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Dans la rue à Lyon, des profs et personnels d’éducation à bout

Ils étaient plus de 2400 selon les syndicats, 1800 selon la police, à répondre à l’appel à manifester lancé par une intersyndicale. Des professeurs en collèges et lycées, des personnels pédagogiques et d’éducation, des étudiants, des parents d’élèves ont marché ce mardi 26 janvier. Dans le viseur, des conditions d’enseignement précaires, parfois dangereuses, dues en partie à la crise du Covid-19. Mais pas seulement.

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Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon

La manifestation a démarré place Guichard (Lyon 3è) à 14h et s’est terminée devant le bâtiment du Rectorat (Lyon 7è) un peu après 16h. En tête de cortège, une scène véhiculée accueillait deux syndiquées de la SNES FSU qui ont entonné des reprises bien senties telles que « les sous dans l’éducation nationale, pourquoi ça ne pousse pas ».

De nombreux étudiants se sont joints au mouvement de ce mardi, autour de la banderole « Génération Covid », déjà de sortie une semaine auparavant.

« Je prends connaissance des protocoles sanitaires par la presse »

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Justine, Conseillère principale d’éducation à Villeurbanne et syndiquée à la CNT ©LS/Rue89Lyon

Justine est CPE (conseillère principale d’éducation), syndiquée à la CNT. Elle exerce depuis 8 ans au collège Jean Macé à Villeurbanne. Elle est responsable de l’organisation et de l’animation de l’équipe de vie scolaire du collège. Le protocole Covid, dans son lycée, c’est un peu elle qui a dû l’inventer :

« Je prends connaissance des protocoles sanitaires en même temps que tout le monde, par la presse. A chaque fois, on est pris de court, on ne reçoit rien en amont, très peu de mails officiels. »

C’est surtout à la cantine qu’il a fallu s’organiser pour éviter les contaminations :

« On a demandé aux parents qui pouvaient de désinscrire leurs enfants de la cantine. Ca a plutôt bien marché, ça nous a permis de faire respecter des distances »

La jeune CPE a vu ses conditions de travail se dégrader année après année. Aujourd’hui elle considère qu’elle ne peut plus faire son travail correctement :

« Mon collège n’est pas en éducation prioritaire mais pourrait l’être, là avec les moyens qu’on nous donne, notamment en termes d’effectifs, on ne peut pas accompagner les élèves, que ce soit scolairement ou sur des problématiques plus sociales. »

A Jean Macé, c’est 5 surveillants qui surveillent pas moins de 700 élèves chaque jour.

« Des conditions de vie et d’enseignement moins précaires »

La manifestation s’inscrit dans la continuité de la grève de novembre dernier, bien que le contexte sanitaire ne soit toujours pas propice aux grandes manifestations, les employés de l’Education Nationale et les étudiants ont décidé de montrer leur désarroi et leur colère dans la rue.

Quelles revendications ? Les travailleurs de l’éducation nationale demandent une revalorisation salariale et dénoncent des classes surchargées, des postes non renouvelés, des conditions de travail de plus en plus dégradées, parfois dangereuses notamment dans ce contexte de crise sanitaire.

Les étudiants demandent des conditions de vie et d’enseignement moins précaires. La réouverture des facs, la mise à disposition d’aides financières ainsi qu’un accompagnement psychologique font partie de leurs demandes. 

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Professeurs et conseillers d’éducation du collège Joliot-Curie ©LS/Rue89Lyon

« On se sent abandonné »

Agathe est professeure d’anglais, Marie, professeure de mathématiques et Philippe, professeur d’espagnol au collège Joliot Curie. L’établissement de Bron, est classé REP (réseau d’éducation prioritaire). Agathe raconte :

« Moi ça fait 8 ans que je suis professeure ici, Philippe depuis 15 ans, d’autres 25. La direction elle en revanche, change presque tous les deux ans. Elle ne prévoit pas de rester, ou d’améliorer les choses. Elle passe. »

Depuis janvier, le collège des trois professeurs est en pénurie de gel hydroalcoolique :

« On n’a pas encore débloqué l’argent » nous dit-on. Et encore, c’est pas comme si on l’achetait tout fait, c’est le professeur de Sciences Physiques qui le fabrique. »

La pénurie ne concerne pas que le gel, mais les AVS (auxiliaires de vie scolaire) :

« Il nous manque 35 heures de ‘vie scolaire’. On se sent abandonné, on aimerait bien écrire au rectorat, mais la direction de l’établissement ne nous appuie pas là dessus. »

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Manifestations des travailleurs de l’éducation nationale du 26/01/2021, le cortège étudiant ©LS/Rue89Lyon

En sus, les professeurs sont obligés de faire des heures supplémentaires :

« C’est la loi de la logique comptable, on est tous obligés de faire deux heures de plus par semaine, comme ça ils n’ont pas à ouvrir de nouveau poste. »

L’équipe pédagogique a aussi vu disparaître, sans explication, des projets ou des supports de travail. Agathe explique :

« On avait des heures où on enseignait à deux pour mieux accompagner les élèves. Ça a disparu ; on ne sait pas pourquoi. Pareil pour les projets comme ceux du théâtre. Ils disparaissent des plannings, du jour au lendemain. »

Et Philippe de poursuivre :

« Ce matin encore, je voulais ouvrir une application d’édition de magazine en ligne qu’on utilise avec les élèves pour faire un cours un peu interactif. Elle ne s’ouvrait plus. En fait, cette année, le collège ne paye plus l’abonnement. Sans nous avoir prévenus à l’avance. »

L’ombre des réformes de l’éducation

Sandrine est infirmière à Villefontaine, au collège Aragon, elle dépend de l’académie de Grenoble. Comme de nombreux enseignants et personnels pédagogiques, elle vient aussi pour protester contre la « loi 4D« , présentée en conseil des ministres début février. Celle-ci vise notamment à faire dépendre les infirmières scolaires non plus de l’Éducation nationale mais du Département. Elle passerait donc de fonctionnaire d’Etat à fonctionnaire territoriale, et ne serait plus rattachée à un établissement en particulier. Sandrine raconte :

« Les infirmières scolaires pourraient disparaître. Pourtant, j’ai passé un concours, j’ai le sentiment de faire partie du collège. »

Encouragée par ses amies et collègues, professeures du même collège, elle poursuit :

« Si on [les infirmières scolaires] n’est pas là, il n’y aura plus d’accueil physique pour les élèves, pour les orienter, les conseiller et même les dépister. »

Pour Sandrine et les professeures qui l’accompagnent, le rôle d’une infirmière scolaire est d’autant plus important dans une zone d’éducation prioritaire :

« Je travaille énormément avec les enseignants. On fait de la prévention, on informe sur plein de choses. Les enfants du collège n’ont pas tous accès aux soins. »

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
L’équipe de Villefontaine ; à gauche Clairvie, à droite Sandrine. ©LS/Rue89Lyon

La petite équipe de Villefontaine a fait de la route pour venir manifester. Elles témoignent de leurs inquiétudes pour l’avenir, notamment  au sujet de la réforme des REP, dans le collimateur de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale.

Clairvie, professeure d’anglais au collège Aragon, explique son angoisse : 

« Si ça passe, c’est le rectorat qui décidera des financement des collèges au cas par cas, sur des critères de projets et de pérennité éducative. »

Clairvie, comme de nombreux professeurs interrogés au cours de la manifestation, considère que l’État ne prend plus en compte que les seuls critères de rentabilité :

« On a un peu l’impression que L’État dit « ça fait 40 ans qu’on met du fric dans les banlieues et ça ne marche pas. Du coup, on coupe les aides ». On voit bien que les postes ne sont pas remplacés, les moyens disparaissent, c’est la suite logique, l’Éducation est sans cesse vue au rabais. »

« En dix ans, j’ai gagné 30 euros de pouvoir d’achat »

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Cécile, AESH dans une école lyonnaise ©LS/Rue89Lyon

Cela fait dix ans que Cécile est AESH (accompagnante pour élèves en situation de handicap) dans une école lyonnaise. Titulaire d’un bac +5 en psychologie, c’est par vocation qu’elle a choisi ce métier :

« Quand j’ai commencé, on s’occupait de deux enfants seulement en même temps, et on les suivait sur plusieurs années. On avait un réel impact, le sentiment d’avancer. »

Au fur et à mesure des années, Cécile a vu ses conditions de travail se dégrader et sa charge de travail augmenter :

« Maintenant, le suivi pédagogique ou la stabilité du suivi n’importe plus. Je m’occupe de 6 enfants en même temps. On a essayé de m’en changer trois fois depuis le début de l’année scolaire. » 

Cécile n’a pas choisi le métier d’AESH pour faire fortune, mais depuis quelques temps, elle considère qu’il s’agit d’une profession précaire :

« Avant, la reconnaissance de l’enfant dont je m’occupais me suffisait. Mais maintenant, j’ai mon aîné qui entre dans les études supérieures. J’ai besoin d’un peu plus. En 10 ans, j’ai à peine gagné 30 euros de pouvoir d’achat. Je suis payée 849 euros net par mois. »

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Lucie, enseignante à l’école maternelle GrandClément à Vaux-en-Velin depuis 17 ans. ©LS/Rue89Lyon

Lucie est enseignante à la maternelle Grandclément à Vaulx-en-Velin depuis 17 ans. Elle est aussi syndiquée à FO. Dans son établissement, la pénurie de remplaçants pour les enseignants qui tombent malade sévit chaque semaine :

« On n’a quasiment pas de consignes sanitaires : ouvrez les fenêtres, mettez du gel et ne mélangez pas les classes. Le problème c’est que les élèves des professeurs non remplacés il faut bien les mettre quelque part, donc on mélange les classes. »

« Un poste de conseiller d’éducation supprimé chaque année »

Alex et Mélanie sont AED (assistants d’éducation ou surveillants), au lycée de la Martinière Duchère dans le 9è arrondissement de Lyon :

« On travaille 41 heures par semaine et, à côté, on est étudiant. On manifeste surtout pour qu’il y ait plus de moyens dans l’Éducation nationale. »

À la Martinière Duchère, 2300 élèves et étudiants se rendent chaque jour dans l’établissement qui accueille aussi des prépa et des BTS. Ils sont quatre surveillants par jour, pour s’occuper de la logistique.

Mélanie raconte :

« On est censé avoir un rôle d’écoute, on fait surtout beaucoup d’administratif. On fait aussi la police. En trois ans, c’est un poste de surveillant par an qui a été supprimé. »

Pour les deux amis, le bien-être a disparu des prérogatives de l’Éducation nationale.

Alex raconte :

« Toutes les animations ont disparu. Tout coûte toujours trop cher. »

Au lycée, on parle d’ »hybridation » (alterner les cours à distance avec les cours en présence une semaine sur deux), mais pour l’instant, presque tous les élèves se rendent chaque jour à l’école :

« Le dispositif Covid est quasiment inexistant. On met du gel et on ouvre les fenêtres. Quand on additionne nos conditions de travail et la nécessité de faire la « police du masque bien mis », c’est là qu’on perd un peu espoir. »

Une autre journée de mobilisation du corps enseignant et des personnels d’éducation pourrait être prévue la semaine prochaine, sans aucune certitude pour l’instant.

Manifestations des travailleurs de l'éducation nationale du 26/01/2021 ©LS/Rue89Lyon
Alex et Mélanie, surveillants au lycée Martinière Duchère dans le quartier de la Duchère ©LS/Rue89Lyon

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Bureau avec la mascotte Kimamila. Photo de l'enseignante.
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