Dispel, c’est une humble demeure d’artistes. Il y a un parking, un bâtiment industriel de béton, bas et blanc, des arbres dénudés par l’hiver. Le lieu est dominé par la montagne, et la Casamaures, un bâtiment du XIXe siècle dont le style — oriental, coloré est grandiloquent. Le tout tranche avec Dispel, ancienne laiterie installée à Saint-Martin-le-Vinoux (accolée à Grenoble).
Au sein du bâtiment, on trouve cinq associations, aux compétences multiples.
Ils s’appellent MTK, Laps, Culture Ailleurs, Cinex ou Octobre et sont héritiers d’une histoire artistique de l’agglomération.
Certains travaillent depuis plus de 20 ans ici, autour de l’expérimentation sur de la pellicule pour film nécessitant l’emploi d’imposantes machines, sur la pratique de la sérigraphie et de la risographie, et la réalisation de documentaires. Mais ce creuset de culture est menacé :
« On a appris par surprise que la Métropole (à qui appartient le lieu) mettait en demeure la Ville de Grenoble (qui nous délivrait une convention) de vider les lieux », explique Richard Bokhobza, un des résidents.
« Tout se décide dans une période compliquée pour les artistes »
Pourquoi ce coup de pression ? La question est d’abord d’ordre administratif et, pour démêler cela, il faut revenir en 1998. À cette époque, la Métropole signe une convention d’occupation avec la Ville de Grenoble, qui la répercute sur les associations qui occupent Dispel.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de lien contractuel entre Dispel et la Ville de Grenoble. La convention s’est achevée en 2015 sans être reconduite », explique au téléphone Lucille Lheureux, élue « aux Cultures » qui fait suite à Corinne Bernard, à la Ville .
Depuis, les artistes de Dispel sont dans les locaux, sans que personne n’y trouve rien à redire. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2020 que les choses commencent à bouger, négativement pour Dispel. Se met alors en place une mobilisation — affiches collées un peu partout dans la métropole de Grenoble, lancement d’une pétition de soutien (qui recueille plusieurs centaines de signatures) afin de défendre le lieu, et ses artistes.
Lorsque Rue89Lyon les rencontre sur place, début janvier, le collectif est toujours présent, l’esprit combatif. La menace n’a pas été mise à exécution, mais elle pèse toujours sur les épaules des résidents.
« Nous passons beaucoup de temps et d’énergie à essayer de se sortir de cette situation. Mais tout cela se décide dans une période compliquée pour les artistes », atteste Julien Lobbedez.
De son côté, Lucille Lheureux fait remarquer :
« Cela ne concerne pas la Ville de Grenoble, car le lieu est à Saint-Martin-le-Vinoux. Mais je n’ai pas entendu de voisins, d’écoles ou d’associations proches défendre le maintien sur place du collectif. Je pense que ça aurait été intéressant ».
Un maire et des photos
2020, c’est aussi le moment où le nouveau maire de Saint-Martin-le-Vinoux (aussi vice-président à la Métropole, chargé des espaces publics, de la voirie), Sylvain Laval, décide de rendre une visite à Dispel. Ce dernier a déjà une carrière — il a été chef de cabinet de plusieurs ministères de 2013 à 2017 — et s’intéresse soudainement au bâtiment. Les résidents rapportent :
« Il voulait constater, avec la police municipale, que le bâtiment était dégradé. Il n’est resté que 20 minutes, et a pris quelques photos à la sauvette », revient Fabien Fischer, autre résident des lieux.
Il conclut :
« Il a ensuite envoyé cela à la préfecture qui s’est saisie du dossier, ce qui a abouti à la première décision de la métropole, fin décembre ».
Ce dernier, contacté, n’a finalement pas souhaité répondre à nos questions.
C’est aussi la position de la métropole, que les membres de Dispel rencontrent :
« La collectivité nous dit qu’on ne travaille pas dans de bonnes conditions. Ils veulent nous mettre dehors pour notre bien », soupirent encore les résidents.
Les membres de Dispel contestent la vétusté de leur lieu de travail.
« Plusieurs architectes différents sont passés et attestent de la non-dangerosité des lieux. Ici ce n’est pas vétuste », atteste Richard Bokhobza.
Pour sa part Christophe Cardoen, de l’association Laps regrette :
« Lors de sa visite, nous avons essayé de discuter avec le maire, mais il a répété à plusieurs reprises qu’il se moquait de ce que l’on faisait ici. Seul le bâtiment l’intéresse ».
Un « relogement heureux »
Le bâtiment est en effet intéressant : il fait partie de l’histoire industrielle de la ville, avec ses deux toits pointus, et les baies vitrées à l’étage. De plus, les discussions avec les collectivités sont lancées depuis longtemps. « Voilà trois ans qu’on parle de notre relogement », explique Fabien Fischer, qui se souvient de la formule de la précédente municipalité grenobloise : faire « un relogement heureux ».
Lucille Lheureux, la nouvelle élue aux Cultures à Grenoble, évoque :
« On a des pistes avec la Métropole, et on continue de faire notre part pour trouver une solution. Mais on dispose de peu de friches de ce type. Maintenant, on espère que des bâtiments pourraient convenir dans d’autres villes de la métropole. »
De son côté, Dispel désespère : « Ici, on a 750 m2. On peut s’adapter, mais on ne nous a rien fait visiter. À la fin, la Ville veut nous reloger association par association, alors qu’il y a une synergie, un travail en commun. Le problème, c’est qu’on nous demande de le quantifier, mais c’est impossible. »
Ces liens ont eu le temps de se tisser en presque un quart de siècle de collaboration et de voisinage artistique. Des productions qui essaiment à l’extérieur. Comme MTK, qui dans les années 90, va développer un réseau (de Paris, à Nantes et Strasbourg) de laboratoires d’expérimentations sur le développement de films.
« Nos projets sont dirigés vers l’extérieur, que ce soit Grenoble ou plus loin. Nous ne sommes pas dans la « culture vitrine », on est moins visible, mais on se produit tout le temps », confirme Djamila Daddi-Addoun, réalisatrice à Dispel.
Elle poursuit : « Dispel, ce sont trois associations au départ. Mais depuis, il y a eu des transmissions au sein de ces structures, que ce soit des connaissances ou des outils ». Dispel est aussi l’une des dernières héritières de l’époque où les friches artistiques étaient mises en valeur. À Grenoble, plusieurs lieux s’ouvrent dans les années 90 — Polder, le Brise-Glace. Depuis, ils ont tous disparu, ou presque, pour être remplacés par des projets urbains imposants.
Un départ de Dispel, pour quoi à la place ?
Reste à savoir ce qui pourrait remplacer Dispel ? Les regards des résidents se tournent vers la Casamaures, le bâtiment historique. Dans Libération, la propriétaire milite pour que les « abords de la Casamaures soient respectés en vertu des lois et mesures dédiées aux monuments historiques classés ». Comprendre : elle aimerait bien que le bâtiment industriel disparaisse pour laisser place nette à « sa » Casamaures.
D’autant que la Casamaures a gagné une petite enveloppe de la part du Loto du patrimoine, porté par Stéphane Bern (pour 11 000euros) et tente d’en lever encore plus pour rénover un bâtiment qui a subit des infiltrations d’eau. « On nous dit que notre bâtiment est moche. Et puis le Loto du Patrimoine de Stéphane Bern, ça semble beaucoup intéressé les décideurs locaux. On nous mettrait dehors avec cet argument », regrette Richard Bokhobza.
Du coup, le bâtiment « moche » laisserait la place à un beau jardin, ce qui ne manque pas de faire sourire le collectif : « Il y a quelques mois à peine, étaient rasés 5000 m2 de jardins ouvriers à la Buisserate, à quelques centaines de mètres d’ici, et l’on envisagerait de détruire le Peldis pour y mettre des jardins … (ouvriers ?!). »
D’après Lucille Lheureux, qui est aussi élue à la métropole, « il n’y pas de calendrier de chantier qui justifie la sortie des locaux », ajoute-t-elle.
Du reste, le cas de Dispel pourrait être instrumentalisé dans le cadre de la guerre des gauches. Depuis les élections métropolitaines de 2020, une tension fait jour entre le maire de Grenoble Éric Piolle, et le président de la Métropole, Christophe Ferrari. Un combat qui s’étend sur différents fronts : autour d’une piste cyclable, d’une clinique, et peut-être donc, Dispel.
Après le premier coup de pression en décembre 2020, la nouvelle échéance est fixée en mars 2021. Mais aucune solution de ne semble émerger. Alors que le secteur culturel, en pleine crise de covid, est au plus bas. « On a eu plein de dates repoussées à février ou mars. On n’aura pas le temps de préparer le déménagement », assure Christophe Cardoen. Recontacté fin février, la situation n’avait toujours pas évoluée, et la métropole restait mutique. Les artistes n’ont pas fini de se battre.

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