Anne-Laure, 43 ans, vit à Lyon sans domicile fixe (SDF) depuis deux ans. Handicapée, atteinte d’une maladie génétique incurable, elle est tantôt en fauteuil roulant, tantôt sur ses deux jambes ou en béquilles. Alternant entre la rue, les foyers et des hébergements chez des amis, son allocation handicapée a été suspendue quelques semaines avant le début du confinement, la laissant sans aucun revenu.
« Quinze jours avant le confinement, j’ai reçu un coup de téléphone d’une assistante sociale, qui me prévenait que mon dossier handicap devait être renouvelé. Chose que j’ignorais. Du coup je suis allée à la CAF [caisse d’allocation familiale, organisme qui verse l’allocation handicap, ndlr] dont je dépendais à l’époque. »
« On a pris rendez-vous et puis… Paf ! Confinement »
« Là, on m’a dit que j’avais certainement changé d’adresse. C’était le cas, parce qu’à l’époque j’étais hébergée chez quelqu’un d’autre. Donc j’ai donné m’a nouvelle adresse. Et là, on m’a dit que je ne dépendais plus de cette CAF mais d’une autre. J’ai pris un premier rendez-vous. On m’a expliqué qu’il fallait que je transfère mon dossier et qu’il fallait que je refasse une visite médicale. On a pris rendez-vous et puis… paf ! Confinement.
Tout s’est arrêté. Donc toujours pas d’argent. Il fallait que mon dossier soit renouvelé. Vu qu’il n’était pas renouvelé, ils stoppent l’AAH [« allocation aux adultes handicapée », qui assure un revenu minimum aux personnes handicapées, ndlr], parce qu’ils se disent que peut-être la personne a guéri…
ils ont dû se dire que miraculeusement je n’avais plus de maladie, que je n’avais plus besoin de cet argent. Je n’en sais rien. Il faut prouver tous les deux ans que t’es toujours éligible à l’AAH.
La coloc où j’étais hébergée, c’était pas le summum au niveau de l’intimité, mais j’avais un toit sur la tête, de quoi manger. Je pouvais participer, faire des courses. Et puis, pendant le confinement, j’avais des amis qui s’étaient installés dans un squat. Il y avait plusieurs appartements.
Je sais que ça peut paraître idiot, parce que dans la coloc j’avais un toit sur la tête, un lit. Mais ça faisait deux ans que j’avais traversé plein de galère, dormi à la rue, dans des foyers où ça avait été l’horreur. Bref, j’avais envie et besoin d’avoir mon « chez moi ». Même si je sais que le squat on ne peut pas réellement dire que c’est un « chez soi ». »
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Rendez-vous « d’urgence » : presque deux mois d’attente
« J’avais besoin d’un endroit où je puisse enfin recevoir mes enfants. Pendant tout le confinement, je n’ai pas pu voir mes enfants. Et puis sans argent, je ne peux pas les voir non plus, vu que je ne peux pas les faire venir. Donc je suis venue dans ce squat, je me suis aménagé avec les moyens du bord un petit appart’, tranquille. Je suis bien.
Le problème c’est qu’à la sortie du confinement, les administrations sont surbookées. Il y a des demandes de partout, donc même en urgence ça met du temps. Pour une demande que j’ai faite mi-mai à l’assistante sociale, j’ai eu un rendez-vous « d’urgence » début juillet. D’ici-là, je dois me débrouiller pour manger alors que je suis SDF et sans revenu.
Heureusement, je me retrouve dans un squat où il y a une super énergie, énormément d’entraide. Donc j’ai de quoi manger. Mais être toujours dépendant, ne pas pouvoir s’acheter quelque chose pour se faire plaisir… ce n’est pas vivre. »
Une demande de logement sociale en attente depuis février 2019
« Pendant le confinement, en triant des papiers, je suis tombée sur une association que j’avais contactée en arrivant sur Lyon il y a deux ans. C’est une association qui s’occupe en urgence de loger des handicapés. Seulement il me fallait à l’époque une demande de logement qui date de plus de 6 mois, pour prouver que j’étais bien sur Lyon depuis plus de 6 mois. Or je venais d’arriver, du coup ils ne pouvaient rien faire pour moi.
J’avais donc fait une demande de logement social sur Lyon. Elle est en cours depuis février 2019. Toujours sans réponse. Donc quand j’ai retrouvé la carte de cette association, je les ai recontactés. Ils étaient fermés pendant le confinement, mais on pouvait les avoir au téléphone.
J’ai rendez-vous avec eux prochainement. J’espère qu’avec eux ça va aller. Parce qu’ils ne s’occupent pas que du logement, ils s’occupent aussi d’aider dans les démarches administratives, d’activer les choses plus vite, quand on a vraiment – comme dans mon cas – plus rien pour nous.
J’espère que ça fera quelque chose. Vu que le reste… J’ai fait des courriers, en espérant que, vu que les élections arrivaient, ça allait peut-être pouvoir faire quelque chose. J’ai écrit à la préfecture. Mais bon, pas de retour. Aucune réponse. Ni par mail, ni par écrit.
Depuis que je suis sur Lyon, je me rends compte qu’il manque un nombre incroyable de médecins et de personnes qui travaillent dans le social. Il n’y a pas assez de gens qui travaillent dans ce domaine et, du coup, les délais sont trop longs. La prochaine génération, il faut essayer de faire en sorte qu’ils soient plus nombreux à travailler dans ce domaine. Parce que là, c’est juste la catastrophe. »
« Dans un foyer pour SDF, j’ai dû dormir toute une nuit dans les toilettes assise dans mon fauteuil roulant »
« En attendant, je préfère être en squat que dans des hébergements d’urgence. Je ne vais plus dans les hébergements d’urgence. J’ai de très mauvais souvenirs. Que ce soit la violence, l’intimidation des femmes… Être une femme dans un foyer d’urgence pour SDF, c’est juste une horreur. Il y a aussi des hommes qui se font racketter, tabasser… Mais encore plus quand t’es une femme handicapée.
Une fois où j’avais appelé le 115, j’ai un souvenir d’un foyer où j’ai dû dormir toute la nuit dans les toilettes assise dans mon fauteuil roulant, parce que je n’étais pas en sécurité. Une femme s’était faite agresser à côté de moi.
J’ai eu beau chercher la personne qui était censée s’occuper de nous, je sais pas où elle avait disparu, si elle bouquinait dans un coin ou si elle dormait. Je n’en sais rien, je sais pas comment ça se passait, c’était la première fois que j’y allais. J’ai trouvé personne pour m’aider, donc je me suis juste enfermée dans les toilettes et j’ai attendu jusqu’au matin. Je préfère dormir à la rue qu’en foyer. »
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