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Étudiants à l’université Lyon 3 : pourquoi ça va mal

Dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 janvier, un étudiant en droit de l’université Lyon 3 s’est défenestré. Quelques jours plus tard, une autre tentative de suicide a été empêchée in extremis. Ce n’est plus un secret, ça va très mal dans les universités. Rencontre avec des étudiants de Lyon 3.

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A la manufacture des tabacs, le campus reste résolument vide, les étudiants sont en distanciel. ©LS/Rue89Lyon

A la manufacture des tabacs, le campus reste résolument vide, les étudiants sont en distanciel. ©LS/Rue89Lyon
A la Manufacture des tabacs, de rares étudiants font la queue au drive du Macdo. ©LS/Rue89Lyon

Depuis fin octobre dernier, l’intégralité des cours des étudiants de Lyon 3 sont passés en distanciel. Les élèves suivent donc les enseignements de chez eux, par Internet. La plupart de leurs cours leurs sont dispensés par visioconférences, ou parfois par des enregistrements vidéo.

« Chez moi, on est cinq dans un trois pièces »

Anouar est en dernière année de licence de management et sciences humaines à Lyon 3. Pour lui, les dispositifs de la fac ne prennent pas en compte tous les soucis que peuvent rencontrer les étudiants avec le distanciel, comme par exemple, la sur-occupation d’un logement :

“D’une certaine manière, la fac a pris en compte la précarité technologique, mais pas le reste. Ils prêtent des ordis par exemple, mais chez moi on est cinq dans un trois pièces. La fac ne va pas me prêter un appartement. »

Cela a des conséquences sur la qualité du travail d’Anouar :

« Je ne suis pas très concentré sur les cours et je ne peux pas me permettre de mettre mon micro. Les profs ne s’en rendent pas forcément compte, ils nous demandent d’allumer notre caméra, notre micro et si on ne le fait pas, il y en a qui pénalisent.”

Clément est en deuxième année de master de recherche en langue à Lyon.  Militant pour les Jeunesses Communistes, il gagne sa vie comme surveillant dans un collège de la périphérie lyonnaise. Comme de nombreux étudiants interrogés, sa mauvaise connexion Internet faisait de son quotidien un calvaire :

“Maintenant ça va mieux parce que j’ai déménagé. Mais au premier confinement… Ma ligne sautait tout le temps, même rendre les devoirs était difficile. C’était assez angoissant et mes notes en ont pâti.”

Certains élèves comme Adel ou Anouar ont passé plus de la moitié de leurs épreuves en présentiel. Cela leur a paradoxalement donné un sentiment d’injustice. Adel explique :

“Avec ma classe, on a trouvé ça culotté de ne pas réussir à organiser des travaux dirigés à 15 en présentiel, mais les exams à 200 dans les amphis, ça va.”

« Des profs sont à l’écoute, d’autres n’en ont rien à faire »

Une expression est revenue plusieurs fois chez les élèves interrogés : “ça dépend des profs”. Pour la plupart des jeunes de Lyon 3, la qualité de l’apprentissage dépend plus que jamais de la bonne volonté des enseignants. Anouar explique :

“Il y en a qui sont à l’écoute, qui s’impliquent et qui se cassent la tête pour qu’aucun élève ne soit lésé. Ils envoient des supports écrits, des exercices, ils font des mini cours de soutien en visioconférences. Et puis il y a ceux qui n’en ont rien à faire. Ils allument leur caméra, même si on n’entend rien, même si c’est mal cadré, ils racontent leur truc à toute vitesse en deux heures top chrono et basta.”

A la manufacture des tabacs, le campus reste résolument vide, les étudiants sont en distanciel. ©LS/Rue89Lyon
A la Manufacture des tabacs, le campus est désert, les étudiants sont en distanciel. ©LS/Rue89Lyon

Adel complète :

“Même si la moitié de la classe n’a pas bien entendu ce que le professeur racontait, il n’enverra pas de support en pdf, parce que son cours, c’est sa propriété intellectuelle. »

Cela a des conséquences sur le travail de révision d’Adel :

« Des fois on perd des heures à tenter de comprendre un cours à trou, en essayant de les combler avec ceux des camarades par exemple.”

Pour Quentin, les modalités d’apprentissage en présentiel sont indissociables d’une bonne compréhension du cours :

“Il y a un grand besoin d’interactivité, que ce soit en droit, en langues ou en philo. Il faut qu’un professeur puisse passer dans les rangs et regarder les copies des élèves pour les conseiller. C’est comme ça qu’on apprend, sinon c’est juste ingurgiter sans assimiler. »

Adel donne une illustration des problèmes de communication qu’il a pu rencontrer avec les professeurs :

Avec ma classe on a envoyé de très nombreux mails à une professeur pour connaître ce qui sera évalué aux examens. Elle a fini par nous répondre : “ça, ça ne tombera pas à l’examen”. Au final, c’est tombé.”

Quentin est d’ordinaire très studieux. Il témoigne :

“Je suis presque en décrochage, ça fait trop longtemps que ça dure. D’habitude quand j’ai une question, je fais comme tout le monde, je la pose au professeur à la pause. Là, les enseignants reçoivent des dizaines de mails pour poser des questions à la fin de chaque cours. Et on n’obtient pas toujours une réponse.”

« On a le sentiment d’être perpétuellement sur la sellette »

Comme le confie Emma dans son long témoignage, les manques de communication entre l’université et les étudiants a généré un sentiment latent d’angoisse et de solitude chez les étudiants. Adel témoigne :

“Que ce soit les changements d’emploi du temps, de modalités d’examen ou de validation de l’année, on a le sentiment d’être perpétuellement sur la sellette. »

Quentin ajoute :

“Ça arrive très souvent qu’un cours soit annulé 20 minutes avant, ou parfois même on n’est pas prévenu du tout, parce que certains professeurs ne maîtrisent toujours pas l’outil numérique.”

Parfois, les étudiants tournent en rond une journée entière à courir après un cours décalé, heure après heure.

La chasse à la fraude

Qu’est-ce qui préoccupe le plus la direction de l’université Lyon 3 ? Unanimement, les étudiants répondent : la fraude. Heïdi raconte :

“Au premier confinement, l’université était dépassée, et il y aurait eu des cas de fraude aux examens. Alors là, la fac a tout fait pour que la triche soit rendue impossible… Mais sans forcément réfléchir au bien-être des étudiants.”

Pour Adel qui a dû passer la moitié de ses épreuves en distanciel, les conditions d’examen frôlaient l’absurde.

“C’était n’importe quoi. Je fais du droit. Or une question en droit, c’est souvent long à lire et à comprendre. Là, pour éviter la fraude, on avait un QCM de 20 questions auquel il fallait répondre en 15 minutes. Autant vous dire que personne n’a fini dans les temps.”

Adel et sa classe ont tenté de joindre le professeur en charge de cette matière :

“Il nous a répondu “Il y a toujours le second semestre pour se rattraper”.”

L’étudiant en droit est pourtant perfectionniste :

“Avant, moi je me mettais des objectifs, comme 13 ou 13,5 de moyenne par semestre, parce que je savais que mon travail me permettrait d’aller jusque là. Maintenant, je dois revoir mes objectifs à la baisse. C’est déprimant.”

Pour Heïdi, les examens en distanciel coupent une fois de plus les étudiants des relations humaines et de l’émulation intellectuelle que doit représenter la faculté. Alors qu’elle étudie la philosophie, certaines de ses options ont été évaluées par QCM :

“Tout est corrigé par des ordinateurs. On passait l’examen, on avait la note sous les yeux la seconde d’après, sans comprendre nos erreurs, sans retour. Si c’est ça l’école du futur… ça ne donne pas envie.”

© Montage Anaïs Lanvario / Rue89Lyon
© Montage Anaïs Lanvario / Rue89Lyon
© Montage Anaïs Lanvario / Rue89Lyon

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