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Blocages de livreurs lyonnais par Uber Eats : « Ils nous jettent sans souci »

Ce vendredi 5 mars, une dizaine de livreurs se sont rendus au siège lyonnais de la plateforme Uber Eats, avenue Georges Pompidou dans le troisième arrondissement. Majoritairement syndiqués CGT Uber Eats et Deliveroo, ils ont protesté contre les blocages des comptes de livreurs jugés abusifs. Ils répèteront l’action vendredi prochain à partir de 14h30, toujours au siège d’Uber Eats à Lyon.

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La CGT UberEats/Deliveroo Lyon au siège d'Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d'une trentaine de livreurs. Deux visages ont été anonymisés.

La CGT livreurs a notamment porté les cas d’une trentaine de blocages de comptes devant les cadres d’Uber Eats. Ludovic Rioux, délégué CGT livreurs considère que ceux-ci ne représentent que “la face émergée de l’iceberg” :

“Ce sont seulement ceux qu’on a rencontrés, ceux qui sont venus vers nous. On n’a pas de visibilité sur la boîte. On pense qu’il y a au moins dix fois plus de blocages qui ont lieu dans le silence et la résignation.”

Pour Elias et Yacine, qui vivaient de leurs revenus de livreurs, la notification du blocage de leur compte est tombée comme un couperet. Yacine a 22 ans. Cela fait presque deux ans qu’il travaille pour Uber Eats.

“C’était il y a un peu plus de deux semaines. J’ai été surpris d’avoir été bloqué par Uber, c’était vraiment du jour au lendemain. Je me suis levé, je me suis mis sur le net pour prendre mes premières commandes de la journée et là j’ai vu que j’étais bloqué.”

« Il n’y a pas de numéro de téléphone pour les travailleurs à Uber Eats »

Pour Yacine, c’est la panique. L’application lui reproche un retard dans l’envoi de son attestation de vigilance de l’Urssaf (les livreurs doivent verser 23% de leurs revenus à l’Urssaf car ils sont sous le statut d’auto-entrepreneurs). Il a pourtant envoyé son document dans le temps imparti.

“Là, je stresse, parce que quand tu te fais bloquer comme ça, tu sais que c’est presque impossible d’avoir une vraie personne au téléphone. Avant, j’étais chez Deliveroo, ils m’ont fait le même coup. Les cadres d’Uber Eats sont injoignables, il n’y a pas de numéro de téléphone pour les travailleurs.”

Une capture d'écran d'un livreur Uber Eats bloqué.
Capture d’écran d’un livreur Uber Eats bloqué.

La première personne à laquelle pense Yacine est Ludovic Rioux, délégué syndical CGT livreur :

“J’ai tout de suite appelé Ludo. On en a parlé, et j’ai participé à l’action qui a eu lieu vendredi.”

Lors de cette action, Yacine a pu aborder son blocage avec des cadres d’Uber Eats :

“Le soir même j’ai été débloqué.”

« Ce blocage d’Uber Eats m’a saigné à blanc »

Selon Ludovic Rioux, délégué CGT livreurs, ces déblocages à la marge attestent du caractère arbitraire de la fermeture des comptes :

“Cela montre bien que les blocages sont abusifs et injustifiés, sans aucune prise en compte de la perte sèche que représente le temps où les livreurs ne peuvent pas travailler.”

Yacine, faute de moyens, a dû rendre le véhicule qu’il louait pour livrer. Il n’a plus assez d’argent de côté pour payer la caution d’un nouveau. Il a beau avoir été débloqué, il ne peut plus travailler.

“Ce blocage de deux semaines m’a saigné à blanc. J’en ai vraiment assez, ce n’est pas la première fois en plus. Une fois j’ai été bloqué pendant plusieurs jours parce que le robot de reconnaissance faciale d’Uber Eats trouvait que je ne ressemblais pas à mes photos.”

La CGT UberEats/Deliveroo Lyon au siège d'Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d'une trentaine de livreurs.
La CGT Uber Eats/Deliveroo Lyon au siège d’Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d’une trentaine de livreurs.

Elias a 25 ans. Lui aussi a rejoint Uber Eats après avoir été bloqué arbitrairement par la plateforme Deliveroo. Depuis quelques semaines, son compte de livreur Uber Eats a à son tour été verrouillé sans explication.

“Il y a trop de livreurs, donc Uber Eats propose aux nouveaux livreurs d’être “activés” dès qu’ils en “désactivent” un autre. On est tous sur des sièges éjectables en fait.”

“C’est majoritairement des anciens qui se font virer”

Elias estime avoir laissé à Uber Eats son temps, son argent, et même sa santé :

“Tout est bidon, les raisons pour lesquelles ils te virent, même les assurances auxquelles ils t’obligent à souscrire et qui ne te remboursent rien. Je me suis fait renverser deux fois, la première fois je me suis cassé le coude et la seconde fois l’épaule.”

Il poursuit :

“Non seulement je n’ai eu aucune indemnité mais en plus quand le pompier qui s’est occupé de moi a appelé la plateforme, la seule chose qu’ils voulaient savoir c’est : est-ce que j’allais être capable d’acheminer la livraison.”

Elias s’en va chez un concurrent, sans grand espoir, et avec beaucoup d’amertume :

“C’est un licenciement abusif, ils nous jettent sans souci. C’était mon seul moyen de revenus, j’avais des charges à payer. Quand ils m’ont laissé sans emploi, je me suis retrouvé avec les huissiers aux fesses.”

Elias se console avec les cercles de solidarité qu’il a pu trouver auprès de ses camarades livreurs, eux aussi tour à tour bloqués :

“C’est majoritairement des anciens qui se font virer, c’est ça aussi qui me dégoûte.”

« Les titres de séjours ne peuvent pas être prolongés »

Ludovic Rioux, délégué syndical CGT livreurs, affirme essayer de dialoguer avec Uber Eats depuis plus d’un mois à ce sujet :

“Ils disent “on va discuter”, et puis ils ne répondent plus. Ils disent “on va régler ça” pour montrer patte blanche, et ensuite ils ajoutent “au cas par cas” pour ne pas qu’on ait de vision d’ensemble.”

La CGT UberEats/Deliveroo Lyon au siège d'Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d'une trentaine de livreurs. Deux visages ont été anonymisés.
La CGT UberEats/Deliveroo Lyon au siège d’Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d’une trentaine de livreurs. Deux visages ont été anonymisés.

Il ajoute :

“Les cadres de la plateforme refusent les accords écrits, les courriers, tout ce qui peut laisser une trace. Ils ne donnent jamais d’échéance.”

Pour le délégué syndical, les livreurs sont à la merci du froncement de sourcil d’un restaurateur, d’un client, ou de la plateforme :

“Le motif qu’ils invoquent le plus souvent pour fermer un compte c’est “commande frauduleuse” c’est-à-dire quand la commande n’est pas arrivée à bon port. Parfois, les clients déclarent que leur commande n’est pas arrivée, comme ça ils se font rembourser.”

Il énumère :

“Ou alors la notation d’un livreur qui baisse tout d’un coup à la discrétion d’un restaurateur , ou alors ils virent d’après un soupçon de partage de compte… Ou encore, la plateforme Uber Eats n’admet pas que des titres de séjours puissent être prolongés, alors ils ferment tout simplement les comptes.”

Le 5 mars dernier, les cadres d’Uber Eats ont refusé de s’engager à prendre des décisions en faveur des livreurs. Ce vendredi, ceux-ci espèrent au moins obtenir la réhabilitation de la trentaine de livreurs bloqués.

Intrusion dans les locaux

En réponse à notre demande d’entretien, Manon Guignard, porte-parole d’Uber Eats, a envoyé un long mail à Rue89Lyon. Elle a vilipendé la manière dont la CGT-livreurs a tenté de faire valoir ses revendications.

A ce stade, les versions s’opposent complètement :

« Au sujet de l’intrusion : […] L’entrée de nos locaux a été forcée par ce groupe d’individus, blessant également l’agent de sécurité présent sur les lieux. Ces agissements vont à l’encontre de l’exercice légitime d’un droit d’exprimer un désaccord, de manifester ou d’exercer un droit de grève. Nous avons dû faire appel aux forces de l’ordre. »

De même, elle nie l’indisponibilité des cadres d’Uber Eats :

« Nous avons mis en place un cadre de dialogue avec les livreurs et les collectifs. Un référent local propose des rendez-vous réguliers pour échanger avec tous les livreurs qui le souhaitent afin de pouvoir revenir sur tous les sujets qui concernent leur activité […] »

Elle ajoute :

« Les livreurs peuvent également se rapprocher du service support directement depuis leur application s’ils le souhaitent. A Lyon, nous avons échangé à plusieurs reprises avec le groupe affilié à la CGT. »

De plus, selon la porte-parole d’Uber Eats, la société projette des améliorations de son système :

« Nous allons prochainement tester une fonctionnalité sous forme d’un code unique que le client devra partager avec le livreur au moment de la remise de la commande. Cela permettra de garantir que la livraison a bien été effectuée et récupérée. »

Elle affirme qu’une autre fonctionnalité vient d’être mise en place pour éviter les suspensions de compte pour usurpation d’identité considérées comme abusives par les livreurs :

« Nous avons mis en place depuis février 2021 une procédure d’appel qui permet aux livreurs de pouvoir demander à ce que la décision soit revue lorsqu’elle a été prise suite à un signalement de partage de compte. […] Une fois la demande de procédure d’appel engagée, le livreur concerné pourra obtenir un retour sous une semaine. »

« Ils ne voulaient pas nous écouter »

Ludovic Rioux affirme ne pas avoir connaissance de cette procédure pour contester ces suspensions de compte :

« Quand on est bloqués sur l’application on ne peut faire qu’une seule chose : On va sur le bouton « aides » et on clique sur « Je n’arrive pas à me connecter », on écrit un petit message et après on attend qu’une réponse négative ou positive nous arrive. »

Il ajoute :

« C’est quand même fort qu’ils appellent ça une procédure d’appel. Normalement une procédure d’appel c’est devant la justice. Là c’est le même patron qui t’a déjà viré une première fois à qui tu demandes « vous me virez toujours ? ». Ils s’en fichent de toute façon, ils n’ont à se justifier devant personne. »

Questionné à propos de l’accusation de blessure du vigile, Ludovic a exprimé de la surprise :

« Je ne pense pas qu’on l’ait blessé, on l’a poussé pour rentrer et il nous a poussés pour ne pas qu’on entre. A aucun moment nous n’avons essayé de lui faire du mal, on n’est pas stupide. »

Il poursuit :

« Ce n’est pas vrai qu’ils acceptent de nous voir, on est venus en forçant l’entrée parce que justement ils ont refusé toutes nos demandes d’audiences. Et même quand on était là-bas, ils ne voulaient pas écouter nos revendications. »

La CGT UberEats/Deliveroo Lyon au siège d'Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d'une trentaine de livreurs.
La CGT Uber Eats/Deliveroo Lyon au siège d’Uber, le 5 mars dernier pour demander le déblocage d’une trentaine de livreurs.

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