Un menu dit « végétarien » existe de longue date dans les écoles de Lyon : il s’agit d’une option non modifiable à choisir en début d’année. La version végétarienne du menu n’est toutefois proposée que deux jours par semaine. Les deux autres jours, ce menu dit « sans viande » contient du poisson -c’est à dire de la protéine animale que la famille de Fanny ne mange pas.
La nouvelle municipalité écologiste avait affiché dans ses promesses de campagne un menu végétarien possible chaque jour dans les écoles. Au-delà du temps mis pour instaurer un système en adéquation avec les annonces, le témoignage de cette lyonnaise évoque la façon dont est encore perçu le végétarisme au sein de l’institution.
Il a été recueilli par la rédaction à la suite d’échanges, et il est à lire ci-après.
« Je suis mère d’une petite fille de trois ans que nous avons fait le choix d’élever dans le cadre d’un régime végétarien, étant moi même devenue végétarienne à l’âge de sept ans en prenant conscience de la souffrance animale et en étant viscéralement touchée. J’ai fait ce choix dans une pleine démarche éthique et écologique alors que mes parents ne l’étaient pas, dans les années 1990 et dans un petit village.
Jamais on ne m’a forcée à avoir de la viande ou du poisson dans mon assiette. Jamais de toute ma scolarité. On a respecté mon choix sans forcément le comprendre. Mon pédiatre me soutenait et m’accompagnait dans ma démarche. J’ai toujours été en très bonne santé, je me suis toujours adaptée sans rien demander à personne.
Ma fille a passé une année en crèche municipale où le personnel s’est tout de suite montré compréhensif et à l’écoute, et ne lui a jamais servi de viande ou poisson sans le moindre stress.
Comme si la rentrée en maternelle n’était pas assez particulière cette année, quelle surprise de découvrir que cela pouvait être encore plus anxiogène. Ma fille est inscrite au « menu sans viande » à la cantine, qui comporte à Lyon du poisson deux jours sur quatre.
En septembre, je remercie innocemment la directrice de l’école d’indiquer au personnel de cantine que nous avons fait ce choix et donc de ne pas lui servir de chair animale. On me répond qu’on ne sait pas si on pourra « répondre à ma demande ».
« Toute ma vie n’a été qu’une adaptation, en silence »
Je découvre assez vite que ce n’est pas du ressort de l’école mais de la municipalité.
En fait, parallèlement à plusieurs semaines de silence et de non-réponse à mes mails, envoyés à Stéphanie Léger (adjointe au nouveau maire de Lyon, en charge de l’Éducation) et Grégory Doucet (le maire de Lyon lui-même, étiqueté EELV, ndlr), je vois que j’ai affaire au service de la Direction de l’Éducation de la Ville de Lyon, où les fonctionnaires en place ne sont pas nécessairement sensibles aux enjeux de la municipalité.
J’ai donc eu la Direction de l’Éducation au téléphone, qui me propose comme unique solution de servir la chair animale et, au mieux, de ne pas forcer ma fille à la manger puis de la jeter. L’opposé radical du combat revendiqué par la municipalité contre le gaspillage alimentaire. Pour moi, aucune différence de traitement n’aurait existé dans une municipalité étiquetée Rassemblement National ou Les Républicains, au hasard.
Je ne demande pas immédiatement l’option végétarienne quotidienne. Elle était d’ailleurs au programme du maire lorsqu’il était candidat. Mais pour quand ? Car j’entends les enjeux logistiques. Mais il me paraît essentiel à l’instant T de respecter les convictions éthiques des gens et tout simplement de ne pas servir de force des aliments quelque peu traumatisants.
Je précise que la directrice de l’école, sous réserve d’un accord de la Ville, donnera le feu vert aux ATSEM (Agents Territoriaux Spécialisés des Écoles Maternelles, ndlr) pour ne pas lui servir de chair animale.
Cela fait quatre mois que je me bats. J’ai envoyé une dizaine de mails à l’adjointe Stéphanie Léger qui sont restés sans réponse. L’Association Végétarienne de France, via son dispositif « végécantines » qui accompagne les municipalités dans la transition végétale, leur a écrit pour en discuter. En ce début d’année 2021, le délégué au maire de Lyon, en charge de « l’alimentation locale et de la sécurité alimentaire », m’a contactée, déclarant « réfléchir à une solution ».
Toute ma vie n’a été qu’une adaptation, en silence, à un mode de consommation dans lequel je ne me reconnais pas et que je ne comprends pas, or, je n’impose rien à personne ».
« La même violence que pour les enfants de certaines religions »
En 2020, quel message est envoyé aux enfants ne pouvant pas être accueillis tels qu’ils sont à la cantine ?
C’est pour nous d’une grande violence, tout comme ça le serait pour un enfant de se voir servir par obligation un animal qu’il ne mange pas pour des raisons religieuses.
La surconsommation de viande est absolument vertigineuse, elle tue la planète, le végétarisme n’est pas une sorte de croyance « philosophique » comme c’est souvent présenté, mais un véritable choix de vie engagé et réfléchi, humain, pour la planète et pour l’avenir de nos enfants.
Je refuse de soumettre ma fille à une norme qui est mauvaise en tout point : écologique, éthique, voire pour notre santé. Et c’est actuellement à une enfant de 3 ans de gérer ce stress au quotidien car elle n’est pas accompagnée avec bienveillance.
Une municipalité écologiste en 2020 devrait être capable d’entendre cela et d’y répondre, me semble-t-il.
D’autres pays et villes françaises l’ont fait bien avant, d’autant que la surconsommation de protéines animales dans les cantines a été dénoncée dans de nombreux rapports.
« De nombreux parents végétariens abdiquent tout simplement »
Nous avons monté une délégation lyonnaise de l’AVF (association végétarienne de France), afin de faire avancer les choses à échelle locale. Toute personne intéressée peut rejoindre ce groupe en contactant avf69@vegetarisme.fr
Cette situation est souvent passée sous silence alors qu’elle laisse beaucoup de gens impuissants et en souffrance. J’ai constaté que de nombreux parents végétariens ou vegans abandonnaient leur volonté pour leur enfant face à toutes ces complications. Ils abdiquent tout simplement.
Pourtant, le tribunal administratif de Melun a déjà indiqué (dans une décision rendue en 2017, ndlr) que si une municipalité n’est pas prête à fournir un repas végétarien quotidien légalement, elle doit respecter les convictions profondes et fournir une assiette conforme en retirant ce qui ne veut pas être consommé pour raisons éthiques.
Mon souhait est d’être entendue car c’est très difficile et je sais que je ne suis pas seule. Je suis dans l’évitement. Ma vie professionnelle en souffre puisque je n’ai pas de solution de garde pendant la pause méridienne pour ma fille de ces deux jours par semaine avec poisson. Et ma santé aussi, cette situation étant source de stress important et de troubles du sommeil.
Je ne demande pas la lune, juste du respect.
La réponse de la Ville de Lyon sur le végétarisme dans les cantines scolaires
Le service communication du maire Grégory Doucet a transmis à Rue89Lyon une réponse circonstanciée sur la situation familiale de Fanny. Nous la retranscrivons ci-après.
La Ville de Lyon est attentive au cas de cette élève, mais le marché de restauration scolaire a été négocié sous l’ancienne mandature et le nouvel exécutif en place depuis cet été hérite d’une situation non choisie avec laquelle il doit composer.
Depuis septembre 2020, deux repas végétariens par semaine ont déjà été mis en place, mais à ce jour, les normes nutritionnelles contractualisées lors du précédent mandat avec le prestataire de la cantine ne nous permettent pas d’aller plus loin sans faire tomber le marché (pour rappel, les restaurants scolaires accueillent chaque jour 26 000 à 28 000 enfants, soit en moyenne 220 élèves par restaurant) et tomber dans l’illégalité.
Néanmoins nous avons à cœur de proposer au plus vite un menu végétarien tous les jours, dès que les conditions administratives, juridiques et techniques le permettront. Le développement d’une restauration scolaire moins carnée est un objectif de mandat.
A cet égard un travail de fond a été entrepris avec les agriculteurs et les distributeurs pour intégrer plus d’alimentation bio et locale dans les menus des écoliers. A l’échelle de la Ville de Lyon, il ne s’agit pas d’une petite modification qui s’opère en quelques semaines mais plutôt de la mise en place d’une solution qualitative qui conjugue différents enjeux : climatique, sanitaire, de justice sociale […].
La Ville de Lyon souhaite également changer les appellations des menus qui ne sont pas les mieux adaptées et peuvent parfois susciter des incompréhensions. L’exécutif partage bien les mêmes objectifs que la famille concernée, mais est actuellement contraint pour agir rapidement par les aspects contractuels du marché négociés sous le précédent mandat.

Rue89Lyon est menacé ! Enquêter sur l’extrême droite, mettre notre nez dans les affaires de patrons peu scrupuleux, être une vigie des pouvoirs politiques… Depuis 14 ans, nous assurons toutes ces missions d’utilité publique pour la vie locale. Mais nos finances sont fragiles. Nous avons besoin de 30 000 euros au 16 avril pour continuer d’être ce contre-pouvoir local l’année prochaine.
En 2025, nous faisons face à trois menaces :
- Un procès-bâillon : nous allons passer au tribunal face à Jean-Michel Aulas, ex-patron de l’OL qui nous attaque en diffamation.
- Des réseaux sociaux hostiles : Facebook, X, mais aussi Google, ces plateformes invisibilisent de plus en plus les médias indépendants en ligne.
- La montée de l’extrême droite : notre travail d’enquête sur le sujet nous expose et demande des moyens. Face à Vincent Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin qui rachètent des médias pour pousser leur idéologie mortifère, notre média indépendant est un espace de résistance.
Pour toutes ces raisons, nous avons besoin de votre soutien : abonnez-vous ou faites un don à Rue89Lyon !
Chargement des commentaires…