vu et il a fallu chercher à comprendre. Nous avons donc été reçus en intersyndicale au rectorat à la fin de l’année pour demander des comptes à notre hiérarchie. En substance, il nous a été répondu que la direction de l’établissement était dans son bon droit et qu’elle avait eu besoin de renouveler l’équipe tout entière », raconte Romain Lapierre, secrétaire départemental de Sud 69 présent ce jour-là.
Du côté des AED et des CPE c’est encore une fois la stupeur. « Individuellement on ne nous avait jamais rien reproché », confie un AED.
Un des CPE s’indigne : « Nous n’avions même pas été mis au courant ! Ce sont les AED eux même qui nous ont appris cette décision. Parmi ces AED non renouvelés, certains ont passé leur année en congé maternité, puis en confinement. La proviseure, qui a décidé de leur non renouvellement les connaissait à peine. »
Face à l’incompréhension et l’injustice que représente, pour eux, cette décision, 6 des 10 AED ont engagé, fin novembre dernier, un recours au tribunal administratif pour contester ce non-renouvellement.
Sanctions déguisées
Aujourd’hui, le rectorat de Lyon reconnaît d’ailleurs que le non renouvellement des AED et le déplacement des CPE du lycée de Rillieux-la-Pape sont deux événements liés.
« La chef de l’établissement a fait le choix de ne pas renouveler les contrats des AED (contrats d’une durée d’un an). Toutefois, les dysfonctionnements perdurant, le recteur a diligenté une enquête administrative qui a abouti à la mutation dans l’intérêt du service de deux CPE », écrit le rectorat à Rue89 Lyon.
Pourquoi la direction de l’établissement voudrait-elle sanctionner toute une équipe d’AED et ses CPE ? Contacté, le secrétariat de la direction nous renvoie vers le rectorat. Ce dernier reste laconique. Il évoque « des dysfonctionnements de la vie scolaire relatifs à l’organisation de l’internat, de la vie scolaire… ».
Et de préciser ne jamais donner d’information sur la situation des personnels « pour des raisons de confidentialité ».
Manuel Millet-Anselmo, enseignant au lycée Camus et co-secrétaire de sa section SNES-FSU, estime quant à lui :
« Pour nous, il s’agit d’une sanction déguisée. Si un fonctionnaire a fait une faute grave qui mérite une sanction, il doit être sanctionné par une commission disciplinaire paritaire, composée d’administratifs et d’enseignants. La mutation dans l’intérêt du service est une manière de contourner cette procédure et, selon nous, elle témoigne du fait que le dossier du rectorat est vide ».
Le Snes, syndicat le plus implanté dans l’établissement, ne va toutefois pas jusqu’à relier ces « sanctions déguisées » au signalement effectué par les CPE et l’AED fin septembre 2019.
« Nous ne nous positionnons pas sur cette histoire, dont nous ne sommes pas au courant. Pour nous, ces sanctions sont dues au management autoritaire de la direction », assure Manuel Millet-Anselmo du SNES.
Tenant à agir, le syndicat, majoritaire dans l’enseignement secondaire, a déposé en salle des professeurs une pétition de soutien aux deux CPE. Alors qu’elle avait recueilli plus d’une trentaine de signatures, la pétition disparaît mystérieusement. « On a connue meilleure ambiance au lycée Camus », commente Manuel Millet-Anselmo.
« Affaire sans suite » ?
Le rectorat de Lyon ne nie pas avoir été au courant du signalement effectué par les CPE et l’AED du lycée Albert Camus pour des faits d’agression sexuelle. La proviseure a « immédiatement conduit une enquête interne » et « entendu les différentes personnes concernées ». L’enquête n’a toutefois pas permis de « démontrer un acte répréhensible », explique le rectorat dans une réponse à la presse.
Il ajoute que la proviseure a également été entendue par les services de police, suite au signalement effectué par les CPE et l’AED en octobre 2020. Elle leur aurait fait part des conclusion de son enquête. « Faute d’élément concret et de dépôt de plainte, aucune suite n’a été donnée », tente de rassurer le rectorat.
Hasard du calendrier ? Le 18 mars, soit le lendemain de la publication d’un article du Progrès reproduisant les réponses du rectorat, les deux CPE et l’AED ayant effectué le signalement au procureur sont appelés par les services de police et convoqués au commissariat pour y être entendus fin mars. Le rectorat aura parlé trop vite : l’enquête est toujours en cours.
« C’est la proviseure elle-même qui aurait dû faire un signalement au procureur dès septembre 2019, comme le prévoit le code de procédure pénale. A l’inverse, l’AED et les CPE sont des lanceurs d’alerte et ils n’auraient jamais dû être sanctionnés comme ils l’ont été », conclut Samuel Delor, co-secrétaire de la CGT Educ’action 69.
Relancé par Rue89Lyon après les appels de la police et la publication d’un nouveau communiqué de SUD et de la CGT y faisant référence, le rectorat nous répondra encore que, à sa connaissance, « pour le moment, aucune suite n’a été donnée ».
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