Alors que la rénovation énergétique occupe une place importante dans les programmes des candidats aux municipales, des habitants de logements sociaux du 9ème arrondissement paient des factures de chauffage qui peuvent atteindre 2300 euros par an. En cause : la mauvaise isolation. Le bailleur, Grand Lyon Habitat, alerté depuis plusieurs années, n’a pas réalisé les travaux nécessaires. Reportage dans ces passoires thermiques.
Il est un peu moins de 11 heures ce 24 juin. Le soleil brille sur les façades orangées des immeubles 11 et 13, de la rue des Deux Amants, dans le 9e arrondissement de Lyon. Au pied de l’autoroute qui mène au tunnel de Fourvière, ces immeubles semblent protégés du bruit. En plus du calme ambiant, les habitants peuvent profiter d’un petit coin de verdure à l’entrée de leur logement.
Une première famille, qui habite au numéro 13, nous attend devant l’ascenseur, moderne et comme neuf. « Ah ça, on a un bel ascenseur », remarque le père de famille tandis que nous montons les étages. Une fois franchi le seuil de leur appartement, le contraste est saisissant.
La porte, entourée de scotch, peine à fermer, tout comme les fenêtres. Au sol, le linoléum gondolé se décolle comme du papier et laisse entrevoir des traces de moisissures.
« Il y en y a partout ! Je n’ose même pas vous montrer les chambres, j’ai trop honte », témoigne Myriam (le prénom a été changé). Installé depuis 2004 dans cet appartement, le couple, tous deux sans emploi, repeint à ses frais les murs, tous les ans, pour cacher les traînées noires causées par l’humidité.
« Quand il pleut, l’eau peut rentrer dans ma maison », souligne-t-elle amèrement.
Myriam nous explique également que son assurance habitation à la Maïf a été résiliée il y a plusieurs années. L’assureur considérant l’immeuble comme insalubre.
La Confédération syndicale des familles à la rescousse
L’été dernier, Myriam, son mari, et ses quatre enfants, ont été relogés toute une semaine car la tuyauterie de leur F5 a explosé, en raison de l’humidité selon le couple. Un phénomène courant, en particulier avec les cumulus, dans ces passoires thermiques du 9ème arrondissement d’après les habitants interrogés.
La locataire, lasse de ces problèmes d’isolation et de l’absence de retour de Grand Lyon Habitat, a contacté la Confédération Syndicale des Familles (CSF) en novembre dernier. Jean-Pierre Ottaviani, président de l’union départementale du Rhône, a contacté un expert du service de l’Ecologie urbaine de la Ville de Lyon pour faire constater les dégradations du logement.
Dans son rapport, l’inspecteur dresse une liste que l’on retrouve dans nombre de passoires thermiques. La présence de moisissures, le manque d’étanchéité des fenêtres, un chauffage électrique peu performant, et une ventilation inefficace dans la salle de bain. Conclusion : le logement n’est pas conforme au Règlement Sanitaire Départemental (RSD), comme on peut le lire ci-dessous dans le mail que nous nous sommes procuré.
« Ces situations de nature à porter atteinte à la santé des locataires, sont en infraction au Règlement Sanitaire Départemental, aussi nous demandons au bailleur de remédier à ces dysfonctionnements. (…) Ce logement peut donc être qualifié d’indigne, et la CAF pourrait le qualifier de » non-décent « . »
Suite à cette enquête de salubrité, transmise à Grand Lyon Habitat, l’adjoint au maire Jean-Yves Sécheresse a envoyé au bailleur un courrier fin février pour réclamer des travaux dans cet appartement, dans des délais d’un mois (dalles de linoléum, fenêtres et portes) et trois mois (ventilation et règlement du problème de l’humidité). Mais le bailleur social n’a pas donné suite.
Courrier de l’écologie urbaine de Lyon au service habitat indigne de la DDT69 by Laurent Burlet on Scribd
« Silence radio » du côté de Grand Lyon Habitat
Face à cette absence de réactivité, Jean-Pierre Ottaviani a décidé d’envoyer un nouveau courrier fin mai, à la direction. Mais là encore, aucune réponse, explique le responsable de la CSF :
« On n’a pas reçu le moindre mail, le moindre appel téléphonique, le moindre courrier, nous donnant a minima un calendrier des travaux à effectuer ».
Le président de l’association lyonnaise est conscient des difficultés liées au confinement.
« On a ciblé cet appartement en priorité. Grand Lyon Habitat aurait pu au moins revenir vers vous ».
Cela fait maintenant plusieurs années que les locataires tentent d’alerter le bailleur social sur la situation de ces deux immeubles devenus passoires thermiques. Mais les appels et les déplacements en agence n’ont pas suffi.
« Bon nombre de personnes ne connaissent pas leurs droits, et ne savent pas que les traces écrites sont indispensables dans ce genre de démarche », témoigne Jean-Pierre Ottaviani autour d’un café chez Myriam.
A ce jour, dix familles (ndlr : les deux HLM comptent 31 appartements) ont rejoint l’association pour réclamer également des travaux d’isolation. Car si l’appartement de Myriam présente une situation d’urgence, plusieurs habitantes et habitants, aux revenus modestes, se plaignent de factures de chauffage très salées en raisons des fenêtres et portes qui ferment mal.
« En hiver, 250 euros de facture par mois »
Julie (prénom d’emprunt), qui vit dans un F3 depuis 2007 avec son conjoint, s’estime heureuse :
« Nous, on n’a pas trop de problèmes de moisissures ».
Très vite, elle me présente ce qu’elle appelle son « débarras ». A première vue, aucune anomalie. Et pourtant.
« Il fait 9° dans cette pièce l’hiver, alors qu’il en fait 16° dans la pièce adjacente. Elle se situe juste en dessous des toits qui sont mal isolés ».
Il s’agissait avant du bureau de Julie, dessinatrice. Le froid l’a faite migrer dans le salon.
Malgré ces faibles températures, le couple ne chauffe que partiellement le logement.
« Un mois, on a pris 500 euros de facture, ça nous a calmés. Maintenant on met des pulls », explique sur le ton de la plaisanterie Julie.
Depuis, Grand Lyon Habitat a fait changer les radiateurs face au mécontentement des familles. C’était en 2011.
« Ce sont des grille-pains améliorés, ils consomment moins c’est vrai, mais ils consomment toujours », souligne la dessinatrice.
Pour éviter les factures trop salées, le couple a donc investi dans cinq petits radiateurs soufflants répartis dans l’appartement. Il ne chauffe intégralement qu’une pièce en période hivernale.
« On allume le radiateur du salon toute la journée, et une heure avant de se coucher, on l’éteint et met en route celui de la chambre », explique le conjoint de Julie.
En dépit de ces « techniques », le couple paie environ 250 euros de chauffage par mois en hiver. Et ce ne sont malheureusement pas les seuls.
Nous avons pu consulter des factures d’électricité de plusieurs habitants vivant à divers étages de ces deux immeubles. 900, 1500, voire 2300 euros par an… Les sommes sont considérables, alors qu’une grande partie des locataires ont pourtant un abonnement EDF jour-nuit, qui permet de payer 30% moins la nuit.
« On est en 2020 et on met du scotch autour de nos fenêtres et de nos portes »
Vers midi, plusieurs habitants se réunissent dans le petit parc à l’entrée des HLM et discutent ensemble des problèmes qu’ils rencontrent à cause de ces problèmes d’isolation.
Le regard tourné vers la façade, Jean-Pierre Ottaviani lance soudainement :
« Vous voyez ces taches noires, ça c’est un indicateur d’humidité. Tous les côtés sont marqués, donc ça ne peut pas être un simple aspect de vent (lorsque les façades sont exposées au vent, elles sont davantage salissantes, ndlr) ».
Cette humidité est principalement causée par la mauvaise isolation des portes et des fenêtres dont les joints disparaissent progressivement. Depuis quelques années, du double-vitrage a été installé sur plusieurs fenêtres, en raison du trafic routier, mais selon le président de la CSF du Rhône, c’est tout le cadrage en bois qui est à refaire.
« On est obligés d’acheter des rideaux jetables, car la colle des joints coule directement sur le tissus », témoigne Amda, retraité.
Comme beaucoup, ce locataire « bricole » pour faire barrage au froid et à l’humidité dans son logement que nous avons visité.
« L’hiver, on met de la moquette partout, car ça siffle sous les portes, je refais régulièrement le parquet et le balatum, enfin je mets du scotch autour des ouvertures… On est quand même en 2020 ! », se désespère-t-il.
Ce locataire, qui réclame également des aménagements pour son fils handicapé depuis plusieurs années, a alerté le bailleur social sur la situation.
« J’ai montré ça à des employés de Grand Lyon Habitat quand ils sont venus il y a un an, mais ça n’a rien changé ».
Après nous avoir montré quelques pièces de son appartement, il décide d’apporter du café, des jus de fruits, et des gâteaux aux autres habitants réunis dans le petit parc.
« On a tous les mêmes problèmes. On devient de plus en plus solidaires ».
Parmi ces « mêmes problèmes », on retrouve en plus de l’isolation, des remontées d’égout fréquentes au rez-de-chaussée ou encore l’absence de volets aux cuisines.
Du fioul pour se chauffer
« La situation de nos appartements, ça joue sur notre santé physique et mentale », soupire une mère de famille au RSA. Les autres acquiescent d’un signe de tête.
Un peu plus tôt, cette habitante nous confiait :
« Je ne devrais pas le dire mais je me chauffe au fioul en hiver car je ne m’en sors plus avec les factures. Donc j’en suis arrivée à un point où je n’ai plus le choix, alors même que c’est interdit. »
Passoires thermiques et précarité énergétique
Ces logements sociaux sont des PLAI (prêt locatif aidé d’intégration), c’est-à-dire des HLM qui présentent les plus bas loyers et qui sont donc accessibles aux bas revenus.
« 95% des personnes ici font partie des 30% des revenus les plus bas de la métropole », tient à rappeler Jean-Pierre Ottaviani, qui dénonce des factures de chauffage très salées.
« 1500 euros, c’est plus qu’un mois de salaire de smicard ! Voire deux salaires pour ceux qui ont les factures les plus importantes, soit plus de 16% de leur revenu annuel ».
Le président de la CSF du Rhône poursuit :
« Plus de 65% du prix correspond à des taxes en 2018. Cela signifie que plus les personnes sont pauvres, plus elles paient de taxes, en raison des problèmes d’isolation. Si je suis riche au contraire et que j’ai un appartement à énergie positive, ça me rapporte. C’est de la précarité énergétique et c’est ça que l’on dénonce ».
Les travaux privilégiés dans les immeubles à vendre
Pour le président de la CSF du Rhône, la situation de ces HLM du 9ème arrondissement pointe un autre problème : les bailleurs sociaux privilégient la réhabilitation des immeubles qu’ils vendent.
« Avant, seuls les locataires d’HLM pouvaient acheter les appartements. Désormais, ils sont accessibles à tous, donc les bailleurs vendent là où ça va être le plus cher et font des travaux au préalable. Ce sont des zones stratégiques comme dans les 2ème et 3ème arrondissements à Lyon. Alors que pour les bâtiments qui sont dans la nécessité absolue, les gens attendent ».
Selon lui, les arbitrages sont donc financiers et non en fonction des besoins des habitants.
« On vit mal à l’intérieur, mais ils s’occupent de l’extérieur ! »
Mais aux HLM rue des Deux Amants, les travaux ne sont pas complètement inexistants, en particulier à l’extérieur. Un sens des priorités qui agace de nombreux locataires.
« Ils ont refait récemment le parking et les portes de garage. Par contre ils n’ont rien fait pour nos fenêtres », s’énerve Julie, avant d’être suivie par Myriam :
« C’est toujours dans l’apparence : on vit mal à l’intérieur, mais ils s’occupent de l’extérieur ! ».
Selon Jean-Pierre Ottaviani, la Confédération syndicale des familles privilégie toujours le dialogue avec les bailleurs sociaux. Mais Grand Lyon Habitat ne leur a « pas donné d’autre choix que d’alerter l’opinion publique ».
« S’ils continuent à faire la sourde oreille, on n’hésitera pas à contacter la CAF pour expliquer la situation (La CAF peut interrompre les versements d’APL si un logement est déclaré comme « non-décent, ndlr) », conclut-il.
Alors que l’on s’apprête à partir, une employée d’une entreprise du bâtiment, envoyée a priori par Grand Lyon Habitat, vient faire des repérages pour une peinture à réaliser sur une petite façade extérieure. Les familles réunies sur le parc à l’entrée des HLM n’en reviennent pas.
« Ça illustre bien ce que l’on vient de vous raconter, ils se moquent de nous ! », s’écrie une habitante.
Pour le président de la CSF du Rhône, « c’est une forme de mépris ».
« On ne demande pas du luxe, mais on réclame que les gens vivent dignement. »
Après la visite de la presse, Grand Lyon Habitat envoie des employés
Contacté par mail, Grand Lyon Habitat nous a répondu par une formule lapidaire :
« Un programme d’amélioration des fenêtres et occultations est à l’étude. Un diagnostic
sera lancé prochainement. »
Le lendemain de notre reportage, des employés de Grand Lyon Habitat sont venus visiter deux appartements du rez-de-chaussée, les logements qui apparaissent dans le reportage de BFMTV Lyon tourné la veille de notre venue.
Contacté par téléphone, Jean-Pierre Ottaviani était présent lors de leur venue :
« Lorsqu’ils ont vu l’état des fenêtres d’Amda, ils ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant de la situation. Ils ont joué les naïfs », dénonce le président de l’union départementale de la CSF, tout en restant optimiste :
« Les travaux pourraient commencer courant juillet. Ils n’ont plus vraiment le choix ».
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