Écoquartier, ville durable, smart city : le quartier incarne-t-il autre chose qu’une vitrine marketing de la ville ? C’est la question que Matthieu Adam se pose dans son étude « Confluence, vitrine et arrière-boutique de la métropolisation lyonnaise », publiée en novembre 2020 sur le site « Géoconfluences ». Zoom sur ce travail remarquable.
Matthieu Adam est chercheur en études urbaines au laboratoire Environnement Ville Société. Le 5 novembre 2020, son dossier de recherche sur le projet de réaménagement du quartier Confluence a été publié. Il y détaille les enjeux et conséquences des stratégies de réaménagement du “quartier du futur”. C’est un résumé de sa thèse disponible ici.
Confluence : une zone portuaire polluée
Selon le chercheur, le quartier partait de loin et le sud de la presqu’île lyonnaise jouissait d’une piètre image : “site enclavé, industriel, à la population vieillissante, pauvre et immigrée”, décrit-il.
À cela, il faut ajouter que le quartier était perçu comme une zone de trafics et de prostitution. La séparation invisible entre “bons” et “mauvais » quartiers était matérialisée par les voûtes de Perrache. La Confluence commençait donc “derrière les voûtes ».
Un branle-bas de combat
Le chercheur remarque que dès 1998, les objectifs fixés étaient les mêmes qu’aujourd’hui : un quartier innovant sur le plan architectural, technologique et environnemental ainsi que participatif et socialement mixte.
La Ville de Lyon et le Grand Lyon ont alors commencé de nombreux projets de revalorisation du quartier, tantôt publics (parcs, aménagement des berges, places nautiques, bureaux de poste, groupes scolaires, MJC, musées, salles d’expo…) et tantôt privés (logements, emplois, commerces, bureaux et équipements de loisir).
L’exposition médiatique a parfois été dithyrambique, mais pas toujours : Matthieu Adam rappelle que le musée des Confluences par exemple, avait défrayé la chronique car son coût avait été multiplié par cinq en quinze ans.
Les démarches de marketing territorial se sont tout de même révélées très fructueuses et l’organisation d’événements au rayonnement international, comme la Biennale d’art contemporain, puis le festival de musiques actuelles Nuits Sonores, est allée dans ce sens.
“On va à Confluence ?”
Matthieu Adam nous apprend que, malgré cela, dans l’esprit des Lyonnais n’habitant pas le quartier, Confluence n’est souvent qu’un “mall” à l’américaine. L’image du quartier est résumée à l’énorme centre commercial dont la construction a été initiée par Gérard Collomb.
Celui-ci comprend un supermarché, une centaine de boutiques plutôt haut de gamme, un cinéma, un hôtel et une salle de sport. Cette image de quartier “pôle consommation” ne différencie que peu Lyon des autres projets de réaménagement d’anciennes infrastructures portuaires, à Nantes (Île de Nantes) ou à Strasbourg (Rivetoile) par exemple. Matthieu Adam déclare d’ailleurs que :
“Confluence est emblématique de la production néolibérale de l’urbain telle que nous l’avons décrite ailleurs.”
D’après le chercheur, pour pallier à ce manque cruel d’originalité, la Ville a multiplié les plans com et les panégyries : « laboratoire de renaissance », « nouveau cœur de ville durable », « cœur créatif de la Métropole de Lyon » ou encore de « Lyon Living Lab » intégré à la « Lyon Smart Community ».
Matthieu Adam ajoute :
“La Maison de la Confluence, installée rue Smith, sorte de bulle de vente gérée par la société publique qui aménage le quartier, est destinée, avec ses maquettes, à informer mais surtout à communiquer autour du projet, à destination des délégations internationales autant que des visites scolaires : c’est ainsi, en quelque sorte, une vitrine dans la vitrine.”
Gentrification
Le chercheur n’a pas cantonné ses recherches qu’à la Confluence. Le quartier Saint-Blandine, au nord de la Confluence, reste plutôt modeste. Celui de la presqu’île, au sud de Perrache, carrément pauvre. En revanche, autour des travaux de réaménagement urbain, Matthieu Adam recense une augmentation de 57% des professions intellectuelles supérieures et des cadres. La part des professions intermédiaires augmentent aussi tandis que celle des employés décline beaucoup. Matthieu Adam observe :
“À proximité de Confluence, la gentrification prend des formes diverses : l’augmentation de la cote du quartier (les annonces immobilières de Sainte-Blandine mentionnent désormais le nom de « quartier Confluence »), la valorisation de biens jusqu’ici très bon marché (notamment par la rénovation énergétique), l’évacuation de la prison en périphérie (à Corbas), et enfin l’expulsion des prostituées de plus en plus loin du centre.”
L’objectif de mixité sociale porté en étendard par le projet semble passer à la trappe. Le pourcentage élevé de logements sociaux (20%) revendiqué sur le papier est trompeur, ceux-ci correspondent en fait à la tranche la plus chère du dispositif. Pour acheter ces biens, il suffit de ne pas être trop riche. Matthieu Adam explique :
“Le plafond de ressources pour accéder à un logement social PLS est de loin le plus élevé, au point de correspondre à la classe moyenne supérieure : il est à 27 131 €.”
Il analyse aussi le statut socio-économique des habitants du quartier Confluence :
“Hétérogènes par leur âge et leurs origines géographiques, les nouveaux habitants possèdent pour l’essentiel de forts capitaux économique et social et, dans une moindre mesure, culturel. »
Une “idéologie de l’urbanisme”
Ce qui est frappant à la lecture du travail de Matthieu Adam, c’est l’aspect très politique, très « merch », des stratégies de réaménagement du quartier. De l’intervention des stars de l’architecture comme Jean Nouvel, Coop Himmelb(l)au ou Clément Vergely à l’installation d’infrastructures culturelles favorisant l’image de quartier « jeune et cool », on ne discerne qu’une bruyante stratégie de com.
Une fois de plus, les précaires n’ont pas ou plus leur place dans le quartier proche du centre lyonnais. La mixité sociale « made in Confluence » a ses limites.
Chargement des commentaires…